Le Pr Ngouda MBOUP, enseignant en droit public, apporte ses Ć©clairages sur le transfert des pouvoirs lĆ©gislatifs en matitĆØre d’Etat d’urgent et de siĆØge au prĆ©sident de la rĆ©publique.
Ā«Je pense que la loi Ć©tait trĆØs attendue, il faut le dire quand mĆŖme. Parce que la loi de 1969 qui, en rĆ©alitĆ©, applique lāarticle 69 de la Constitution qui fixe le rĆ©gime de lāĆ©tat urgence et lāĆ©tat de siĆØge, Ć©tait obsolĆØte. Donc, du coup, il fallait passer Ć un toilettage. Le rĆ©gime de lāĆ©tat dāurgence que nous avons est un Ć©tat policier alors quāaujourdāhui, lāEtat du SĆ©nĆ©gal fait face Ć une pandĆ©mie sans prĆ©cĆØdent et que cette pandĆ©mie sans prĆ©cĆØdent, mĆŖme si elle est prise en compte dans le cadre de cet Ć©tat dāurgence, cet Ć©tat dāurgence qui est une urgence sanitaire, nĆ©cessite un Ć©tat social et non pas un Ć©tat policier.
Cāest la raison pour laquelle le gouvernement sĆ©nĆ©galais a pensĆ© initier cette loi pour modifier la loi de 69 pour quāil puisse intervenir de faƧon beaucoup plus rapide et beaucoup plus efficace pour rĆ©gler les problĆØmes de la pandĆ©mie. Ou encore une question qui nāa pas encore eu lieu, mais qui est prĆ©vue dans la loi, cāest Ć dire les catastrophes naturelles. Et Ć ce niveau, la loi Ć©tait innovante parce quāelle ajoute un nouveau titre 5 qui permet de gĆ©rer les catastrophes naturelles. Mais par contre, au regard de la loi et de la briĆØvetĆ© des articles qui sont intĆ©grĆ©s dans ce nouveau titre, il y a quelques difficultĆ©s et quelques anomalies. Et je ne pense pas que ce soit conforme Ć lāesprit et Ć la lettre de la Constitution dans la mesure oĆ¹ si nous sommes toujours dans le rĆ©gime de lāarticle 69 de la Constitution strictement qui prĆ©voit lāĆ©tat dāurgence, on ne peut pas dĆ©crĆ©ter lāĆ©tat dāurgence quelle que soit la situation, que ce soit un Ć©tat dāurgence appelĆ© sanitaire ou un Ć©tat dāurgence considĆ©rĆ© policier. Il faudrait que le prĆ©sident le dĆ©crĆØte et que quand mĆŖme, lāĆ©tat dāurgence ne puisse pas dĆ©passer douze jours.
Au-delĆ , il faudrait impĆ©rativement lāintervention de lāAssemblĆ©e nationale. Cela Ć©tant, la nouvelle loi qui est initiĆ©e et qui doit ĆŖtre votĆ©e ne prĆ©voit pas cela. Cāest Ć dire que cāest une dĆ©rogation qui est appelĆ©e Ć ĆŖtre appliquĆ©e, qui permet au PrĆ©sident de la RĆ©publique de pouvoir dĆ©crĆ©ter un Ć©tat dāurgence en cas de pandĆ©mie ou de catastrophe naturelle, au bout dāun mois sans passer Ć lāAssemblĆ©e nationale et avoir la possibilitĆ© de le renouveler encore un mois. Et cela, pour moi, porte atteinte Ć lāesprit Ć la lettre de lāarticle 69 de la Constitution qui fixe ce dĆ©lai Ć douze jours.
Ā«LES CRAINTES SONT-ELLES FONDEES?Ā»
Effectivement, les craintes sont fondĆ©es dans la mesure oĆ¹ le PrĆ©sident se renforce dans ses prĆ©rogatives et que le rĆ©gime de lāĆ©tat dāurgence est un rĆ©gime trĆØs lourd. Je dis tout le temps que lāĆ©tat dāurgence est un rĆ©gime dāexception. Ce nāest pas un rĆ©gime dāexceptionnel. Quand jāutilise le subjectif Ć la place de lāadjectif, cela signifie quāen rĆ©alitĆ© lāĆ©tat dāurgence est dans le cadre de la lĆ©galitĆ© et que lāĆ©tat dāurgence ne signifie pas que la lĆ©galitĆ© est en congĆ©. Cela signifie tout simplement que la lĆ©galitĆ© est assouplie. Mais que les autoritĆ©s administratives, Ć commencer par le PrĆ©sident de la RĆ©publique, sont soumis Ć la lĆ©galitĆ© certes. Mais par contre, dans le cadre du rĆ©gime dāexception, les pouvoirs publics et, notamment le PrĆ©sident de la RĆ©publique et lāensemble des membres du pouvoir exĆ©cutif voient leurs prĆ©rogatives Ć©tendues, les libertĆ©s sont restreintes. Et quāaujourdāhui, maintenant, si le PrĆ©sident renforce ses prĆ©rogatives lĆ , et si le PrĆ©sident de la RĆ©publique cherche Ć se renforcer, dāautant plus que si nous parlons de lāĆ©tat dāurgence sanitaire, la premiĆØre chose Ć voir est quāen rĆ©alitĆ©, Ƨa doit ĆŖtre bien dĆ©taillĆ©, bien dĆ©fini avec les concepts et autres. Mais ce que nous avons vu, cāest un texte trĆØs bref avec la briĆØvetĆ© des articles et au-delĆ de Ƨa quand mĆŖme, ce qui fait peur, cāest que le parlement est contournĆ©.
Et dans une dĆ©mocratie, si le parlement ne parvient pas Ć contrĆ“ler lāExĆ©cutif, cela peut ĆŖtre dangereux dans la mesure oĆ¹ des concepts de catastrophes naturelles et autres, ce sont des concepts valises que le gouvernement pourrait utiliser Ć sa guise. Donc, nāimporte quelle situation pourrait ĆŖtre mise dans ce sac. Et voilĆ donc des craintes qui pourront ĆŖtre dissipĆ©es lorsque les dĆ©putĆ©s auront regardĆ© la loi pour faire les amendements. Mais je pense que cāest hypothĆ©tique dans la mesure oĆ¹ il y a toujours la question de la majoritĆ© mĆ©canique qui se pose Ā».
Serigne Saliou YADE (STAGIAIRE) & SUD FM