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« D’où vient cet argent ? », s’interroge Meissa Babou, professeur d’économie, quand « des centaines d’immeubles sont construits dans les quartiers huppés, pour un montant pouvant aller jusqu’à 1,5 million d’euros, sans prêt bancaire
L’essor spectaculaire de l’immobilier de luxe ces dernières années a soulevé de vives inquiétudes quant à l’origine douteuse des fonds investis et les atteintes à l’environnement. Comme le rapporte Le Monde dans un reportage, le nouveau gouvernement tente désormais de reprendre le contrôle d’un secteur qui a longtemps prospéré dans l’anarchie.
À Dakar, les agents immobiliers vantent sans retenue les atouts des somptueux appartements et villas « pieds dans l’eau » sur la convoitée corniche. « 600 m2, 5 chambres, carrelage en marbre italien, jacuzzi, piscine, salle de sport, jardin… pour plusieurs millions d’euros », détaille l’un d’eux à Le Monde. Des biens immenses qui trouvent rapidement preneurs auprès d’investisseurs fortunés, souvent étrangers, quand plus de la moitié des Sénégalais vivent sous le seuil de pauvreté.
« Notre mer nous a été confisquée par ces villas illégales qui détruisent notre littoral », dénonce l’architecte Pierre Atepa Goudiaby, engagé dans la défense du patrimoine côtier. Un constat partagé par le Colonel Papa Saboury Ndiaye, qui regrette « des constructions de plusieurs étages même sur des sites classés, c’est une aberration que nous dénonçons depuis des années. »
Face à l’ampleur de ces dérives, le ministre des Finances a ordonné fin avril l’arrêt des chantiers en cours à Dakar et l’examen des dossiers fonciers litigieux. Une première étape pour « faire la lumière sur la recrudescence des litiges qui menacent la paix sociale », selon une note officielle.
L’objectif affiché est de mettre un frein à « la spéculation et la prédation foncière » qui ont permis à certains d’acheter des terrains à bas prix pour les revendre des sommes colossales, grâce à des titres de propriété obtenus illégalement sur le domaine public maritime.
« D’où vient cet argent ? », s’interroge Meissa Babou, professeur d’économie, quand « des centaines d’immeubles sont construits dans les quartiers huppés, pour un montant pouvant aller jusqu’à 1,5 million d’euros, sans prêt bancaire. »
Une étude de l’Institut d’Etudes de Sécurité estime qu’en 2013, 96% des 480 millions de dollars investis dans l’immobilier provenaient de sources illicites, l’argent du trafic de drogue s’étant massivement infiltré dans la pierre. « En 2019, environ 120 agences immobilières supplémentaires ont été créées par des trafiquants à Dakar », selon cette enquête.
Face aux soupçons massifs de blanchiment et à l’appauvrissement ressenti par de larges franges de la population, les nouvelles autorités issues de la coalition Faye-Sonko se doivent d’agir fermement. Reste à voir si les mesures d’assainissement annoncées suffiront à juguler des années d’excès et de dérives dans un secteur devenu incontrôlable.
« Plus de transparence est une bonne chose, mais la saturation nous guette. La poursuite dépendra des orientations du nouveau régime », estime avec prudence un promoteur immobilier cité par Le Monde.
(SenePlus)