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samedi, mai 18, 2024
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La RTS est-elle encore une chaƮne publique nationale ?

par pierre Dieme

Les nouvelles dā€™intĆ©rĆŖt national justifiant son existence sont ravalĆ©es Ć  la rubrique des chiens Ć©crasĆ©s. Lā€™information vise surtout Ć  magnifier les actions du gouvernement. Son excĆØs de zĆØle non seulement nuit Ć  sa crĆ©dibilitĆ©, mais il est offensant

Le 11 fĆ©vrier, un grave accident fait sur nos routes huit morts et de trĆØs nombreux blessĆ©s, dont certains griĆØvement, et le mĆŖme jour, mais dans une autre partie du SĆ©nĆ©gal, un incendie fait trois victimes, de trĆØs jeunes enfants. Comme si de rien nā€™Ć©tait, et contrairement Ć  la plupart des chaines de tĆ©lĆ©vision privĆ©es, la RTS ouvre sereinement sa grande Ć©dition de vingt heures avecā€¦ lā€™audience accordĆ©e Ć  lā€™ambassadrice du Royaume-Uni, qui quitte le SĆ©nĆ©gal, et enchaine avec un reportage sur une sĆ©ance de travail entre notre ministre des Affaires EtrangĆØres et une dĆ©lĆ©gation de lā€™Union EuropĆ©enneā€¦

Le 14 fĆ©vrier, sept soldats sĆ©nĆ©galais pris en otage par le MFDC depuis le 24 janvier sont remis en libertĆ©, sans leurs armes et leur Ć©quipement, grĆ¢ce Ć  une mĆ©diation de la CEDEAO et de plusieurs ONG. Bien que lā€™annonce ait Ć©tĆ© faite officiellement par la DIRPA, la grande Ć©dition de vingt heures de la RTS, Ć  lā€™inverse une fois encore des chaines privĆ©es, sā€™ouvre par une audience de lā€™ambassadrice du Niger et un reportage sur la visite Ć  Dakar du prĆ©sident ougandais. La libĆ©ration des soldats sĆ©nĆ©galais nā€™est mĆŖme pas mentionnĆ©e parmi les principaux titres, alors quā€™elle a fait la une des journaux de TV5 et de RFI, avec tĆ©moignages Ć  lā€™appui !

On pourrait multiplier les exemples et je ne mā€™en tiens quā€™aux tout derniers, car cā€™est presque une rĆØgle que notre tĆ©lĆ©vision nationale bafoue souvent nos droits, ignore nos centres dā€™intĆ©rĆŖt et fait peu cas de nos Ć©motions. Elle nous regarde par le petit bout de la lorgnette et toutes ses camĆ©ras sont tournĆ©es vers le Palais que nā€™habite dā€™ailleurs pas le prĆ©sident de la RĆ©publique. Les nouvelles dā€™intĆ©rĆŖt national, celles qui justifient son existence, sont ravalĆ©es Ć  la rubrique des chiens Ć©crasĆ©s, Ć  lā€™exclusion peut ĆŖtre de la victoire du SĆ©nĆ©gal Ć  la coupe dā€™Afrique, et mĆŖme dans ce cas, lā€™information vise surtout Ć  magnifier les actions du gouvernement. Nos Ć©coles sont fermĆ©es depuis des semaines, Ć©lĆØves, parents et enseignants dĆ©filent dans la rue, mais il nā€™y a pas un jour oĆ¹ lā€™Ć©dition de nuit du journal tĆ©lĆ©visĆ© ne sā€™ouvre par le compte rendu des activitĆ©s du prĆ©sident de la RĆ©publique, souvent dā€™ailleurs plus mondaines que porteuses de vraies innovations. A croire quā€™il est le seul Ć  travailler dans ce pays !

Que faut-il donc faire pour que la RTS soit rĆ©ellement une tĆ©lĆ©vision nationale et publique ? Ses responsables ne peuvent tout de mĆŖme pas ignorer que dans la presse, Ć©crite ou tĆ©lĆ©visĆ©e, il existe une hiĆ©rarchie des informations ? Quā€™un titre nā€™est pas anodin et quā€™on peut mĆŖme dire : dis-moi ce qui fait tes titres et je te dirais quelle presse tu es ! Que le titre est une maniĆØre de rĆ©sumer lā€™essentiel, que cā€™est lui qui souvent donne Ć  chacun de nous lā€™envie de rester devant sa tĆ©lĆ©vision et que beaucoup de tĆ©lĆ©spectateurs changent de chaine quand les titres ne rĆ©pondent pas Ć  leur attente !

Un accident de la route de lā€™ampleur de celui qui a eu lieu le 11 fĆ©vrier, au retour dā€™une manifestation religieuse, est ressenti comme un drame national et mĆ©rite notre compassion. Il est aussi lā€™occasion dā€™appeler Ć  plus de prudence sur les routes, dans un pays qui est le champion du monde des rassemblements religieux. La RTS est lā€™instrument le plus appropriĆ© pour jouer ce rĆ“le puisquā€™elle est le seul mĆ©dia qui couvre lā€™ensemble du territoire national. Quant Ć  lā€™incendie qui a fait trois petites victimes, cā€™est un drame familial irrĆ©parable et le rĆ©vĆ©lateur de lā€™inĆ©galitĆ© de notre sociĆ©tĆ©, dont la rĆ©paration devrait ĆŖtre lā€™une des missions des gouvernants.

Les soldats sĆ©nĆ©galais libĆ©rĆ©s par le MFDC Ć©taient en mission de paix en Gambie, au sein des forces de la CEDEAO. lls ont Ć©tĆ© attaquĆ©s en territoire gambien alors quā€™ils nā€™Ć©taient pas en opĆ©ration de guerre contre les rebelles casamanƧais, mais Ć  la poursuite de trafiquants vĆ©reux qui mettent Ć  mal notre environnement et notre santĆ©. Lā€™opĆ©ration avait coutĆ© la vie Ć  quatre soldats et lā€™hommage rendu Ć  leurs dĆ©pouilles nā€™avait pas non plus fait lā€™ouverture du journal tĆ©lĆ©visĆ© de la RTS. Dans les grandes nations dĆ©mocratiques du monde, le sacrifice de soldats morts au service de la nation ne peut ĆŖtre Ć©clipsĆ© par aucun autre Ć©vĆØnement et nous avons sous les yeux, tous les jours, les hommages que les mĆ©dias publics europĆ©ens ou amĆ©ricains rendent Ć  leurs soldats tuĆ©s en mission.

Car le problĆØme est bien lĆ  : la RTS est une institution publique, la prise en charge de ses agents, de ses moyens, relĆØve de lā€™effort public, cā€™est lā€™ensemble de la communautĆ© nationale qui la fait vivre. Elle nā€™a pas dā€™autre justification que dā€™aider celle-ci Ć  ĆŖtre bien informĆ©e, non pour applaudir, mais pour agir et se dĆ©velopper. Les adieux de notre ambassadeur Ć  Londres passeraient totalement inaperƧus Ć  lā€™opinion anglaise, ceux de lā€™ambassadrice britannique Ć  Dakar ne sont pas une prioritĆ© pour ceux qui suivent les programmes de la RTS Ć  Cascas ou au Cap Skiring, et aucun dā€™entre eux ne saurait dire quelle rĆ©alisation significative le Royaume Uni a accomplie au SĆ©nĆ©gal. Yoweri Musevini nā€™est pas Mandela, peu de SĆ©nĆ©galais peuvent localiser son pays avec prĆ©cision, son sĆ©jour nā€™a pas le statut dā€™une visite officielle et il nā€™y a donc aucune raison pour quā€™elle occulte ou renvoie aux oubliettes le sacrifice dā€™une armĆ©e qui, Ć  la diffĆ©rence de toutes celles qui lā€™entourent, nā€™a jamais failli Ć  sa mission.

Il nā€™est donc pas Ć©tonnant que, malgrĆ© les moyens colossaux qui sont mis Ć  sa disposition, malgrĆ© sa double chaine et ses stations relais, malgrĆ© les monopoles et lā€™exclusivitĆ© qui lui sont souvent garantis, malgrĆ© le financement public qui lui permet de ne pas dĆ©pendre de la publicitĆ©, la RTS ne soit pas la tĆ©lĆ©vision la plus regardĆ©e du SĆ©nĆ©gal. Car son excĆØs de zĆØle non seulement nuit Ć  sa crĆ©dibilitĆ©, mais il est Ć  la fois improductif et offensant. Nous ne pouvons pas prĆ©tendre ĆŖtre une dĆ©mocratie exemplaire et nous complaire dans la glorification dā€™un homme qui tire sa lĆ©gitimitĆ© du suffrage populaire. Nous ne pouvons pas inviter nos concitoyens au respect de la loi et au sacrifice, sans jamais leur faire une place dans notre quotidien, ni faire croire au peuple que ceux qui le gouvernent sont Ć  son service et laisser notre tĆ©lĆ©vision nationale devenir une lucarne vouĆ©e, prioritairement, au service dā€™un seul. Cā€™est pour cela quā€™il appartient Ć  celui-ci de reprendre, pour le moins, le slogan brandi naguĆØre contre Trump et proclamer haut et fort que ce que fait la RTS, elle ne le fait ni Ć  son nom ni sur ses ordresĀ !

Fadel DiaĀ Ā 

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