Les nouvelles dāintĆ©rĆŖt national justifiant son existence sont ravalĆ©es Ć la rubrique des chiens Ć©crasĆ©s. Lāinformation vise surtout Ć magnifier les actions du gouvernement. Son excĆØs de zĆØle non seulement nuit Ć sa crĆ©dibilitĆ©, mais il est offensant
Le 11 fĆ©vrier, un grave accident fait sur nos routes huit morts et de trĆØs nombreux blessĆ©s, dont certains griĆØvement, et le mĆŖme jour, mais dans une autre partie du SĆ©nĆ©gal, un incendie fait trois victimes, de trĆØs jeunes enfants. Comme si de rien nāĆ©tait, et contrairement Ć la plupart des chaines de tĆ©lĆ©vision privĆ©es, la RTS ouvre sereinement sa grande Ć©dition de vingt heures avecā¦ lāaudience accordĆ©e Ć lāambassadrice du Royaume-Uni, qui quitte le SĆ©nĆ©gal, et enchaine avec un reportage sur une sĆ©ance de travail entre notre ministre des Affaires EtrangĆØres et une dĆ©lĆ©gation de lāUnion EuropĆ©enneā¦
Le 14 fĆ©vrier, sept soldats sĆ©nĆ©galais pris en otage par le MFDC depuis le 24 janvier sont remis en libertĆ©, sans leurs armes et leur Ć©quipement, grĆ¢ce Ć une mĆ©diation de la CEDEAO et de plusieurs ONG. Bien que lāannonce ait Ć©tĆ© faite officiellement par la DIRPA, la grande Ć©dition de vingt heures de la RTS, Ć lāinverse une fois encore des chaines privĆ©es, sāouvre par une audience de lāambassadrice du Niger et un reportage sur la visite Ć Dakar du prĆ©sident ougandais. La libĆ©ration des soldats sĆ©nĆ©galais nāest mĆŖme pas mentionnĆ©e parmi les principaux titres, alors quāelle a fait la une des journaux de TV5 et de RFI, avec tĆ©moignages Ć lāappui !
On pourrait multiplier les exemples et je ne māen tiens quāaux tout derniers, car cāest presque une rĆØgle que notre tĆ©lĆ©vision nationale bafoue souvent nos droits, ignore nos centres dāintĆ©rĆŖt et fait peu cas de nos Ć©motions. Elle nous regarde par le petit bout de la lorgnette et toutes ses camĆ©ras sont tournĆ©es vers le Palais que nāhabite dāailleurs pas le prĆ©sident de la RĆ©publique. Les nouvelles dāintĆ©rĆŖt national, celles qui justifient son existence, sont ravalĆ©es Ć la rubrique des chiens Ć©crasĆ©s, Ć lāexclusion peut ĆŖtre de la victoire du SĆ©nĆ©gal Ć la coupe dāAfrique, et mĆŖme dans ce cas, lāinformation vise surtout Ć magnifier les actions du gouvernement. Nos Ć©coles sont fermĆ©es depuis des semaines, Ć©lĆØves, parents et enseignants dĆ©filent dans la rue, mais il nāy a pas un jour oĆ¹ lāĆ©dition de nuit du journal tĆ©lĆ©visĆ© ne sāouvre par le compte rendu des activitĆ©s du prĆ©sident de la RĆ©publique, souvent dāailleurs plus mondaines que porteuses de vraies innovations. A croire quāil est le seul Ć travailler dans ce pays !
Que faut-il donc faire pour que la RTS soit rĆ©ellement une tĆ©lĆ©vision nationale et publique ? Ses responsables ne peuvent tout de mĆŖme pas ignorer que dans la presse, Ć©crite ou tĆ©lĆ©visĆ©e, il existe une hiĆ©rarchie des informations ? Quāun titre nāest pas anodin et quāon peut mĆŖme dire : dis-moi ce qui fait tes titres et je te dirais quelle presse tu es ! Que le titre est une maniĆØre de rĆ©sumer lāessentiel, que cāest lui qui souvent donne Ć chacun de nous lāenvie de rester devant sa tĆ©lĆ©vision et que beaucoup de tĆ©lĆ©spectateurs changent de chaine quand les titres ne rĆ©pondent pas Ć leur attente !
Un accident de la route de lāampleur de celui qui a eu lieu le 11 fĆ©vrier, au retour dāune manifestation religieuse, est ressenti comme un drame national et mĆ©rite notre compassion. Il est aussi lāoccasion dāappeler Ć plus de prudence sur les routes, dans un pays qui est le champion du monde des rassemblements religieux. La RTS est lāinstrument le plus appropriĆ© pour jouer ce rĆ“le puisquāelle est le seul mĆ©dia qui couvre lāensemble du territoire national. Quant Ć lāincendie qui a fait trois petites victimes, cāest un drame familial irrĆ©parable et le rĆ©vĆ©lateur de lāinĆ©galitĆ© de notre sociĆ©tĆ©, dont la rĆ©paration devrait ĆŖtre lāune des missions des gouvernants.
Les soldats sĆ©nĆ©galais libĆ©rĆ©s par le MFDC Ć©taient en mission de paix en Gambie, au sein des forces de la CEDEAO. lls ont Ć©tĆ© attaquĆ©s en territoire gambien alors quāils nāĆ©taient pas en opĆ©ration de guerre contre les rebelles casamanƧais, mais Ć la poursuite de trafiquants vĆ©reux qui mettent Ć mal notre environnement et notre santĆ©. LāopĆ©ration avait coutĆ© la vie Ć quatre soldats et lāhommage rendu Ć leurs dĆ©pouilles nāavait pas non plus fait lāouverture du journal tĆ©lĆ©visĆ© de la RTS. Dans les grandes nations dĆ©mocratiques du monde, le sacrifice de soldats morts au service de la nation ne peut ĆŖtre Ć©clipsĆ© par aucun autre Ć©vĆØnement et nous avons sous les yeux, tous les jours, les hommages que les mĆ©dias publics europĆ©ens ou amĆ©ricains rendent Ć leurs soldats tuĆ©s en mission.
Car le problĆØme est bien lĆ : la RTS est une institution publique, la prise en charge de ses agents, de ses moyens, relĆØve de lāeffort public, cāest lāensemble de la communautĆ© nationale qui la fait vivre. Elle nāa pas dāautre justification que dāaider celle-ci Ć ĆŖtre bien informĆ©e, non pour applaudir, mais pour agir et se dĆ©velopper. Les adieux de notre ambassadeur Ć Londres passeraient totalement inaperƧus Ć lāopinion anglaise, ceux de lāambassadrice britannique Ć Dakar ne sont pas une prioritĆ© pour ceux qui suivent les programmes de la RTS Ć Cascas ou au Cap Skiring, et aucun dāentre eux ne saurait dire quelle rĆ©alisation significative le Royaume Uni a accomplie au SĆ©nĆ©gal. Yoweri Musevini nāest pas Mandela, peu de SĆ©nĆ©galais peuvent localiser son pays avec prĆ©cision, son sĆ©jour nāa pas le statut dāune visite officielle et il nāy a donc aucune raison pour quāelle occulte ou renvoie aux oubliettes le sacrifice dāune armĆ©e qui, Ć la diffĆ©rence de toutes celles qui lāentourent, nāa jamais failli Ć sa mission.
Il nāest donc pas Ć©tonnant que, malgrĆ© les moyens colossaux qui sont mis Ć sa disposition, malgrĆ© sa double chaine et ses stations relais, malgrĆ© les monopoles et lāexclusivitĆ© qui lui sont souvent garantis, malgrĆ© le financement public qui lui permet de ne pas dĆ©pendre de la publicitĆ©, la RTS ne soit pas la tĆ©lĆ©vision la plus regardĆ©e du SĆ©nĆ©gal. Car son excĆØs de zĆØle non seulement nuit Ć sa crĆ©dibilitĆ©, mais il est Ć la fois improductif et offensant. Nous ne pouvons pas prĆ©tendre ĆŖtre une dĆ©mocratie exemplaire et nous complaire dans la glorification dāun homme qui tire sa lĆ©gitimitĆ© du suffrage populaire. Nous ne pouvons pas inviter nos concitoyens au respect de la loi et au sacrifice, sans jamais leur faire une place dans notre quotidien, ni faire croire au peuple que ceux qui le gouvernent sont Ć son service et laisser notre tĆ©lĆ©vision nationale devenir une lucarne vouĆ©e, prioritairement, au service dāun seul. Cāest pour cela quāil appartient Ć celui-ci de reprendre, pour le moins, le slogan brandi naguĆØre contre Trump et proclamer haut et fort que ce que fait la RTS, elle ne le fait ni Ć son nom ni sur ses ordresĀ !
Fadel DiaĀ Ā