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samedi, mai 18, 2024
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Hypothèses pour une présidentielle incertaine

par pierre Dieme

La tension est palpable. En fait, le chaos est déjà là, il est juste à bas bruit. Que va-t-il se passer d’ici février 2024 ? La stratégie du « Tout sauf Sonko » va-t-elle prospérer ?

Les Sénégalais sont fâchés ! L’irritation voire la colère entretiennent le climat délétère qui prévaut dans le pays. Pour les uns, Macky Sall prend en otage les Sénégalais en entretenant un flou politicien autour du troisième mandat ou du deuxième quinquennat. Ce faisant il sape au quotidien les bases institutionnelles de la démocratie et du coup menace les fondements de la paix sociale. Pour les autres, l’opposition, en particulier Ousmane Sonko, se comporte en pyromane qui cherche par tous les moyens à plonger le Sénégal dans un chaos qui pourrait être préjudiciable à cette altérité qui participe au vivre-ensemble, au fait de vivre les uns avec les autres en bonne intelligence. 

Il y a comme une odeur de chaos annoncé. On baigne dans l’odeur du laxisme, dans l’odeur de la manipulation à grande échelle, dans l’odeur de la violence, dans l’odeur de l’inacceptable. Le pays semble sortir du cercle de raison. La tension est palpable du fait de l’incertitude par rapport à l’avenir immédiat. Que va-t-il se passer d’ici février 2024 ?   Macky sera-t-il candidat ? Et Sonko ? Khalifa ? Idy ? Quid de Karim ? La candeur de l’utilisation des prénoms ou du nom de famille des potentiels adversaires politiques ne cache pas l’éréthisme derrière chacune de ces interrogations. 

Macky Sall en chef d’orchestre met-il l’intelligence politique sénégalaise à l’épreuve puisqu’elle doit être aujourd’hui mesurée à la quantité d’incertitudes qu’elle est capable de supporter ?

A un an de l’élection, à quelques semaines de la pré-campagne électorale, aucune de ces questions n’a pour l’heure de réponse précise. Certains diront même que la campagne électorale a déjà commencé avec les tournées présidentielles de Macky Sall dans les régions et les meetings organisés notamment par Ousmane Sonko et Khalifa Sall à travers le pays. 

L’impossibilité de répondre à des questions que tout le monde se pose au quotidien ne favorise pas la tranquillité si importante pour assurer une certaine sérénité collective. Faute de réponse précise, dans ce climat anxiogène, l’analyste est réduit à élaborer des hypothèses qui paraissent les plus probables, en fonction non seulement des rapports de force mais aussi d’une anticipation des actions des différents acteurs. 

Les différentes hypothèses présentées dans cette analyse, sont basées sur le postulat de l’inéligibilité d’Ousmane Sonko que nous considérons comme acquise ainsi que nous l’avons indiqué dans notre précédente contribution sur SenePlus intitulée « Sonko est out ».

Le mésuage de la Justice par l’actuel président de la République y compris avec sa récente réorganisation par le Conseil Supérieur de la Magistrature apporte de l’eau au moulin de ceux qui dénoncent la constante instrumentalisation de cette institution par l’exécutif. Malgré le caractère protéiforme et polymorphe de la stratégie politique de Macky Sall, il apparait que le moment électoral peut se résumer à trois mots : « Tout sauf Sonko ». Que ce soit par le biais d’une condamnation pour diffamation ou encore pour viol, il ne reste que peu de doutes qu’Ousmane Sonko ne sera pas sur la ligne de départ pour 2024 à moins que la rue n’en décide autrement et cela à coût humain qui pourrait être fort élevé. Qui au XVIIIè siècle rappelait qu’il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la Justice ?

Sonko out de la course à la présidentielle, que se passerait-il ? Comment les différents leaders s’aligneraient ils ? Quels jeux d’alliances éventuelles ? Nous examinons ici quatre hypothèses.

Première hypothèse : Macky inéligible, Khalifa et Karim éligibles

Dans l’article « Sonko est out », contrairement aux doxas de la classe politique, est clairement mis en avant l’idée selon laquelle Macky Sall ne sera pas candidat à la présidentielle de 2024. Une telle décision serait rendue publique au moment approprié pour servir de contre-feux à l’annonce de l’inéligibilité d’Ousmane Sonko de manière à calmer la rue et à faire accepter l’idée de la non-participation du leader de Pastef à l’élection. 

En admettant que Macky Sall passe à l’acte dans sa promesse d’amnistier Khalifa Sall et Karim Wade, il n’est pas exclu de se retrouver alors dans une situation où un accord politique basé sur un programme commun de souveraineté minimum soit signé entre Khalifa Sall et Ousmane Sonko : sortie du franc CFA et suppression dans un délai court des bases militaires françaises et des accords de défense avec ce pays. A ce programme s’ajoutera la mise en œuvre d’une bonne partie des conclusions des Assises nationales. Toutes ces conditions justifieraient tout à fait qu’Ousmane Sonko puisse soutenir la candidature de Khalifa Sall qui, une fois élu, pourrait organiser des législatives anticipées qui feraient du leader de Pastef le président d’une Assemblée nationale digne de ce nom, véritable institution indépendante de l’exécutif. 

Le Sénégal retrouverait sa saveur d’antan, celle de l’époque du couple Senghor-Dia.  Une grande différence cependant : ici, la base du partenariat sera claire parce que programmatique spécifiant même que Khalifa Sall ne sera pas éligible en 2029 du fait de son âge. Cela laissera ouvert un boulevard au tout compte fait jeune Ousmane Sonko qui n’aura que 55 ans à l’échéance de 2029.  

Cette hypothèse est-elle probable ? La difficulté première est de pouvoir anticiper le niveau de sophistication et de maturité des principaux protagonistes en particulier Macky Sall et Ousmane Sonko. La seconde difficulté pourrait être liée aux pressions que la France pourrait exercer sur le socialiste senghorien Khalifa Sall pour saborder un accord qui comprend un programme minimum de souveraineté. 

Cependant, si l’optimisme légendaire des Sénégalais qui préfèrent être dans l’affirmation, devait prévaloir, cette hypothèse permettrait au Sénégal d’avoir une transition tranquille et pacifique et au bout du compte tout le monde y trouverait une partie de son bonheur, y compris l’actuel président qui sait ne pas risquer de représailles de la part d’un Khalifa Sall à la tête de l’État. 

Il est également tout à fait possible que Pastef se considérant à la porte du pouvoir décide d’avoir son propre candidat. Bassirou Diomaye Faye ou moins probablement Biram Souleye Diop ? Dans un tel cas, pourrait-on assister à un remake de l’exploit des dernières législatives où la liste des suppléants inconnus de Yewwi Askan Wi a remplacé au pied levé une liste de titulaires porteuse de figures de premier plan dans le jeu politique sénégalais ? En faiseur de roi, Sonko pourrait tout simplement être tenté de mettre un de ses lieutenants sur le trône. Le risque d’une telle option serait de faire sortir du bois un troisième larron qui pourrait créer la surprise. Amadou Ba ? Idrissa Seck ? Mimi Touré ? Qui sait ! 

Deuxième hypothèse : Macky inéligible, Khalifa et Karim également inéligibles

Cette hypothèse ainsi que la quatrième sont peut-être celles qui produisent le plus d’incertitudes et qui peuvent plonger le Sénégal dans une instabilité politique indescriptible. Dans cette hypothèse, Khalifa Sall et Karim Wade ne sont pas amnistiés. Depuis quelques semaines, la claustration des pensées politiques de Macky Sall pourrait laisser croire qu’il n’a pas, ou n’a plus, l’intention d’amnistier ces deux potentiels rivaux à la présidentielle de 2024. 

Dans un tel schéma, on pourrait se retrouver avec un trio de tête comprenant Amadou Ba, Idrissa Seck et Mimi Touré. Ne pas exclure non plus qu’un candidat soutenu activement par Sonko et Pastef puisse sortir du bois et créer la surprise. 

Une telle option offrirait à l’ancienne Première ministre Mimi Touré une bonne carte à jouer si elle arrivait à obtenir le soutien de Khalifa Sall, de Barthelemy Dias, de Guy Marius Sagna et pourquoi pas d’Ousmane Sonko et de Pastef. Il faudrait une bonne dose de réalisme politique pour en arriver là parce Mimi Touré, selon ses critiques, a été plutôt véhémente à l’endroit de Sonko et de Pastef ces dernières années. Cette probabilité semble donc difficile à imaginer mais elle n’est pas à exclure en fonction de l’évolution des rapports de force dans les prochains mois d’autant plus que ces derniers jours Mimi Touré s’est beaucoup rapprochée de Guy Marius Sagna et même de la ligne Sonko.

Troisième hypothèse : Macky éligible, Khalifa et Karim éligibles

Dans ce cas de figure comme dans le premier Khalifa Sall sera certainement le favori en particulier s’il est ouvertement soutenu par Sonko et Pastef, ce qui serait peu probable si l’on considère que le leader des Patriotes préfèrera avoir un candidat sorti des rangs de son parti. L’assomption ici est que Macky Sall, même s’il arrivait au deuxième tour n’aura que peu de chance d’obtenir un score comparable à celui d’Abdoulaye Wade en 2012. 

Quatrième hypothèse : Macky éligible, Khalifa et Karim inéligibles

Cette perspective est annonciatrice d’un possible chaos politique au Sénégal. Mais si l’Etat arrive par extraordinaire à contrôler la rue, ce schéma offre une ouverture à Mimi Touré en particulier si elle obtenait le soutien des inéligibles Khalifa Sall et peut-être Ousmane Sonko.

Dans toutes les quatre hypothèses envisagées, Macky Sall sera soit inéligible soit battu de manière décisive par son challenger quel qu’il soit. Toutes les hypothèses mettent en avant l’idée selon laquelle, au résultat, la question d’une nouvelle candidature de l’actuel président de la République apparait relativement futile politiquement bien qu’elle soit, pour certains, une question de principe et de Droit. Dans tous les cas de figure, il apparait que Macky Sall ne sera pas le président du Sénégal à l’issue de l’élection de février 2024.

Y a-t-il une cinquième hypothèse qui aujourd’hui ne semble pas évidente mais que la réalité pourrait voir germer dans les semaines ou les mois à venir ? Peut-être, mais dans un tel cas, cette hypothèse créerait un moment historique surprenant de la vie politique du Sénégal et deviendra à n’en pas douter un cas d’école dans les annales de l’histoire politique africaine qui sera enseignée dans les décennies à venir. 

Des voix, dont certaines surprenantes, agitent depuis quelques jours l’idée d’une suspension des procédures judiciaires contre Sonko jusqu’après la présidentielle. C’est un peu cela la pratique, ou plus exactement la tradition, aux États-Unis où même les enquêtes judiciaires concernant les candidats à la présidence sont suspendues à quelques mois des échéances électorales. 

Il ne fait aucun doute que la meilleure des options possibles et souhaitables pour le Sénégal serait une élection à laquelle tout le monde, avec ou sans la participation du président sortant, puissent participer. Dans un tel schéma, Sonko serait peut-être le favori pour l’emporter. Et c’est bien là que se trouve l’épine du problème. 

La stratégie de Macky Sall du « Tout sauf Sonko » qui apparaissait être également la perspective de Paris, le grand régent des lieux, peut-elle en fin de compte se satisfaire d’une telle option qui à leurs yeux est bien trop risquée pour la survie du système qui prévaut depuis plus de six décennies ? Depuis quelques mois, il se susurre que Paris préférait s’accommoder de Sonko plutôt que de courir le risque de voir le pays tomber dans les abysses de l’instabilité. 

La force multiplicatrice de l’inaction pousse à entretenir la véhémence colérique des Sénégalais qui se sentent manipulés par juste quelques ambitions individuelles.  Cela est insupportable à la communauté. Le blocage de l’horizon politique crée une structure de permission de tous les excès. Ce champ fertile fortifie les échos des discours populistes au point de mettre le pays sous une étouffante tension que la moindre étincelle peut embraser. Les pleins pouvoirs donnés à la force, c’est la pire des violences qui s’exerce sur tous. 

La mackysation de l’espace public prend aujourd’hui la forme d’un choix entre la violence institutionnelle et politique imposée au plus haut niveau de l’État et une violence populaire plus ou moins manipulée par des acteurs politiques qui opèrent sur un grand écart entre une gauche souverainiste et une droite religieuse et féodale. L’éventail de choix devient binaire du fait de la mackysation du jeu politique. 

C’est cela qui donne cette impression d’étouffement et qui bouche l’horizon. Le cercle de raison est bien celui de la gauche souverainiste mais son alliance avec des forces caractérisées par un anti-intellectualisme notoire et parfois par le rejet de toute forme d’universalisme progressiste obstrue les perspectives d’un avenir générateur de réformes autour de la feuille de route des Assises nationales.

Une chose semble certaine, les Sénégalais sont fâchés. En fait, ils sont déjà en colère. La guerre d’attrition qui se poursuit sous leurs yeux devient insupportable. Leur urgence de clarification ne semble pas être celle du présent de la République. Qui disait que quand c’est urgent, c’est déjà trop tard ? Le chaos est déjà là, il est juste à bas bruit. 

Saxewar Diagne de SenePlus.com 

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