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dimanche, mai 19, 2024
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Entre sévérité, scepticisme et indulgence

par pierre Dieme

Réactions au discours à la nation du président de la république

ELIMANE HABY KANE, LEGS-AFRICA « Il ne suffit pas d’énumérer des réalisations matérielles pour répondre concrètement aux besoins des Sénégalais»

Elimane Haby Kane, président de Leadership, Éthique, Gouvernance et stratégies (LEGS Africa) a décrypté le message à la Nation du président de la République. Disant se référer aux réalités du terrain, il considère que le discours du chef de l’Etat se présente plus comme un moment de communication politique qu’autre chose. Prenant acte du fait que le président Sall a essayé d’apprécier de manière objective les conditions de vie des Sénégalais, Elimane Haby Kane n’en estime pas moins qu’il ne suffit pas d’énumérer des réalisations matérielles et d’en annoncer d’autres pour répondre concrètement aux besoins et préoccupations des Sénégalais.

Elimane Haby Kane, président de Leadership, Éthique, Gouvernance et stratégies (LEGS Africa), interrogé par Le Témoin, convient que, effectivement, les réalisations physiques, comme les infrastructures routières et sociales, sont importantes. Elles doivent être, selon lui, corrélées à l’évolution démographique et à la qualité de la gouvernance de même qu’à la pertinence des choix économiques et à la rentabilité des modèles économiques. Ce de manière surtout à voir leurs impacts réels sur les populations les plus pauvres. Le sociologue dit avoir la fâcheuse impression que certains ouvrages sont plus pour approfondir ou créer de nouvelles inégalités que de répondre vraiment aux besoins sociaux. « L’autoroute à péage qui est un ouvrage très rentable le restera pour l’entreprise exploitante et maintenant pour l’Etat. Ce alors que les usagers ne bénéficient pas d’une baisse des tarifs. Les populations riveraines, qui vont continuer de vivre les externalités négatives de l’infrastructure, ne bénéficient pas de cette rentabilité. Jusqu’à ce jour, rien n’est prévu pour les collectivités territoriales traversées par l’autoroute qui auraient dû avoir une part des actions de SECAA et siéger au Conseil collectivités d’Administration pour orienter les décisions internes d’investissements et les dépenses sociales de l’entreprise »,regrette Elimane Haby Kane, président de LEGS Africa.

Malhonnêteté intellectuelle du discours du Président Sall

Allant plus loin, le sociologue estime que la communication du président Sall est entachée de malhonnêteté intellectuelle. A l’en croire, en effet, la renégociation ne concerne pas seulement le contrat initial de 2009. Mais, elle concerne aussi celui du prolongement de 2014 émaillé d’irrégularités (voir livre Thierno Alassane Sall). « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. C’est ce contrat qui avait déjà prévu l’entrée de l’Etat dans le capital à hauteur de 25 %. Pourquoi rien n’a été fait depuis ? Il n’y a que le régime de Macky Sall pour expliquer cette léthargie », rappelle-t-il. Selon toujours Elimane Haby Kane, il est difficile de croire que les finances publiques du Sénégal sont performantes au moment où le seuil d’endettement est plafonné à 70 %. « Si on reste dans le paradigme économique qui cautionne les critères de convergence du FMI, l’endettement n’aurait pas été un problème si c’était fait en monnaie locale et avec des prêts concessionnels. Ce qui n’est pas le cas. La dette va nous coûter désormais plus cher dans la mesure où il faudra s’endetter sur le marché à des conditions et taux plus difficiles. La trésorerie peine à poursuivre le rythme des projets ambitieux et parfois superfétatoires et, en même temps, faire face au fonctionnement régulier des services de l’Etat en déliquescence. A ce propos, le ministre des Finances a déjà expérimenté le système de Ponzi (suul bukki, sullli buki), soutient-il. Les grands projets de Macky Sall, dont l’autoroute à péage et le TER, seraient très révélateurs des inégalités sociales qui prévalent dans notre pays. D’après Elimane Kane, ces infrastructures sont conçues pour ceux qui ont les moyens de payer un trafic aussi cher. Alors que ce sont les populations les plus vulnérables qui subissent les conséquences négatives de ce moyen de transport. « Soient elles sont déplacées et éloignées des centres de décision et des opportunités commerciales, soient elles sont parquées dans des quartiers enclavés par ces ouvrages. Elles font face à des problèmes d’accès aux lieux publics, aux services sociaux de base et aux lieux économiques comme les marchés. Tout cela alors que les populations nanties peuvent se déplacer plus facilement puisqu’elles ont les moyens d’acheter les tickets du TER et se rendre plus rapidement à leurs lieux de travail », décrypte-t-il. « L’autoroute à péage qui est un ouvrage très rentable le restera pour l’entreprise exploitante et maintenant pour l’Etat. Alors que les usagers ne bénéficient pas d’une baisse des tarifs. Les populations riveraines, qui vont continuer de vivre les externalités négatives de l’infrastructure, n’en bénéficient pas. Jusqu’à ce jour, rien n’est prévu pour les collectivités territoriales traversées par l’autoroute qui auraient dû avoir une part des actions de SECAA et siéger au Conseil d’Administration pour orienter les décisions internes d’investissements et les dépenses sociales de l’entreprise », a déploré Elimane Haby Kane, président de LEGS Africa.

L’exclusion des populations démunies

D’après notre interlocuteur, même dans le discours du ministre en charge des Transports terrestres, l’exclusion des populations les plus démunies s’est fait sentir. Le Sénégalais de base ou le peuple réel devrait pourtant être le vrai destinataire de ces moyens modernes de transport public financés de façon exorbitante par l’argent public. Sous ce registre, l’acteur de la société civile insiste sur le fait que le Président élude les sujets les plus importants qui ne sont pas du domaine des « soft and ethical skills », dont l’éducation et la gouvernance. Ceci dans un contexte où l’actualité est marquée par une série de détournements de deniers publics, des rapports d’organes de contrôle classés sans suite, une impunité de plus en plus visible et agressive, une désertion des responsabilités aussi bien du pouvoir Exécutif que du pouvoir judiciaire. Tout cela, malgré l’existence de corps de contrôle comme l’OFNAC. Elimane Haby Kane regrette que le chef de l’Etat n’ait annoncé aucune rigueur dans la gouvernance des deniers publics et n’ait même pas exprimé une indignation. « Au contraire, on soupçonne des deals dans la nébuleuse par laquelle des marchés publics sont octroyés à des entreprises pour l’exploitation du TER », estime le sociologue.

ABOU MBAYE, PRÉSIDENT DU MOUVEMENT RECCU FAL MACKY « On ne peut rendre émergent un pays en négligeant sa jeunesse »

Abou Mbaye, président du mouvement « Reccu Fal Macky », dit avoir écouté un discours très politique qui ne fait que vanter les réalisations du régime de Macky Sall durant les dernières années. Il indique que le président Sall a volontairement refusé d’évoquer les grandes questions qui hantent le sommeil des Sénégalais, dont le troisième mandat et le climat social tendu.

Abou Mbaye, président du mouvement « Reccu Fal Macky », souligne que le président doit apprendre à discuter avec son peuple et le consulter sur les questions essentielles. Mais aussi répondre à ses inquiétudes. Surtout, à l’occasion de ses adresses à la Nation. Il doit tendre une oreille particulière aux populations. « Les hausses des factures d’eau, d’électricité et des prix des denrées alimentaires sont des questions auxquelles le Sénégalais lambda attendait des réponses. Mais surtout des solutions. La question du chômage est l’une des causes des émeutes de mars. Elle n’est pas élucidée. Le Plan Sénégal Émergent n’est qu’une farce. Car, on ne peut pas vouloir rendre émergent un pays en négligeant sa jeunesse qui, normalement, doit être le socle de l’émergence », estime le président du mouvement « Reccu Fal Macky », Abou Mbaye. Abou Mbaye dit qu’il aurait souhaité entendre le président Sall aborder la question du troisième mandat. Et regrette le fait qu’il choisisse toujours d’aborder ce sujet dans les médias étrangers. « Macky Sall doit être reconnaissant. C’est le peuple sénégalais qui a fait de lui ce qu’il est devenu aujourd’hui », ajoute-t-il. Par ailleurs, il félicite le président Sall pour le projet de désenclavement du Nord, porté sur une distance de 2500 Km, ainsi que le port de Dandé Mayo qui va faire naître une dizaine de ports sur 1500 Km dans la vallée du fleuve Sénégal.

ABOU DIALLO, COS M23 « Le Président n’arrive pas encore à déchiffrer le message de la jeunesse »

Abou Diallo, membre du Cos M23 (Comité d’orientation stratégique du Mouvement du 23 juin), dit douter de la sincérité du discours du président de la République. Et soutient que le discours du Président était axé sur ses militants et ses bailleurs. Ce discours, estime-t-il, ne s’adressait pas aux populations qui étaient sorties dans la rue au mois de mars 2021. Bref, martèle-t-il, le Président n’arrive pas à déchiffrer le message de la jeunesse.

A l’en croire, au mois de mars dernier, le président Macky Sall avait dit qu’il avait compris les préoccupations des jeunes. Il avait décrypté politiquement, disait-il, leur message. Hélas, regrette-t-il, il ne l’a pas socialement compris. «Un Président de la République avec tous ses attributs ne doit pas choisir que ces moments (Ndlr, des occasions comme la fin de l’année) pour s’adresser à son peuple », conseille Abou Diallo, CosM23. Il considère que ce traditionnel discours est obsolète. Il est en déphasage avec la réalité du terrain. « Nous pleurons toujours nos morts du mois de mars. Il y a des Sénégalais qui n’ont pas les moyens de se payer un dîner de fin d’année avec la cherté des denrées alimentaires. Et des Sénégalais qui sont dans les zones rurales, dans les profondeurs du pays et qui n’ont pas de salles de classe ni de tables bancs. Au même moment, d’énormes scandales de détournements de deniers publics surgissent », regrette Abou Diallo.

Récurrence des scandales financiers au Sénégal

Le membre du CosM23 appelle le président de la République à appliquer des sanctions pour éradiquer ces actes posés par de grands bandits financiers. Des Sénégalais ont été épinglés dans des détournements de deniers publics au Trésor, à La Poste, à la Lonase. Un marché de gré à gré de 200milliards de francs a été révélé au public. Au même moment, les retraités n’avaient pas encore reçu leurs pensions de retraite. Ce alors qu’on parle à l’Ipres de détournements de tickets de restaurant d’une valeur de 200 millions de francs. Les scandales n’en finissent pas. « Est-ce que le Président de la République croit au contenu local ? Est-ce qu’il a de la peine pour les sénégalais ? Est-ce que le Président de la République est le même locataire d’un appartement à Dieuppeul (Ndlr, plutôt Derklé) qui est devenu locataire spécial du Palais pour laisser les sénégalais dans de telles difficultés avec la cherté du prix des loyers ? », s’interroge Abdou Diallo. Ailleurs, il exhorte le président de la République à réécouter les Sénégalais. « Macky Sall doit se débarrasser de son entourage et des institutions budgétivores. Il doit se débarrasser de son entourage dont il est l’otage s’il n’est pas le complice. Pour le soulagement des Sénégalais, il devrait dire que, désormais, les rapports de l’IGE, de la Cour des comptes et de l’OFNAC seront suivis et traités avec les sanctions nécessaires. Le Sénégal dispose d’une société civile neutre, apte à arbitrer entre le pouvoir et l’opposition », conclut-il.

CHEIKH YÉRIM SECK, JOURNALISTE-ANALYSTE POLITIQUE: « Le chef de l’État inocule l’espoir pour donner un nouveau souffle à son régime »

Cheikh Yérim Seck, journaliste-analyste politique, a projeté un regard sur le discours du chef de l’Etat du 31 décembre 2021. Il constate que Macky Sall a égrené, durant plus de 20 mn, ses réalisations à la tête du Sénégal. Le président Sall, souligne-t-il, n’a pas eu de crainte à aller jusqu’au plus petit détail pour étayer l’utilité de son action à la tête du Sénégal. M. Seck justifie sa perception avec l’exemple du secteur de l’emploi des jeunes, abordé dans le discours à la Nation. Selon le journaliste et analyste politique Cheikh Yérim Seck, le président de la République a dressé le tableau d’un Sénégal en mouvement dans le domaine des infrastructures et des investissements structurants. Un tableau en fer et béton qui contraste avec l’inertie, voire la régression du pouvoir d’achat des Sénégalais. « Dans un contexte de Covid-19 qui a ralenti l’économie, réduit les échanges, aggravé le coût des produits importés et détruit des emplois, Macky Sall s’est voulu optimiste, résolument tourné vers l’avenir, pour offrir à ses compatriotes un futur meilleur que ce présent douloureux » décrypte-t-il. D’après toujours Cheikh Yérim Seck, en attendant de former son nouveau gouvernement, après les élections locales du 23 de ce mois de janvier qu’il veut apaisées, le chef de l’État a fait un discours pour inoculer l’espoir dans le but de donner un nouveau souffle à son régime qui en a fort besoin après les effets dévastateurs des émeutes de mars 2021 et de la pandémie qui sème la mort et la désolation à travers le monde.

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