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dimanche, mai 19, 2024
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Danger de mort au-dessus de la tĂȘte des familles dĂ©munies

par pierre Dieme

À l’instar de plusieurs quartiers de la banlieue dakaroise, Guinaw Rails et Thiaroye sur mer font face Ă  l’équation des bĂątiments menaçant ruine. Un danger permanent pour des familles partagĂ©es entre le marteau des dĂ©penses courantes et l’enclume du loyer

La cĂ©lĂ©bration du Maouloud draine dĂ©jĂ  des foules vers divers horizons du pays. MalgrĂ© cette ferveur, le quartier Guinaw Rails grouille de monde. L’activitĂ© commerciale bat son plein. Fatou Ndiaye propose du petit dĂ©jeuner. Les bols de sauces sont Ă  l’étroit sur sa table. Ses clients s’installent petit Ă  petit. Et le dĂ©bat s’intensifie autour de la violence dans le championnat national populaire « NavĂ©tane Â». Il faut de la patience pour les embarquer dans une autre discussion, celle des bĂątiments menaçant ruine. « Il y en a en pagaille Â», dit Fatou, sereine, la cafetiĂšre Ă  la main. AprĂšs cette assurance, elle indique une maison R+2 Ă  l’angle. La façade est dĂ©crĂ©pie, les murs lĂ©zardĂ©s, les fers Ă  bĂ©ton rouillĂ©s visibles de loin. Et pourtant, des familles y vivent toujours. « Une vingtaine de personnes habitent dans cette maison en location. Leur sĂ©curitĂ© n’est plus assurĂ©e. À chaque saison des pluies, je crains pour leur intĂ©gritĂ© physique Â», compatit la restauratrice. Sirotant sa tasse de cafĂ©, le maçon Ibrahima Coundoul s’inquiĂšte de l’état de certaines bĂątisses. « Le chantier sur lequel nous travaillons actuellement Ă  Guinaw Rails Sud a Ă©tĂ© dĂ©moli aprĂšs l’effondrement de la dalle. De nombreuses familles vivent aujourd’hui dans des maisons menaçant ruine. Elles courent d’énormes risques Â», alerte-t-il. À quelques pas, des enfants jouent sous le balcon d’un bĂątiment Ă  deux Ă©tages. Les murs dĂ©crĂ©pis et lĂ©zardĂ©s mettent en Ă©vidence des bouts de fer Ă  bĂ©ton rouillĂ©. Au rez-de-chaussĂ©e, AĂŻssatou Gaye fait le linge. Le danger est permanent, elle le sait, la peur au ventre. « Nous craignons pour nos vies. Pendant la saison des pluies, nous ne dormons que d’un seul Ɠil. En plus des dalles qui suintent, nous sommes hantĂ©s par l’effondrement des vieux bĂątiments comme c’était le cas, il y a quelques jours, Ă  Thiaroye Gare Â», regrette-t-elle, le visage pĂąle. Sa colocataire embouche la mĂȘme trompette. C’est dans la vĂ©randa qu’Adama Diop prĂ©pare le dĂ©jeuner. Vu l’état de dĂ©gradation trĂšs avancĂ© de leur maison, elle n’imagine mĂȘme pas y rester encore longtemps. C’est une question de temps et d’opportunitĂ©s. « Nous avons peur pour nos vies. Le bĂątiment ne tiendra pas longtemps. À la moindre occasion, je quitte la maison. Notre sĂ©curitĂ© n’est plus garantie Â», reconnaĂźt-elle, assurant ĂȘtre Ă  la recherche d’un autre logement.

Le handicap du loyer cher

Dans une rue de Thiaroye sur mer, l’ambiance est assurĂ©e par des enfants courant derriĂšre le ballon rond. Ils jubilent, crient et se plaignent souvent du passage des automobilistes. Non loin de leur aire de jeu, un bĂątiment attire forcĂ©ment les regards. Ses murs en piteux Ă©tat le dĂ©tachent du lot des maisons joliment carrelĂ©es. Il y en a beaucoup dans cet Ă©tat de dĂ©labrement, d’aprĂšs Ousseynou Samb, un habitant du quartier. « Les bĂątiments en ruine sont lĂ©gion dans la banlieue. Et la menace est grandissante. Nous avons tous une pensĂ©e pour les familles qui y vivent, notamment en pĂ©riode d’hivernage Â», indique Ousseynou, le cure-dent entre les dents.

AĂŻssatou Gaye est obligĂ©e de vivre dans un bĂątiment en Ă©tat de dĂ©labrement avancĂ©, la peur au ventre. « Je n’ai pas les moyens de me payer un appartement, les prix proposĂ©s sont trĂšs chers. En plus, le versement de la caution est actuellement passĂ© de trois Ă  quatre mois Â», se dĂ©sole-t-elle, amĂšrement. Adama Diop n’a Ă©galement pas le choix. Elle affronte la peur en attendant de trouver mieux. MariĂ©e et mĂšre de cinq enfants, elle espĂšre sortir un jour de ce calvaire. « Nous voulons quitter. Le problĂšme, c’est oĂč et comment partir ? Nous payons la chambre Ă  15.000 FCfa depuis plusieurs annĂ©es. Avec cette somme, il est impossible de trouver une piĂšce dans un quartier de la banlieue. Donc nous n’avons pas le choix Â», se rĂ©signe Adama. VĂȘtu d’un boubou traditionnel gris, Abdoulaye SĂšye nous invite Ă  visiter sa chambre Ă  Thiaroye sur mer. Le jeune menuisier mĂ©tallique, hantĂ© par l’état du bĂątiment, s’est servi de tubes en fer pour attĂ©nuer les risques d’effondrement. Trois y sont installĂ©s au total, en attendant de trouver une chambre oĂč il pourra vivre en toute quiĂ©tude. « Personne n’aimerait vivre constamment sous la menace d’un tel danger. Nous y vivons en attendant de trouver des logements plus sĂ©curisĂ©s, plus confortables Â», dit-il. Lui aussi, il se heurte Ă  l’équation de la chertĂ© de la location et au paiement de la caution.

Les bailleurs pointés du doigt

Entre bailleurs et locataires, les relations sont souvent tendues. Abdoulaye SĂšye dĂ©nonce un manque de considĂ©ration de certains propriĂ©taires de maison, qui, dit-il, ne sont intĂ©ressĂ©s que par les versements mensuels du loyer. « Nous avons Ă  plusieurs reprises alertĂ© notre bailleur. Il a toujours fait la sourde oreille. Quand il s’agit de rĂ©fectionner, il disparaĂźt Â», se plaint Abdoulaye. Adama Diop partage ses complaintes. Pour lui, une capacitĂ© d’anticipation des bailleurs aurait permis d’attĂ©nuer les risques et permettre aux locataires de vivre en toute sĂ©curitĂ©. « La plupart des bailleurs sont insensibles Ă  la souffrance des locataires. On ne les voit qu’à la fin de mois alors qu’une meilleure collaboration aurait permis de bien entretenir la maison Â», lĂąche la dame.

 Cependant, une rĂ©fection pourrait exposer sa famille. Car, « aprĂšs rĂ©fection, les bailleurs font de la surenchĂšre. Les tarifs passent automatiquement du simple au double. Les familles dĂ©munies en souffrent Ă©normĂ©ment », dĂ©plore-t-il. Ousmane pointe Ă©galement du doigt l’attitude des bailleurs, qu’il juge « irresponsable ». « C’est anormal que la location passe du simple au triple en l’espace de quelques annĂ©es. Exiger quatre mois de caution, c’est de l’usure. Et quand ils vous demandent de sortir, pour rĂ©fection, sachez que c’est fini pour vous. Ils cĂ©deront les chambres aux plus offrants », s’offusque Ousseynou Samb.

Demba Dieng 

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