Ă lâinstar de plusieurs quartiers de la banlieue dakaroise, Guinaw Rails et Thiaroye sur mer font face Ă lâĂ©quation des bĂątiments menaçant ruine. Un danger permanent pour des familles partagĂ©es entre le marteau des dĂ©penses courantes et lâenclume du loyer
La cĂ©lĂ©bration du Maouloud draine dĂ©jĂ des foules vers divers horizons du pays. MalgrĂ© cette ferveur, le quartier Guinaw Rails grouille de monde. LâactivitĂ© commerciale bat son plein. Fatou Ndiaye propose du petit dĂ©jeuner. Les bols de sauces sont Ă lâĂ©troit sur sa table. Ses clients sâinstallent petit Ă petit. Et le dĂ©bat sâintensifie autour de la violence dans le championnat national populaire « NavĂ©tane ». Il faut de la patience pour les embarquer dans une autre discussion, celle des bĂątiments menaçant ruine. « Il y en a en pagaille », dit Fatou, sereine, la cafetiĂšre Ă la main. AprĂšs cette assurance, elle indique une maison R+2 Ă lâangle. La façade est dĂ©crĂ©pie, les murs lĂ©zardĂ©s, les fers Ă bĂ©ton rouillĂ©s visibles de loin. Et pourtant, des familles y vivent toujours. « Une vingtaine de personnes habitent dans cette maison en location. Leur sĂ©curitĂ© nâest plus assurĂ©e. Ă chaque saison des pluies, je crains pour leur intĂ©gritĂ© physique », compatit la restauratrice. Sirotant sa tasse de cafĂ©, le maçon Ibrahima Coundoul sâinquiĂšte de lâĂ©tat de certaines bĂątisses. « Le chantier sur lequel nous travaillons actuellement Ă Guinaw Rails Sud a Ă©tĂ© dĂ©moli aprĂšs lâeffondrement de la dalle. De nombreuses familles vivent aujourdâhui dans des maisons menaçant ruine. Elles courent dâĂ©normes risques », alerte-t-il. Ă quelques pas, des enfants jouent sous le balcon dâun bĂątiment Ă deux Ă©tages. Les murs dĂ©crĂ©pis et lĂ©zardĂ©s mettent en Ă©vidence des bouts de fer Ă bĂ©ton rouillĂ©. Au rez-de-chaussĂ©e, AĂŻssatou Gaye fait le linge. Le danger est permanent, elle le sait, la peur au ventre. « Nous craignons pour nos vies. Pendant la saison des pluies, nous ne dormons que dâun seul Ćil. En plus des dalles qui suintent, nous sommes hantĂ©s par lâeffondrement des vieux bĂątiments comme câĂ©tait le cas, il y a quelques jours, Ă Thiaroye Gare », regrette-t-elle, le visage pĂąle. Sa colocataire embouche la mĂȘme trompette. Câest dans la vĂ©randa quâAdama Diop prĂ©pare le dĂ©jeuner. Vu lâĂ©tat de dĂ©gradation trĂšs avancĂ© de leur maison, elle nâimagine mĂȘme pas y rester encore longtemps. Câest une question de temps et dâopportunitĂ©s. « Nous avons peur pour nos vies. Le bĂątiment ne tiendra pas longtemps. Ă la moindre occasion, je quitte la maison. Notre sĂ©curitĂ© nâest plus garantie », reconnaĂźt-elle, assurant ĂȘtre Ă la recherche dâun autre logement.
Le handicap du loyer cher
Dans une rue de Thiaroye sur mer, lâambiance est assurĂ©e par des enfants courant derriĂšre le ballon rond. Ils jubilent, crient et se plaignent souvent du passage des automobilistes. Non loin de leur aire de jeu, un bĂątiment attire forcĂ©ment les regards. Ses murs en piteux Ă©tat le dĂ©tachent du lot des maisons joliment carrelĂ©es. Il y en a beaucoup dans cet Ă©tat de dĂ©labrement, dâaprĂšs Ousseynou Samb, un habitant du quartier. « Les bĂątiments en ruine sont lĂ©gion dans la banlieue. Et la menace est grandissante. Nous avons tous une pensĂ©e pour les familles qui y vivent, notamment en pĂ©riode dâhivernage », indique Ousseynou, le cure-dent entre les dents.
AĂŻssatou Gaye est obligĂ©e de vivre dans un bĂątiment en Ă©tat de dĂ©labrement avancĂ©, la peur au ventre. « Je nâai pas les moyens de me payer un appartement, les prix proposĂ©s sont trĂšs chers. En plus, le versement de la caution est actuellement passĂ© de trois Ă quatre mois », se dĂ©sole-t-elle, amĂšrement. Adama Diop nâa Ă©galement pas le choix. Elle affronte la peur en attendant de trouver mieux. MariĂ©e et mĂšre de cinq enfants, elle espĂšre sortir un jour de ce calvaire. « Nous voulons quitter. Le problĂšme, câest oĂč et comment partirâ? Nous payons la chambre Ă 15.000 FCfa depuis plusieurs annĂ©es. Avec cette somme, il est impossible de trouver une piĂšce dans un quartier de la banlieue. Donc nous nâavons pas le choix », se rĂ©signe Adama. VĂȘtu dâun boubou traditionnel gris, Abdoulaye SĂšye nous invite Ă visiter sa chambre Ă Thiaroye sur mer. Le jeune menuisier mĂ©tallique, hantĂ© par lâĂ©tat du bĂątiment, sâest servi de tubes en fer pour attĂ©nuer les risques dâeffondrement. Trois y sont installĂ©s au total, en attendant de trouver une chambre oĂč il pourra vivre en toute quiĂ©tude. « Personne nâaimerait vivre constamment sous la menace dâun tel danger. Nous y vivons en attendant de trouver des logements plus sĂ©curisĂ©s, plus confortables », dit-il. Lui aussi, il se heurte Ă lâĂ©quation de la chertĂ© de la location et au paiement de la caution.
Les bailleurs pointés du doigt
Entre bailleurs et locataires, les relations sont souvent tendues. Abdoulaye SĂšye dĂ©nonce un manque de considĂ©ration de certains propriĂ©taires de maison, qui, dit-il, ne sont intĂ©ressĂ©s que par les versements mensuels du loyer. « Nous avons Ă plusieurs reprises alertĂ© notre bailleur. Il a toujours fait la sourde oreille. Quand il sâagit de rĂ©fectionner, il disparaĂźt », se plaint Abdoulaye. Adama Diop partage ses complaintes. Pour lui, une capacitĂ© dâanticipation des bailleurs aurait permis dâattĂ©nuer les risques et permettre aux locataires de vivre en toute sĂ©curitĂ©. « La plupart des bailleurs sont insensibles Ă la souffrance des locataires. On ne les voit quâĂ la fin de mois alors quâune meilleure collaboration aurait permis de bien entretenir la maison », lĂąche la dame.
 Cependant, une rĂ©fection pourrait exposer sa famille. Car, « aprĂšs rĂ©fection, les bailleurs font de la surenchĂšre. Les tarifs passent automatiquement du simple au double. Les familles dĂ©munies en souffrent Ă©normĂ©ment », dĂ©plore-t-il. Ousmane pointe Ă©galement du doigt lâattitude des bailleurs, quâil juge « irresponsable ». « Câest anormal que la location passe du simple au triple en lâespace de quelques annĂ©es. Exiger quatre mois de caution, câest de lâusure. Et quand ils vous demandent de sortir, pour rĂ©fection, sachez que câest fini pour vous. Ils cĂ©deront les chambres aux plus offrants », sâoffusque Ousseynou Samb.
Demba DiengÂ