Si ça ne dépendait que de Me El Hadj Amadou Sall, Karim Wade et Khalifa Sall allaient vaquer librement sur la scène politique sans entraves. C’est lui-même qui le dit. Invité à l’émission le Jury du dimanche, ce 3 avril, le Vice-président du parti les Libéraux et démocrates – And Suxali, allié du pouvoir, souhaite que tous ceux qui ont de l’ambition pour le Sénégal puissent l’exercer librement. Sans entraves. « De mon point de vue, Khalifa Sall, qui a une entrave dans son action politique, également, mon frère Karim Wade peuvent apporter quelque chose à leur parti et au Sénégal en participant à la vie politique du pays. C’est mon désir le plus ardent de voir tous ceux qui désirent participer à la vie politique puissent le faire sans entraves. Moi-même, je participe à la vie politique sans entraves. D’autres le font. Je pense que ceux qui sont empêchés pour des raisons particulières doivent le faire », a-t-il déclaré.
Comment Karim Wade et Khalifa Sall pourraient-ils participer aux prochaines élections avec les peines qu’ils ont vécues et qui leur privent de droit civique ? Beaucoup d’observateurs de la scène politique invoquent l’amnistie. Ayant été avocat de ces deux personnalités politiques lors de leurs procès qui leur ont opposé l’Etat du Sénégal, Me Sall n’est pas contre. Mais rappelle que cela est du ressort du chef de l’Etat. « L’amnistie est une volonté du président Macky Sall. S’il le décide, tant mieux. En tous les cas, c’est le désir de beaucoup de Sénégalais. Et je fais partie de ces Sénégalais », a indiqué l’ancien ministre de la Justice.
La plaie béante de notre système répressif.
Dans une société politique et démocratique, c’est la loi et la loi seule qui conditionne le code de vie, parce qu’il n’y a de paix que dans la Justice.
C’est pourquoi, une décision qui est rendue par un juge ne peut être légitimée que par le droit.
Autrement dit, une décision juridictionnelle puise sa force obligatoire dans la loi et non dans la seule volonté du juge qui l’a rendu. D’où, la règle selon laquelle, pour être valide, un acte juridique est soumis aux conditions édictées par la loi «Locus regit actum».
Mais en revisitant plusieurs affaires, dans lesquelles des leaders de l’opposition étaient impliqués, on constate que les juges, pour arriver à leurs fins, substituent leur propre volonté aux dispositions de la loi pour prononcer une sanction pénale. L’acte en lui-même constitue, sans nul doute, une violation du principe de la séparation des pouvoirs qui est prévue et sanctionnée par l’article 118 CP.
Et, parce que cette pratique n’a jamais rencontrée l’opposition appropriée, l’opinion a fini par s’y faire. Mêmes les avocats et les universitaires qui sont les gardiens de l’orthodoxie n’y prêtent plus attention alors qu’il s’agit d’une mise à mort du principe de la légalité. C’est l’avènement de l’arbitraire.
Pour illustrer ce qui précède, nous pourrions nous contenter de citer le placement sous contrôle judiciaire du député-maire Ousmane Sonko.
Tout le monde, y compris l’intéressé, pense que le juge était dans son bon droit en prononçant cette mesure qui restreint la liberté d’aller et de venir qui lui est dévolue par la Constitution, sans aucun préalable.
Or, la validité d’une décision de placement sous contrôle judiciaire, est soumise à deux conditions cumulatives : une condition de légalité fixée par la loi, et une une condition d’opportunité qui dépend de la volonté du juge.
Ainsi, le juge d’instruction n’a légalement le pouvoir de placer un citoyen sous contrôle judiciaire que dans le cas où celui-ci est coupable ou complice vraisemblable d’une infraction pénale.
Il se trouve que dans l’affaire sweet beauté, aucune infraction à la loi pénale n’a été constatée par les officiers de police judiciaire qui ont mené l’enquête préliminaire.
Le procureur lui-même, pour satisfaire les conditions essentielles de la légalité de son réquisitoire introductif, a été obligé de s’appuyer sur l’article 77 alinéa 2 CPP, lequel dispose : «Le réquisitoire introductif peut-être pris contre personne non dénommée, notamment en cas de plainte insuffisamment justifiée par les pièces produites».
C’est dire que la condition de légalité, qui pouvait donner force obligatoire à la décision de placement sous contrôle judiciaire du député-maire Ousmane Sonko, n’était pas remplie.
Dans un tel cas, on estime que la décision qui a été prononcée par le juge n’a que la valeur d’une simple «déclaration de volonté» dépourvue de toute force obligatoire. En effet, en agissant de la sorte, le juge ne pourrait invoquer que la suspicion et la présomption de culpabilité, lesquelles ne fondent pas un motif d’inculpation.
Dès lors, le refus de se présenter au tribunal tous les derniers vendredis du mois ne constitue pas un défit à l’institution judiciaire, mais plutôt un refus de s’associer volontairement à la violation de la loi qui est l’expression de la volonté du Peuple, seul souverain.
Maître Amadou Sall, par les propos qu’il vient de tenir, rappelle malheureusement l’immensité du vide que la disparition d’illustres juristes comme Kéba Mbaye, Isaac Forster, Doudou Thiam, Babacar Seye, Babacar Niang, Waldiodio Ndiaye, a laissé à notre pays.
Pour donner du crédit aux conseils qu’il prétend prodiguer à Ousmane Sonko, il a l’obligation de montrer à l’opinion par une analyse claire que la décision de placement sous contrôle judiciaire dont ce dernier a fait l’objet est bien conforme à la loi.
Nous avons l’impression que Maître Sall fait partie de cette classe de soi-disant avocats dont les clients finissent toujours en prison, faute de défenseurs qui soient à la hauteur de leur engagement.
En voilà un qui confond la volonté d’un juge et la volonté du Peuple exprimée en une loi. Mamadou l’a dit ci-dessus, le placement sous contrôle judiciaire nécessite deux conditions cumulatives : une condition de légalité qui relève de la loi et une condition d’opportunité qui dépend de la volonté du juge.
D’ailleurs, il nous souvient que maître Amadou Sall s’était constitué pour la défense de Karim Wade, et comme beaucoup de ses pairs, il s’était contenté de suivre docilement la ligne que lui avait tracée le juge, et évidemment Karim Wade a été condamné à une lourde peine.
Or, dans ce cas de figure, Maître Sall aurait pu commencer par combattre l’inconstitutionnalité et l’inconventionnalité de la loi sur l’enrichissement illicite parce que, tout simplement, l’inculpation de Karim Wade était fondée sur la suspicion et la présomption de culpabilité qui avaient pour conséquence le renversement de la charge de la preuve.
Donc, avec des avocats comme Maître Amadou Sall, les républiques bananières ont de beaux jours sous nos cieux.