samedi, octobre 5, 2024
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Vente clandestine de carburant : la zone des niaise sur une poudrière

par pierre Dieme

Au moment où le chef de l’Etat a donné des instructions au ministre de l’Intérieur de mettre en œuvre, en rapport avec son homologue de l’Environnement, un Plan national de recensement, d’audit et de sécurisation des dépôts de produits chimiques dangereux, dans l’arrondissement de Méouane, au cœur de la zone des Niayes, une centaine de dépôts d’hydrocarbures ont été installés de manière anarchique. Une situation explosive qui a déjà coûté la vie à 6 personnes le 23 février 2018 à Mboro. Le Quotidien est allé suivre les traces du carburant où la vente impliquant toute une chaîne de l’administration est comme une patate chaude entre les mains des autorités. Telle une balle de ping-pong, elles se renvoient la responsabilité et tirent chacune la couverture de son côté.

Mboro. Il est 10 heures. Nichée sur le littoral atlantique, au nord-ouest de la région de Thiès, la commune se morfond dans son enclavement à l’intérieur de la commune voisine de Darou Khoudoss qui la ceinture de partout. Seule commune urbaine de toute la zone des Niayes, la cité ne s’étend que sur une superficie de 310 ha pour une population d’à près 40 mille âmes, soit une densité de 1000 hbt/km2. Sur l’axe principal menant au centre ville, la circulation est déjà dense. Piétons et véhicules se partagent une chaussée assez étroite. Aux abords de la route, le muret érigé comme support pour installer deux cuves artisanales d’une capacité de 15 mille litres de diesel oil, implanté entre un magasin d’engrais et une maison R+1, est toujours debout. C’est l’ancien dépôt de carburant de l’opérateur économique, Fallou Mbaye. Il ne porte plus les stigmates de l’explosion dramatique qui coûtât la vie à 6 personnes. Les murs carbonisés ont été repeints et le dépôt déplacé. Ici, les habitants du quartier riverain des installations hors normes du dépôt de diesel oil, un carburant utilisé dans les périmètres maraîchers, les boulangeries et les pirogues, vivent encore dans le traumatisme du drame survenu un 23 février 2018. Le souvenir de ce jour-là reste vivace dans leur esprit. C’était aux environs de 10h quand le propriétaire du dépôt a requis les services de Pape Ndiaye, un apprenti soudeur métallique, la vingtaine environ, pour lui demander de souder les antivols au niveau de la base d’une des cuves juxtaposées. Lesquelles étaient un peu endommagées. Aussi, inconscient du danger que pouvaient représenter les résidus du combustible restés dans la cuve, le jeune apprenti s’est penché dessus sans précaution pour exécuter des points de soudure. L’irréparable s’est produit quand les étincelles du chalumeau qu’il tenait entre les mains ont jailli pour aller enflammer l’entrepôt en question. Explosif ! Le bilan tient du délire : 6 personnes ont péri. Mame Bassine, en compagnie de son fils bébé Sémou, qui marchandait du poisson sur l’étal de Ndèye Mbaye sont les premières victimes. Moustapha, Guissé et Ibrahima, le gérant de la station, subiront le même sort. Plus chanceux, Pape Ndiaye, le soudeur métallique, sauvé sans doute par le bouclier qu’il portait au niveau de sa tête, est sorti indemne de cette explosion qui lui a, cependant, laissé des balafres, après plusieurs jours à l’hôpital. La puissance de l’explosion est passée par là.
«C’est un douloureux souvenir», confie Papa Mouhamed Diop, un jeune du quartier et témoin du drame. La trentaine, de petite corpulence, l’homme, qui tient son commerce à quelques mètres du lieu du drame, n’arrête pas de répéter : «Je l’ai échappé belle. Parce que j’ai acheté mon petit déjeuner à côté de l’entrepôt juste quelques minutes avant l’explosion. C’était une situation catastrophique. Inimaginable même. C’était la débandade totale. Les habitants étaient désemparés et affolés.» Pour dire le réveil brutal des populations de ce quartier qui n’en reviennent pas encore de la violence inouïe de l’explosion.
Bien sapé, le jeune titulaire d’un master en anglais et d’un master 2 en gestion des projets de s’indigner : «Deux ans avant l’explosion, j’ai alerté deux conseillers municipaux chargés des affaires environnementales de la commune de Mboro sur ce danger. Mais rien. Et le vendredi 23 février le réveil a été brutal pour toute la population de Mboro.» Et de fustiger la désinvolture du propriétaire qui, 6 mois après le drame, a voulu récidiver. «Il a voulu réinstaller une autre cuve sur le même site, mais les habitants de la cité ont dit niet. Cela veut dire qu’il ne s’est même pas soucié des morts.»

Installation anarchique de dépôts d’hydrocarbure
A Diogo, dans la commune de Darou Khoudoss, à 22 Km seulement de Mboro, la situation est presque identique. Les dépôts d’hydrocarbures essaiment de partout et sont même parfois concentrés sur une distance d’au moins 50 mètres, à côté des maisons, d’étals de commerces ou même au bord de la route entre autres lieux trop fréquentés. A la seule différence de ce qui se passe à Mboro, les cuves de Diogo sont enfouies sous le sol. «C’était une exigence du ministère du pétrole et de l’énergie après l’explosion, sous peine de sanctions», explique Ibra Fall. Vêtu d’un boubou deux pièces, l’opérateur économique semble, depuis le début des opérations, favorable à la régularisation du secteur de la vente de carburant diesel. Indiquant le chemin, il marche tête baissée en proie à une sarabande d’idées confuses et de sentiments contradictoires. A la question de savoir si les utilisateurs du carburant sont en train de se formaliser pour arrêter ce commerce clandestin, il sort de sa torpeur. «Oui, nous avons créé une association et un groupe WhatsApp, parce que la vente de ce type de carburant est très présente à Diogo. Nous sommes en train de discuter pour voir comment mieux organiser notre secteur», dit-il. Avec enthousiasme, il nous fait visiter trois dépôts de carburant. Des cuves d’une capacité variant entre 5 mille et 12 mille litres, enterrées dans des fosses cimentées pour éviter toute infiltration du produit dans le sous-sol. Et chaque cuve est raccordée à une pompe d’alimentation qui se trouve à l’extérieur. La pompe est directement connectée aux installations du dépôt composées entre autres d’un groupe électrogène et d’une pompe à eau. «Cela entre toujours dans le cadre de la réglementation, parce que les cuves étaient exposées à ciel ouvert, au vu et au su de tout le monde», indique M. Fall. Visiblement pressé, il nous conduit à la boutique du Secrétaire général de l’Association des utilisateurs de diesel oil, Cheikh Mbaye, qui regroupe une trentaine de membres, avant de s’éclipser. Briefé sur le sujet, M. Mbaye organise vite une rencontre avec les membres du bureau de l’association. Et c’est le président de ladite association qui ouvre les débats. Alioune Mbaye explique : «Nous sommes des exploitants agricoles et cela fait plus de 20 ans que nous utilisons ce diesel. Nous n’avons pas encore de licence pour la vente de ce carburant. Nous sommes ravitaillés par des gérants de stations d’essence.» Des distributeurs de produits hydrocarbures.  Lesquels, poursuit-il, «sont directement fournis par la Société africaine de raffinage, Sar».
Une voix rauque interrompe celle Alioune Mbaye. Il s’agit de celle de Cheikh Mbaye, son Sg. «Avant que ce carburant ne soit livré, il y a toute une procédure à suivre. Il faut d’abord présenter un quota au niveau de la Direction des hydrocarbures. Et pour ce faire, les utilisateurs doivent se regrouper en Gie pour pouvoir avoir le carburant moins cher. Ensuite, il faut qu’ils aillent chercher une autorisation au niveau de la Division régionale de l’environnement et des établissements classés (Drecc) de Thiès. Et à chaque fois, nous versons 50 mille francs Cfa au niveau du Trésor public pour bénéficier de l’autorisation. Elle sera ensuite déposée au ministère de l’Energies, afin que nous puissions bénéficier d’un quota», explique le Sg. C’est ce quota, poursuit-il, «qui définit le tonnage, le nombre de litres accordé par la tutelle à 5 ou 10 maraîchers. Le sésame ainsi obtenu est déposé au niveau d’un distributeur de produits hydrocarbures de notre choix. Et une fois le diesel livré par des gros porteurs au niveau de nos dépôts, le prix du litre varie entre 440 à 450 francs Cfa. C’est ce qui nous permet d’alimenter les 35 motopompes que nous utilisons au niveau des exploitations agricoles de notre association». Aussi et pour boucler la boucle, l’Association des distributeurs de diesel oil de soulever une doléance. Elle veut bénéficier d’une licence de distribution de diesel pour avoir accès directement à la Sar. Parce que, dit-elle, «nous ne voulons plus d’intermédiaire, nous voulons directement être des clients de la Sar. Surtout que, depuis que nous avons enterré les cuves, nous n’avons plus de problème de sécurité».

6 personnes tuées par une explosion à Mboro en 2018
Prenant le contre-pied de l’association des utilisateurs, le président de la Commission environnement de la commune de Darou Khoudoss, Arona Thioune, indique que la délivrance de ces licences doit répondre à des normes de sécurité. Pour lui, le seul fait d’enterrer les cuves n’est pas une garantie suffisante quant à la sécurité des populations et l’environnement. Surtout que rien ne garantit que les fosses cimentées qui accueillent les cuves sont suffisamment étanches pour contenir d’éventuelles fuites du liquide en cas de défaillance. «Cette vente se fait à l’air libre et de façon anarchique. Elle n’est pas normalisée. C’est dans le désordre total. Les gens viennent avec des bouteilles pour être servis et les risques d’explosion sont toujours réels», relève Arona Thioune, qui perd presque son latin quand il s’agit de s’épancher sur la manière dont les dépôts sont installés. «C’est extraordinaire. A Diogo, Fass Boye, Darou Fall, Darou Ndoye, Darou Ndiaye, Séguel, les dépôts sont installés sur la route, devant des maisons», se désole le conseiller municipal.
Le président de la Commission environnement de la commune de Darou Khoudoss préconise ainsi le déplacement des cuves dans des zones dédiées, en l’occurrence les exploitations agricoles. «Le diesel est destiné aux champs, pourquoi le mettre dans les villages ?», s’interroge l’élu qui demande de «retirer toutes les cuves installées dans des maisons pour les amener au niveau des champs puisque c’est la destination finale du diesel. Lequel carburant occupe une place très importante dans l’activité des populations puisque nous sommes dans une commune qui compte 75% de maraîchers. C’est la principale activité économique de la localité». Les acteurs utilisent ce système pour amoindrir la distance de ravitaillement des camions mais il est possible de le leur imposer par le choix de sites faciles d’accès pour les camions citernes de ravitaillement. Sa colère s’accentue à la question de savoir si la collectivité locale a un œil sur la vente de ce type de carburant. «Même si nous avons un œil la dessus, c’est quelque chose qui est extrêmement compliqué. Nous ne sommes pas informés sur le processus. On se lève un beau jour pour constater l’installation d’une nouvelle cuve. La preuve, je ne peux pas dire avec exactitude le nombre de stations informelles qu’il y a au niveau de la collectivité locale. Les quotas sont octroyés à l’insu de la collectivité locale, alors qu’on devait imposer aux acteurs de passer au niveau de la Commission environnement de la mairie au moins pour avoir un certificat de conformité», dit l’élu ; qui regrette : «Nous ne sommes consultés que quand il y a un problème comme ce qui s’est passé à Keur Serigne Touba, une grande mosquée à Darou Khoudoss, où une cuve de diesel était posée tout juste à côté d’un atelier de soudure. La citerne était enfermée dans une petite chambre en zinc au soleil derrière un atelier de soudure métallique. Il y a la chaleur dans la chambre. Il y a les soudeurs et des mécaniciens et la mosquée à côte. Le tout jouxtant des maisons. Nous avons alerté les autorités à savoir le sous-préfet de l’arrondissement, le commandant de la brigade de gendarmerie de Mboro et la Dreec pour une intervention. Cette dernière a demandé au propriétaire d’enterrer la cuve sous peine de voir son permis lui être retiré.» Pour simplement dire «le réel problème de ces cuves».
Il y a toujours des cuves à côté des ateliers de soudure. Un état de fait que dénonce Ndiagua Ndiaye de la plateforme Mboro Sos. Pour ce membre de la Société civile, la faute incombe en grande partie à l’Etat. «Quand vous donnez à des gens la possibilité d’avoir des dépôts de diesel pour une gestion de proximité, il faut au moins et en amont prendre toutes les dispositions sécuritaires requises en la matière», analyse-t-il. Avant d’inviter l’Etat à «corriger tout cela en s’assurant que les gens à qui il donne ces licences les utilisent en tenant compte d’un certain nombre de mesures de protection et de sécurité pour que des accidents de ce genre ne puissent plus se reproduire».

Les autorités se renvoient la balle
«Le diesel oil est un carburant issu du raffinage du pétrole brut. Il est utilisé comme carburant par les exploitations agricoles…Nous fournissons ce carburant aux distributeurs détenteurs de licence de distribution», explique le Directeur général de la Société africaine de raffinage (Sar). Serigne Mboup affirme que «la Sar ne maîtrise pas le circuit de revente des distributeurs à leurs clients», et aussi, elle n’a «pas d’œil sur les dispositions à prendre. La responsabilité de la Sar s’arrête au point de livraison qui est le dépôt», a-t-il tranché. Toutefois tient-il à préciser, «tout détenteur de licence de distribution et de contrat de passage avec un dépôt peut être client de la Sar. Sinon ce n’est pas possible de s’approvisionner directement à la Sar». Alors qui accorde ces licences aux distributeurs de produits pétroliers, si ce n’est le ministère du Pétrole et des énergies ? «C’est le ministère du Pétrole et des énergies qui prend un arrêté pour octroyer la licence aux distributeurs de produits pétroliers mais c’est le Secrétariat permanent du Comité national des hydrocarbures (Sp-Cnh), qui instruit les dossiers et qui fait le suivi», rétorque Mme Ombotimbe Mama Ndiaye, Secrétaire permanent du Cnh. Lequel organe consultatif est composé de représentants de 6 ministères concernés par les activités du secteur des hydrocarbures. Il s’agit des ministères du Pétrole et des énergies, de l’Environ­nement, de l’Intérieur, des Transports terrestres, du Commerce, des Finances. En plus de ces 6 ministères, ledit comité est composé également de la Direction générale du Port autonome de Dakar et celle de la Douane.
Mme Ombotimbe Mama Ndiaye souligne ainsi que «pour utiliser le diesel, l’exploitant agricole doit mettre en place une cuve agréée par la Division régionale de l’environnement pour recevoir toutes les livraisons de diesel qu’il aura commandées auprès des distributeurs». Pour dire que, si ces cuves ne sont pas convenablement installées, c’est «du ressort des services de l’environnement». Parce que, fera-t-elle remarquer, «le stockage d’hydrocarbures est une installation classée, donc c’est l’environnement qui doit s’assurer que l’installation qui a été faite respecte bien les normes environnementales et sécuritaires». Une affirmation corroborée par les distributeurs de produits pétroliers, qui invitent donc les structures techniques déconcentrées de l’Etat à procéder à un suivi rigoureux de toute installation régulièrement autorisée.
La Dreec de son côté, estime que «dans certains cas, les exploitants agricoles, après avoir bénéficié d’une autorisation de l’environnement pour un emplacement déterminé, déplacent les cuves dans des zones non autorisées». Et quelle est la part de vérité de la Douane, une structure qui occupe une place dans la chaîne d’approvisionnement ? «La procédure douanière de régularisation des enlèvements de diesel oil est une obligation à la charge des distributeurs et non des exploitants qui sont, en principe, les utilisateurs finaux. La solution donc à la problématique de l’installation des cuves ne respectant pas la réglementation doit être cherchée du côté des distributeurs, car étant des acteurs majeurs dans le processus», assène la Direction des douanes, qui pense que «le Sp-Cnh, doit recenser toutes les cuves installées dans cette zone et se fixer sur leur situation juridique».

SOURCE PAR NDÈYE FATOU NIANG 

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