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vendredi, avril 26, 2024
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Les terres de l’arnaque

par pierre Dieme

Le besoin pressant d’un toit décent pour «caser» leur progéniture précipite pères et mères de famille à acquérir une parcelle. Mais ce rêve de se loger à coups de millions de FCfa meurt souvent enfoui dans la terre

Au Sénégal, le foncier est un terreau fertile à l’arnaque. Le besoin pressant d’un toit décent pour «caser» leur progéniture précipite pères et mères de famille à acquérir une parcelle. Mais ce rêve de se loger à coups de millions de FCfa meurt souvent enfoui dans la terre. 

Aminata Souadi est encore sous le choc. Au bout du fil, elle ressasse encore l’entourloupe foncière dont elle a été victime. La voix rauque, la respiration saccadée, des tremolos escortent sa voix inaudible quand elle revient sur l’affaire. L’animatrice vedette de la Tfm (Télévisions futurs médias) vit ce cauchemar ineffable depuis qu’elle a été traînée dans la boue par un promoteur immobilier. «Ce litige foncier a bouleversé ma vie. Le souvenir hante mes journées et je ne peux plus avoir confiance en un promoteur immobilier parce que j’ai été vraiment déçue», lance-t-elle, entre deux souffles. Pour Aminata Souadi alias Amina Poté, il a fallu s’armer de patience et de courage. Mais surtout de détermination pour recouvrer ses sous dépensés pour acquérir un toit. «Mon vœu, ajoute-t-elle, c’est de léguer une demeure à mes enfants avant de mourir. C’est pourquoi, j’avais investi toutes mes économies pour acquérir ces parcelles auprès du vieux Thierno Ciss et démarrer la construction, avant d’être sommée par la Dscos (Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol) d’arrêter les travaux. Motif évoqué : les parcelles relèvent du domaine national. Mais, j’ai été trompée par un promoteur immobilier véreux, de surcroît escroc et récidiviste qui, pour gagner la confiance des clients, s’était muni de faux documents administratifs». Mais la supercherie fera long feu. Se sentant «grugée», Poté porte plainte. L’affaire atterrit à la barre…

295 litiges fonciers à Dakar et 1 192 au niveau national, entre 2017 et 2019

Mais quels sont nombreux ces litiges fonciers vidés par les juridictions sénégalaises. Chaque année, nos parquets dénombrent des centaines de dossiers afférents à des problèmes liés à la terre. L’enquête nationale annuelle sur les activités des juridictions révèle que durant l’année judiciaire 2017-2018, les parquets du Sénégal ont vidé 435 dossiers dont 43 classements sans suite pour infractions liées à une occupation illégale de terrain appartenant à autrui et dommage à la propriété immobilière d’autrui. Dans ce lot, 48 cas ont été renvoyés devant le Juge d’instruction. Toujours selon la même étude, fruit d’une étroite collaboration entre le ministère de la Justice et le Programme d’appui au renforcement de l’état de droit 11e FED de l’Union européenne, les parquets de Dakar ont tranché sur 117 litiges fonciers. Et entre 2018 et 2019, c’est au total 178 litiges fonciers que les parquets de Dakar ont traités sur un total de 757 cas, dont 53 classements sans suite au niveau national. Pendant la même année judiciaire, 50 dossiers ont été renvoyés devant le juge d’instruction. Cette enquête nationale annuelle concerne l’ensemble des juridictions, notamment les Cours d’appel, tribunaux de grande instance, tribunaux d’instance et tribunaux du Travail. 

A la barre du tribunal des flagrants délits de Dakar, la plaignante Amina Poté, défendue par le tonitruant avocat Me El Hadji Diouf, obtient gain de cause. Son bourreau, le promoteur Thierno Ciss, est reconnu coupable. Il est condamné à 3 mois de prison ferme et à verser respectivement à Poté et à Serigne Mbaye Cissé (une autre de ses victimes) 5 et 3 millions de FCfa.

Si Poté a porté son combat devant Dame Justice. Tel n’a pas été le cas pour Maty Mbengue. Sénégalaise bon teint, au phrasé policé, la dame de Yoff a, elle aussi, été roulée dans la farine par un promoteur immobilier. Nous sommes en 2003. Aly Cissé qui fréquentait le service de la dame, propose des parcelles à tous ses collègues. Pour ferrer sa clientèle, le promoteur immobilier présente une tonne de papiers à Maty Mbengue et Cie. A la recherche de terrain, la bande à Maty accepte sans arrière-pensée. «Il m’a vendu un terrain de 300 mètres carrés à Keur Ndiaye Lô à environs 650 000 FCfa. Les papiers en main, j’ai pris le soin de borner et de murer la parcelle en 2015.» Mais c’est 3 ans plus tard, en 2018, quand Maty décide d’effectuer des travaux de viabilisation sur le site, que les problèmes commencent et s’enchaînent. «Une fois sur place, j’ai trouvé qu’un autre avait déjà commencé à construire. J’ai eu la surprise de ma vie, je suis tombée des nues.»

Pour entrer en possession de ses terres, Maty Mbengue va se plaindre à la Dscos (Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol). A cette époque, rappelle-t-elle, son vendeur Aly Cissé était emprisonné à Rebeuss pour une affaire de litige foncier. «C’est l’épouse de Aly qui va déférer à la convocation des gendarmes qui lui ont ordonné de me donner un autre terrain. Elle m’a d’abord proposé une parcelle d’à côté, puis un autre très éloigné. Mais il s’est encore trouvé que les deux étaient déjà occupés par d’autres clients de Aly Cissé.» Débute ainsi un long marathon pour Maty. Un véritable parcours du combattant qui ne sera pas du tout repos. «J’ai failli disjoncter, mais je ne voulais pas lâcher l’affaire. Donc, j’ai multiplié les va-et-vient entre mon domicile de Yoff et la Dscos sise sur la Vdn (Voie de dégagement nord).» C’est après avoir fait plus de 2 mois le pied de grue et maints allers et retours à la Dscos, que la dame va obtenir, courant 2019, une parcelle de 150 mètres carrés des mains d’Aly Cissé, élargi de prison. Aujourd’hui, la dame tient une partie de ses terres (150 sur 300 mètres carrés). Elle se contente du peu pour ne pas perdre tout. Maty Mbengue : «Il me doit encore 150 mètres carrés. Je continue à courir derrière lui, mais il ne décroche plus mes appels. C’est un grand truand, il peut vendre un même terrain à plusieurs personnes. C’est du banditisme pur et dur. J’étais obligée de mener l’affaire devant la Dscos. D’autres collègues vivent le même calvaire. Aly a pris leur argent sans qu’ils ne voient l’ombre d’une parcelle.»

«J’ai été berné, car je n’ai pas suivi la voie légale»

Mais le plus souvent, c’est à cause du laxisme que beaucoup se retrouvent dans le pétrin. Sans parcelles. Sans argent. Gadiaga Sène, homme au physique gringalet et au visage balafré, est l’un d’eux. Le quinqua, fonctionnaire de la hiérarchie B, au lieu de suivre la voie légale, a préféré la facilité pour acquérir un terrain à Thiaroye, dans la banlieue dakaroise. A ses risques et périls. «Pour loger ma fratrie de 6 membres, j’avais contracté un prêt dans une banque de la place. Mais malheur m’est arrivé le jour où j’en ai fait part à un promoteur immobilier qui m’a promis de me trouver, au plus vite, un terrain et les papiers y afférents. Deux jours après, on s’est rencontrés et on a finalisé la transaction pour un montant de 4 millions 300 mille francs Cfa. Puis, il m’a remis des papiers qui confirment la vente», détaille Gadiaga Sène. Mais ces documents pourtant signés en bonne et due forme et présentés à Gadiaga étaient en réalité des faux. «Le gars en question n’avait même pas un mètre carré. Je ne sais pas s’il m’avait marabouté ou quoi, car je ne comprends toujours pas comment j’ai pu être berné aussi facilement, alors que je pouvais suivre la voie légale pour l’acquisition d’un terrain.» Seul moyen d’éviter le litige foncier. 

Son litige a mené à un conflit long et coûteux. Mais pour Abdoulaye Ndiaye, il était impensable de baisser les bras ou de perdre cette bataille de la terre. Donc pas de reculade possible. «Il fallait se battre jusqu’à l’éclatement de la vérité. Je n’ai pas cédé à la pression d’hommes hauts placés qui ont voulu jouer les bons offices pour sauver leur promoteur immobilier. Je voulais juste recouvrer mon argent et je me suis battu pour ça», explique-t-il, d’emblée. S’estimant spolié, ce natif de Kaolack a porté plainte contre son «bourreau» au niveau du tribunal de Dakar. Le procès a été renvoyé plusieurs fois pour des raisons judiciaires. Mais au finish, il a été vidé. Abdoulaye Ndiaye ajoute : «Ces bandits à col blanc sont très dangereux. Ils peuvent t’arnaquer sans que tu ne voies venir le coup. Pour mon cas, on m’a vendu une parcelle de 400 mètres carrés dans la périphérie de Dakar, mais ces terres appartenaient déjà à un autre. Et quand j’ai compris que c’était de l’escroquerie à grande échelle très huilée, j’ai porté plainte. Pendant presqu’un an, la Justice faisait son travail. Finalement, le tribunal m’a donné raison et le gars m’a remis tout mon argent.» Une bataille de gagner dans cette guerre sans fin du foncier.  

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