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jeudi, avril 18, 2024
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L’irrespect des corps

par admin

C’est l’énième coup de canif sur les droits de l’homme. Sacrilège suprême : ce sont les morts qui le reçoivent. Comme pour leur dire: vous n’êtes plus sacrés en terre sénégalaise.
Froidement, sans trembler, la cour suprême a donc rejeté hier le recours d’un collectif de sénégalais de la Diaspora pour inverser la décision d’interdire le rapatriement des corps des sénégalais décédés hors du pays. Lourde décision prise à la légère, sans recul ni réflexion, comme à son habitude, par Amadou Ba, le très absent ministre des affaires étrangères, l’un des nombreux zombies à occuper les ministères quasiment hantés à force d’être inutiles du Sénégal.

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Il était certes risqué de la contester par la voie judiciaire non seulement parce que la justice n’en est pas une dans ce pays, inféodée qu’elle y est au pouvoir exécutif jusqu’à en avoir perdu son âme et sa crédibilité, mais qu’elle a été constante dans le soutien à toutes les positions, y compris les fraudes électorales et les complots autour des détournements financiers ou sur les ressources naturelles à l’encontre de la nation.
Elle avait beau jeu, de surcroît, d’asseoir son arrêt sur une clause juridiquement défendable: à circonstance exceptionnelle, comme le rappelle mon avocat, Tidiane Dabo, décision exceptionnelle.

Pour n’avoir jamais empêché le rapatriement des corps de sénégalais de la diaspora, la justice pouvait donc se prévaloir d’être dans son droit en tenant compte du contexte de la pandémie du coronavirus et des risques liés à la contamination, même minimes, qui pouvaient résulter du transfert des corps depuis l’étranger.
Elle ne s’en est pas privée. En infligeant le revers que l’on sait au collectif, la justice sénégalaise reste ainsi droit dans ses bottes, frappée d’un juridisme étriqué, sans se soucier de ce qu’en agissant ainsi elle donne une gifle magistrale aux corps actuels et à venir pendant le Covid19. En plus de rappeler son inanité à une diaspora qui se croit partie intégrante du pays, en raison notamment de son concours inestimable à sa marche. C’est une double insulte.

Disons-le en effet. C’est comme si elle reprenait à son compte la formule d’Andre Laignel, député français de gauche, excité par le triomphe du socialisme français au début des années 1980, et qui s’adressa à la droite dit à ses membres, sonnés: “vous avez juridiquement tort parce que politiquement minoritaires”.

La justice sénégalais ne fait rien d’autre que de traiter par la bande les morts se la diaspora sénégalaise: “vous n’avez pas droit à une sépulture digne de vous dans le pays que vous avez aidé parce que vous n’êtes que des citoyens de seconde zone”.
On peut penser que la démarche proposée par Maître Dabo était plus sage qui revenait à éviter la formalisation de la décision d’Amadou Ba en ne la soumettant pas à une justice qui, du coup, se trouvant dans une marge par trop étroite, ne pouvait que déplaire au souhait des sénégalais de la diaspora.

La voie médiane eut été de trouver une solution par le biais d’une médiature de la République, pour une fois incitée à sortir de son douillet confort, pour arbitrer, avec l’aide de toutes les parties prenantes, une question de société particulièrement émotive.
C’est elle qui aurait même du monter en première ligne en les invitant autour d’une table pour la vider. Sociologues, religieux, médecins, services d’immigration, représentants de la diaspora, chancelleries diplomatiques sénégalaises et étrangères, et même services funéraires auraient alors pu trouver une réponse plus sereine, moins tranchée, à une question si complexe. Y compris par l’adoption de mesures transitoires pour garder les corps à l’étranger pour ne les rapatrier qu’une fois la pandémie maîtrisée et sa chaîne de transmission cassée.

En l’absence de cette approche proactive, inclusive, le mal est déjà fait. Il ne s’agit donc pas ici de pleurnicher sur une enieme décision de justice caractéristique d’un corps remarquable par son degré, toujours plus affirmé, d’asservissement à l’égard du pouvoir exécutif.
La question qui se pose en réalité est celle qui interpelle la diaspora sénégalaise: pourquoi doit-elle continuer de contribuer pour plus du tiers au Produit intérieur brut du Sénégal, représenter un socle de son budget annuel, et se retrouver toujours dans la marge, écrasée et réduite à la portion congrue dans les affaires du pays, en commençant par celles la concernant?
Point n’est besoin de se plaindre mais de se demander pourquoi on en est arrivé à cette frustration, à cette banalisation, pour la résoudre.
Ce qu’induit la question, c’est la nécessité d’une organisation de la diaspora pour cesser d’être un bétail électoral et une vache laitière, un groupe social taillable et corvéable à l’infini sans merci.

Parce qu’ils avaient refusé leur taxation sans représentation par la métropole britannique, 13 colonies américaines, similaires au corpus de la diaspora sénégalaise, se rebellèrent et décidèrent de déclencher ce qui fut la guerre d’indépendance -réussie-pour faire naître les États-Unis d’Amérique tels que nous les connaissons aujourd’hui.

Le temps de la révolte organisée est venue pour la diaspora et en la déclenchant elle peut même provoquer celle, interne, en somnolence, dans le pays.

Il ne sert à rien, sauf à exalter quelques égos, de vouloir transférer la solution du litige né de l’arrêt de la cour suprême à quelque instance supérieure extérieure, même onusienne, puisqu’elle risque de n’être au plus examinée qu’après la période chargée du Covid19: médecin après la mort, sans exclure un autre revers.

Ce qui se passe avec le gouvernement et le corps judiciaire est une interpellation politique. En termes non-savants, il est dit à la diaspora que puisque vous ne représentez rien à nos yeux, nous incarnation de l’Etat du Sénégal, vous traitons en quantité négligeable.

C’est à cette insulte, cette gifle, infligée aux corps de nos morts et à une diaspora renvoyée à ses angoisses, qu’il importe de répondre politiquement en prenant le pari, par une organisation et une mobilisation puissante, de ne plus se laisser marcher sur les pieds. Parce qu’elle compte en son sein les plus talentueux et industrieux des sénégalais, les citoyens de la diaspora constituent une force incroyable qui n’attend que de se réaliser pour jouer son rôle d’avant garde. En s’extirpant du statut secondaire dans lequel, ingrat, l’état du Sénégal la confine.

La gifle de la cour suprême est de celle, plantée en plein visage, que seul, selon un dicton Wolof, celui qui l’a reçue doit rendre.

Sénégalais de la Diaspora, nos morts nous observent. Serons-nous laches face a l’affront qui leur est fait, en même temps qu’il nous minimise?
Plus qu’une justice aux ordres, c’est l’égalité républicaine, y compris celle entre les morts, qui est rompue au détriment des nôtres. Il n’est pas question de laisser passer cette pantalonnade.

Adama Gaye Le Caire 8 Mai 2020

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