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vendredi, avril 19, 2024
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Les raisons des échecs multiples sur l’emploi des jeunes

par pierre Dieme

Tous les régimes successifs du pays se sont cassés les dents sur l’épineuse question de l’emploi des jeunes. De Leopold Sédar Senghor à Macky Sall, tour d’horizon de ces programmes censés vaincre le chômage de masse, qui y ont fait pschitt !

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Quand Wade démantelait le secteur industriel.

Quand le président Abdou Diouf quittait le pouvoir en 2000, c’est le parti de la demande sociale qui l’avait éjecté en s’adossant sur Abdoulaye Wade pour le faire partir. Ce dernier, durant sa campagne électorale de cette même année 2000, demandait partout avec morgue aux jeunes chômeurs qui inondaient ses meetings de lever les bras. C’était une façon pour le Pape du Sopi de dire à son adversaire qu’il avait échoué dans sa politique d’emplois.

Abdou Diouf et l’ajustement structurel

En effet, tout le « règne » du successeur du président Senghor avait été caractérisé par des pertes massives d’emplois sous l’injonction, notamment, de la Banque mondiale. Même les domaines sur lesquels devait reposer le devenir du pays n’ont pas été épargnés au nom d’une politique d’ajustement structurel fondée sur la réduction des emplois de la fonction publique pour engranger des économies et renflouer les caisses de l’Etat vide au moment où Léopold Sédar Senghor quittait le pouvoir. Des fonctionnaires, parmi lesquels de nombreux enseignants, ont été poussés au départ volontaire et, faute d’offrir des emplois salariés aux sortants de l’Université, les fameux maitrisards, on leur a octroyé des financements pour créer des entreprises. Selon l’économiste Makhtar Diouf, « en 1983/84, l’État, par le biais de la SONAGA (Société nationale de garantie), lance l’opération maitrisards, en direction des diplômés de l’enseignement supérieur. I1 s’agit d’insérer ces derniers comme opérateurs économiques indépendants dans une gamme d’activités sélectionnées : boulangerie, commerce, transport, maraîchage, pêche, mareyage, bijouterie, embouche animale. Les intéressés bénéficient de prêts bancaires à des conditions favorables pour démarrer leurs propres affaires en équipe. Selon les statistiques officielles, le bilan s’est avéré positif : 200 entreprises créées avec 1 800 emplois, dont 500 pour les diplômés de l’université. Mais aucune donnée n’est publiée sur le nombre de faillites et cessations d’activités, qui ont été nombreuses ». La politique de l’emploi est précarisée : Une loi votée en juillet 1987 permet aux employeurs de recourir sans limite au contrat de travail à durée temporaire, à des compressions ou à des licenciements sans suite. D’après les travaux du professeur Makhtar Diouf, le gouvernement du président Diouf supprime des emplois publics pour espérer les retrouver dans une initiative privée. En 1987, il est créé un Fonds national de l’emploi et une Délégation à l’insertion et à la réinsertion (Dire), pour en assurer la gestion, pour insérer les diplômés de l’enseignement supérieur et les travailleurs émigrés sénégalais de retour dans le pays et réinsérer les victimes de compressions de personnel, les déflatés. Il est aussi créé un Fonds spécial de réinsertion pour déflatés de toutes catégories : fonctionnaires candidats au départ volontaire, travailleurs du secteur privé victimes de la NPI (Nouvelle politique industrielle). En 1988, est créée une organisation non gouvernementale, AGETIP, (Agence d‘exécution pour les travaux d’intérêt public contre le sous-emploi). Ces différentes mesures sont des incitations à l’initiative privée. Hélas, le secteur privé lui-même n’était pas épargné par la bourrasque de l’ajustement structurel.

Dégraissage du mammouth socialiste

Selon l’étude du professeur Makhtar Diouf, « le Plan d’ajustement économique et financier à moyen et long terme comporte aussi une mesure importante de redressement des finances publiques relative au gel des dépenses salariales. La part de celles-ci dans le budget de fonctionnement doit être ramenée de 52 % à 49 % : à cet effet, le recrutement dans la fonction publique est bloqué ; les départs à la retraite ne peuvent faire l’objet de remplacements, lesquels ne sont dorénavant possibles qu’en cas de décès ou de démission ». Ainsi « la mise en place des programmes d’ajustement a conduit à des suppressions massives d’emplois selon deux modalités : fermetures d’entreprises et restructurations. De janvier 1981 à janvier 1989, près de 20 000 emplois ont été perdus (soit 14 % de la population salariée) ». C’est dans cette dynamique de dégraissage du mammouth, d’ailleurs, qu’Abdou Diouf et son tout-puissant ministre d’Etat, directeur de cabinet d’alors, Jean Collin, ont pris prétexte du mouvement d’humeur des policiers pour alléger davantage encore la masse salariale publique. Ainsi le 13 avril 1987, 1465 policiers sont radiés par Abdou Diouf avec le support de l’Assemblée nationale qui a voté ladite loi. Jamais dans l’histoire du monde, un Président ne s’était séparé auparavant, pour des raisons budgétaires, de sa police nationale qui est un maillon important dans la sécurisation de son pays. Mais pour le couple Diouf/Collin, ce mouvement constituait une aubaine pour satisfaire une des exigences des institutions de Bretton Woods. Ce même si, des années plus tard, quelques-uns d’entre ces policiers ont été intégrés dans une police municipale créée à cet effet. Le secteur de la santé aussi subira les contrecoups des injonctions de la banque mondiale et du FMI. « De 1985 à 1989, seuls 12 médecins ont été recrutés dans la fonction publique, en remplacement de 22 partants (décès, retraites, départs volontaires) » selon le Professeur Diouf. Ainsi les secteurs sociaux les plus vitaux, la santé et l’éducation, en plus d’un autre d’une importance névralgique, la sécurité ont subi les bistouris du Gouvernement sous la dictée de la Banque mondiale et du FMI. Et en lieu et place des maîtres et professeurs diplômés des écoles de formation, des enseignants bon marché ont été recrutés. C’est la fameuse époque des volontaires et des vacataires de l’Education nationale. Certes, les clignotants économiques sont devenus verts à la veille de l’an 2000 mais les Sénégalais avaient fini de s’appauvrir parce que sans emplois, sans pouvoir d’achat. D’ailleurs, la demande sociale pressante sera à l’origine de l’éjection démocratique de Diouf du pouvoir. On avait alors parlé de son terrassement par Pds, non pas Parti démocratique sénégalais de son tombeur Abdoulaye Wade mais Parti de la Demande sociale !

Wade démantèle le secteur industriel

Abdoulaye Wade, qui avait surfé intelligemment sur le chômage chronique des jeunes, a remporté l’élection présidentielle de 2000. Hélas, lui aussi sera rattrapé par la réalité du terrain. Malgré un recrutement massif dans la fonction publique, Wade échoue dans la politique d’industrialisation, secteur pourvoyeur d’emplois. Paradoxalement, il s’est évertué à détruire des entreprises florissantes comme les Industries chimiques du Sénégal (Ics), première entreprise du Sénégal en matière de recettes et de performance économique. Ce fleuron, après avoir frôlé la faillite, a été racheté pour une bouchée de pain par des Indiens basés en Indonésie. La Sonacos sera bradé à 5 milliards alors que, sous le régime du président Diouf, une offre de 50 milliards avait été rejetée. Malgré la mise en place de structures de financement d’emplois pour les jeunes comme le FNPJ, l’ANEJ, l’ONFP, l’OFEJBAN, Abdoulaye Wade n’a pas su matérialiser ses promesses de campagne de 2000. Le secteur privé n’a pas beaucoup été beaucoup soutenu sous son magistère. Au contraire des entreprises nationales ont été démantelées au profit des étrangers. Talix Group, entreprise de BTP appartenant à Bara Tall, a été combattue par Karim Wade et son père. Elle a été privée de marchés pour avoir refusé lors du sommet de l’OCI d’accepter une proposition sous-tendue par la corruption. Pire, l’entrepreneur aura des démêlés judiciaires dans l’histoire des chantiers de Thiès avec l’Etat. Faute de marchés, Talix Group a supprimé des centaines d’emplois au point que Bara est allé en un moment donné s’établir Gambie sur proposition du président Jammeh. En 2011, le taux de chômage des jeunes actifs était estimé à 12,2 %. Le taux de chômage des diplômés du supérieur était particulièrement élevé car se situant à 31 % en 2011 contre 16 % en 2005. Acculé par la demande sociale, Wade sera battu par Macky Sall qui, lui aussi, pour remporter la mise promet durant sa campagne électorale de 2012 de créer des 100 000 emplois par an. Ce qui ne représente rien dans un pays où presque tous les jeunes sont au chômage.

Macky Sall anéantit son secteur privé

Une fois au pouvoir, à l’instar de Wade, Macky Sall créera des structures de financement ou de promotion de l’emploi à savoir la Der, l’Anpej, le Fnpj et le Prodac. En même temps, des structures de financement ou d’encadrement des entreprises comme le Fongip, le Fonsis et la Bnde (avec une majorité du capital détenue par le privé pour cette dernière) voient le jour. Malgré l’existence de toutes ces structures, l’emploi des jeunes demeure un casse-tête pour Macky Sall. Le défaut de rationalisation de ces institutions de promotion de l’emploi, le pilotage à vue, le financement sur fond de clientélisme électoral sont les principales causes du manque d’efficacité, voire de l’échec, des politiques et programmes de promotion de l’emploi de la politique mis en œuvre par le président Macky Sall. En faisant le bilan en marge du Conseil interministériel sur la création et la politique d’emploi, tenu le 19 mai 2016, Seydou Guèye, porte-parole du Gouvernement, avait indiqué ceci : « On peut dire que, de 2012 à aujourd’hui, notre système a contribué à la création d’emplois puisque aux dernières statistiques sur l’emploi et le travail, nous avons créé 234 260 emplois hors secteur agricole et hors secteur rural, hors d’autres domaines de création d’emploi et d’activités. » !

Bara Tall, Kabirou Mbodj, Bougane Guèye Danny out

Le lundi 31 décembre 2018, le chef de l’Etat, Macky Sall révèle la création de plus de 491.000 emplois. Des chiffres évidemment démentis par la réalité du terrain. Et même à supposer que ces emplois aient été effectivement créés, combien ont été perdus et détruits durant la même période ? Rien qu’entre 2012 et 2015, 420 entreprises ont fermé entrainant ainsi des milliers de pertes d’emploi.

Bara Tall, qui pensait que Macky qu’il a soutenu politiquement et financièrement allait réhabiliter son entreprise agonisante, a vu la situation de son entreprise empirer. L’actuel président préfère les Turcs, les Chinois, les Français plutôt que les nationaux dans les travaux de BTP que nos entrepreneurs locaux savent aussi bien faire que ceux-là susnommés. D’autres entrepreneurs subissent le même sort que Bara Tall. Kabirou Mbodj, fondateur de Wari, a été combattu au profit de Orange Money des Français. Ce même Kabirou Mbodj qui voulait racheter Tigo a vu Free (entreprise française) lui ravir la vedette grâce à la complicité de l’Etat. Plusieurs emplois promus par Wari sont en train d’être perdus. Bougane Guèye Danny a fini par fermer son service de transfert d’argent Joni Joni parce que l’Etat l’a combattu pour les Français et en plus le propriétaire, leader du mouvement Guëm sa Bopp est considéré comme un adversaire politique qu’il faut anéantir. Joni Joni qui faisait 17 milliards mensuels était devenu une menace pour Orange Money. Aujourd’hui, 350 emplois directs sont perdus en sus des 19 000 indirects.

Aïda Ndiongue victime de sa posture politique

On peut dire la même chose pour la « lionne » Aïda Ndiongue dont les entreprises sont fermées parce que l’Etat a saisi illégalement ses biens estimés à 14 milliards. Voilà une self made woman qui est parti de sa position d’enseignante pour entrer dans le monde de l’entreprenariat à ses risques et périls. Entreprenante et persévérante, elle a fini par s’imposer dans ce milieu dominé par les hommes. Elle était déjà milliardaire sous le régime du président Abdou Diouf pour ceux-là qui pensent qu’elle a acquis sa fortune sous le régime de Wade. Dans le contentieux qui l’oppose à l’Etat, la Cour d’appel l’a blanchie et a enjoint à l’Etat de lui restituer ses biens. Au préalable, la Crei lui avait délivré une ordonnance de non-lieu. Et devant le Tribunal de Grande instance comme devant la Cour d’appel, la brave entrepreneuse avait été relaxée. Dans toutes les juridictions, Aïda a gagné et l’Etat du Sénégal a perdu. Mais, comme dans un baroud d’honneur, c’est la Cour suprême qui condamne Mme Ndiongue et ordonne la confiscation de ses biens. Dans cette affaire, il faut souligner que la Cour suprême qui ne possède aucun pouvoir d’appréciation, a outrepassé ses prérogatives en refusant la restitution à la lionne du Walo de l’ensemble de ses biens confisqués. Cette juridiction a simplement pour mission de sanctionner la correcte application de la loi par les autres juges appelés juges du fond et non de rejuger. « La Cour Suprême n’est pas un troisième niveau de juridiction, la juridiction suprême a pour mission de contrôler l’exacte application du droit par les tribunaux et les cours d’appel, garantissant ainsi une interprétation uniforme de la loi uniquement sur le droit en sorte que l’interprétation des textes par les tribunaux soit la même sur tout le territoire » dixit Serge Braudo, Conseiller honoraire à la Cour d’appel de Versailles, en France. C’est donc dire qu’Aïda Ndiongue doit recouvrer ses biens afin de reprendre ses activités économiques desquelles dépendent des centaines de pères de famille.

Une politique d’emploi paradoxale !

On pourrait citer à l’infini les entrepreneurs sénégalais qui ont mis la clé sous le paillasson à cause d’une mauvaise politique de distribution des marchés de l’Etat. Car il est permis de se demander comment le président Macky Sall veut-il créer des emplois si concomitamment il en détruit des milliers ? C’est là le paradoxe de la politique d’emploi de l’Etat ! Les récentes émeutes des jeunes Sénégalais, précédées de la traversée suicidaire de l’Atlantique par des centaines de jeunes, valident l’échec de la politique d’emploi de l’Etat. D’ailleurs lors de l’attaque des magasins Auchan, des services Total, un jeune s’est permis de dire à ses collègues manifestants de ne pas toucher la salle de jeu où l’on effectue les paris. « Parce que c’est notre avenir, c’est notre espérance » s’est-il écrié avec conviction. Bien sûr, cette salle de jeu n’a finalement subi aucune égratignure de la part des manifestants qui l’ont protégée comme un trésor. C’est caricatural mais c’est expressif de l’échec de la politique d’emploi du président Macky Sall.

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