mercredi, octobre 9, 2024
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FrancExit: Bye bye Africa…

par admin

Ruse ou réalité? C’est un vrai coup de poker que la France a posé hier en révélant qu’elle avait officialisé la décision de couper le lien ombilical, monétaire, qu’elle entretenait avec un groupe de pays africains à la grande colère de ses contempteurs sur place. Tellurique, la secousse a laissé pantois, interdits, tant de personnes dans ce que l’on appelait le précarré français, la zone d’influence de Paris en Afrique. Son effet a encore été plus retentissant auprès des militants les plus virulents en faveur de l’éviction de la France du continent. Dépassés, disruptés, par ce glacial coup, jeté comme un lourd pavé dans une mare africaine dormante, il en a assommé plus d’un. Tous en sont restés bouche-bée, sans voix.

Grand jeu
Abrégeons. Pour dire qu’il ne s’agit pas là de ces farces ludiques, genre Ludo, ni de ces agitations Tintinesques, qui, hélas, continent d’amuser la galerie dans des pays africains, comme le Sénégal, où l’on ne semble toujours pas se rendre compte que le grand jeu à l’œuvre, accéléré par la survenance du Covid19, est un game-changer. Tout est bouleversé. Tout est remis à plat. On ne se baigne plus dans le même fleuve, aurait rappelé Heraclite d’Ephese. Rien, en un mot, ne sera plus comme avant.
Ce que Paris a fait relève d’un cynisme caractéristique de la haute politique induite par les temps changeants sous nos yeux.
Comme elle l’avait fait avec la Grande Bretagne, après une deuxième guerre mondiale qui les avaient laissées ruinées, quand la France avait su pousser ses colonies à la décolonisation sous contrôle et protégeant ses intérêts, en mode contrôle à distance, c’est, cette fois-ci, avec tact mais insensibilité, qu’elle reprend la formule politique lancée le 28 septembre 1958 par un Général De Gaulle agacé au leader pro-indépendantiste Guinéen, Ahmed Sekou Touré.
Rien n’a changé dans la stratégie, la matière, monétaire, étant elle-même politique.
La France a dit hier aux Africains, d’abord aux militants les plus agités de la rupture des liens post-coloniaux : “Vous voulez votre indépendance monétaire, alors prenez-la”. De sa tombe de Colombey-Les-Deux-Églises, les fleurs qui ont bougé alentour signifient que ce mort-là ne l’est décidément pas. Ses héritiers savent qu’il veille outre-tombe.
Nombreux seront ceux qui s’empresseront de dire qu’en annonçant cette décision dans un contexte où les esprits sont occupés par les terribles conséquences de la pandémie du Covid19, la France n’a pas été “fair”, puisqu’elle a pris de court son monde. De là à y voir une manœuvre voire un chantage et même un sabotage des économies concernées, contraintes de parer au plus pressé, il n’y a qu’un pas…
Ne le franchissons pas. Parce qu’en réalité l’affaire est plus sérieuse et il n’est pas impossible que Paris ait plus mûri son coup, en reprenant le dessus sur les forces adverses qui voulaient forcer sa sortie du continent sur des bases aussi populistes que sans doute patriotiques.
Comme après 1945, quand elle dut, en plus de sa propre incapacité économique, s’inscrire dans la dynamique montante du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes porté par la Déclaration souscrite en 1941, lors de leur rencontre à Terre-neuve, sur les côtes canadiennes, par Roosevelt et Churchill, leaders prééminents d’un monde en guerre, cette décision de lâcher le Cfa est un autre acte de retrait du continent. N’ayons pas peur de penser qu’il est plus disrupteur.

Vieilles conquêtes
C’est que pour une France qui n’a eu de cesse de se rapprocher des grands pays non-francophones du continent, délaissant comme des épouses ratatinées, ses vieilles conquêtes territoriales, il semble que le moment est venu de dire à ces dernières que le jeu est fini.
Est-ce parce qu’elle s’est rendue compte que ces pays mal-gouvernés, corrompus, éternellement déficitaires, ne sont plus tellement son avenir mais un perpétuel fardeau ?
Qui peut lui reprocher de ne pas s’étrangler devant le recul des démocraties dans sa traditionnelle zone d’influence, de noter, comme le relèvent des analystes du Quai d’Orsay, son ministère des Affaires Étrangères, cet effet Pangolin, qui promet de semer désordres et bouleversements multiples dans tant de ces pays, déjà fragiles, incapables de résister aux effets de la crise sanitaire actuelle amplifiée par une autre d’essence économique?
Pour elle, le risque africain est devenu trop grand, davantage que les gains à escompter d’un primat sur des nations promptes à se poser en avenir du monde quand elles ne sont que des paniers troués.
Au surplus, la demondialisation précipitée par la destruction des chaînes de valeurs économiques internationales, la mortalité du corona et les prochaines pandémies trans-frontalières, signe le retour des États-nations, sous le leitmotiv de retour: “small is beautiful”.
C’est le temps des replis identitaires et territoriaux. Fini, le rêve d’une économie/monde.
Être fort a domicile est la nouvelle règle du jeu.
Paris a-t-elle dès lors tort de regarder avec un brin de jalousie les réussites de nations qui ont su éviter i’overstretch, telle, pour ne citer que cet exemple, la Suisse ?
En analysant la froide stratégie de la Grande Bretagne de s’extirper d’une entité quasi-fédérale européenne, l’Union européenne, paralysée, destructice de souveraineté, pour se donner une plus grande marge de manœuvre correspondant à la défense de ses intérêts nationaux, la France a, elle-aussi, du se dire qu’il était préférable de redevenir une nation agile assise sur ses avantages compétitifs afin de mieux négocier ses parts de marchés et alliances, en Afrique et ailleurs.
Son agriculture, son tourisme, ses atouts culinaires, ses services dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la finance, de la mode ou encore de l’industrie lui donnent tant de leviers sur lesquels agir pour s’imposer dans un monde post-Covid19 ou le moi-d’abord, dans la logique de l’America First de Donald Trump, pourrait être la nouvelle boussole de toutes les nations intelligentes.

Pari stratégique
Consciente d’avoir en l’Europe la zone économique la plus puissante de la planète, capable d’y être soit locomotive soit d’y jouer une force de deconstruction de son intégration inhibitante pour la remplacer par une coopération interetatiques plus efficiente, en jouant le rôle de primus inter pares, la France a donc fait le pari stratégique de lâcher l’Afrique francophone à ses démons actuels et à venir, grandissants. Ses déboires dans son intervention militaire au Mali, sans en avoir les moyens financiers, non-aidée par une Organisation des nations-unies (ONU) handicapée par l’égoïsme de tous, son exposition à des risques nouveaux, allant du terrorisme aux pandémies nouvelles, autant que son rejet par une jeunesse africaine qui la prend comme son principal bouc-émissaire, sont des raisons additionnelles pour justifier son apparent parti-pris de tourner les lumières sur une fête franco-africaine qui a cessé d’être gaie de longue date…
Partir ne veut pas dire lâcher le morceau cependant. Dans un monde où le commerce international interdit les discriminations en vertu des normes de l’organisation mondiale du commerce (Omc), qui peut l’empêcher de faire jouer à son avantage ses acquis historiques, ses réseaux, sa connaissance du terrain, son ancrage africain ?
Alors que les pays francophones africains ont continué de se prendre pour des divas attractives, sans jamais se pencher sérieusement sur les transformations essentielles qu’implique un monde bouleversé, se réduisant narcissiquement à s’imaginer en régions recherchées par tous, la France, elle, ne s’est pas contentée de bavarder.
Méthodiquement préparé, y compris à travers l’annonce du découplage du Cfa d’avec le Trésor français faite en décembre dernier par son président, Emmanuel Macron, aux côtés de d’un homologue ivoirien, Alassane Ouattara, et à la veille d’un Sommet des pays Ouest-africains de la Cedeao, l’acte que la France a posé hier devrait être plus qu’un coup de tonnerre dans le ciel du village africain.
Il y manque désormais le visage de ce blanc qu’on accusait de tous les péchés d’Israel.
La France part, préférant prendre la mesure des dégâts attendus de la crise sanitaire actuelle, et elle laisse, sans services sanitaires de qualité, le patient franco-africain dont elle ne peut plus s’occuper ni en être le complément binaire…
La question est: que font les africains? Où sont les voix de la rupture?
Le silence est ici un vacarme. Nous sommes face à nos responsabilités et, dans un geste aussi ironique que symbolique, en laissant une rasta africaine, Sybeth Ndiaye, son porte-parole africaine, annoncer la fin de son compagnonnage avec le Cfa, la France dit: “nous utilisons aussi vos meilleures ressources humaines pour faire notre mue vers un meilleur avenir sans dépendre, ni nous en laisser divertir, de vos états d’âmes et jugements intempestifs de valeur”.

Y-a-t-il quelqu’un en Afrique pour comprendre que le grand jeu à l’œuvre risque de se faire au détriment d’un continent en passe de rater sa place dans la nouvelle configuration géopolitique et économique planétaire en gestation?
Voilà le défi, l’enjeu. Paris s’en lave les mains, en se contentant de ne prendre que ce qui l’y arrange. L’Afrique en devient une simple vache à traire, c’est-à-dire a contrôler vicieusement sans se faire tâcher par ses graves tares, non-résolues, oubliées par ceux qui la gouvernent.

La France agit froidement dans le seul souci de ses priorités. Pour se sauver d’abord, au milieu de la mer agitée que sont devenues l’économie et la géopolitique mondiales.

Comme pour rappeler aux africains francophones qu’il est primordial de ne jamais oublier la formule fétiche de son mythique leader, le Général De Gaulle: “Les États n’ont pas d’amis mais des intérêts”.
Au poker, Macron, a écrabouillé le Ludoman, Mickey.

Adama Gaye, Le Caire 21 Mai 2020

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