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vendredi, mai 3, 2024
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Aminata Touré, c’est votre tour

par pierre Dieme

Il est anormal qu’aucune référence à l’histoire sénégalaise ne soit incluse dans la Constitution. Le respect de l’identité passe avant tout, et c’est à cette condition que le rapport de force entre l’Afrique et l’Europe changera

Faisant suite aux injures d’Éric Zemmour tenues le 25 mars 2022 à l’endroit des Sénégalais (« La plupart des trafiquants sont des sénégalais. »), Aminata Touré, via son compte twitter, avait apporté une réplique cinglante : « Il faut activement poursuivre Zemmour et ses semblables dans les tribunaux de France et de Navarre et en finir avec ce racisme intolérable. »

De nombreuses associations en France ont suivi cet appel à agir sur le terrain judiciaire. Ce fût mon cas après l’exhortation de l’ancienne Première Ministre. Ce n’est pas dans mon habitude de mandater mon Institut Afro-européen à déposer plainte. Je l’ai fait compte tenu de la grande émotion ressentie au sein de la diaspora sénégalaise mais aussi jusqu’au Sénégal, sur fond de campagne présidentielle et d’inquiétude face à la possibilité d’une victoire de l’extrême droite en France.

Il y a quelques semaines, le couperet est tombé ! La division Presse et Protection des libertés publiques du Parquet du Tribunal judiciaire de Paris a classé sans suite ma plainte. Selon la formule consacrée, l’infraction reprochée ne serait pas suffisamment caractérisée par l’Institut Afro-européen que je dirige.

Sur 4 pages, en vertu des lois du 29 juillet 1881 et du 1er juillet 1972, j’avais porté le débat juridique autour de la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une nation. Pour ce faire, j’avais été contraint de me coltiner le visionnage d’une émission nauséabonde, accessible en replay, d’une durée de 1 heure et 10 minutes.

Sans doute une phrase a-t-elle fait douter du succès des poursuites judiciaires par le Parquet : « On ne dit pas que tous les Sénégalais sont des vendeurs de crack. On arrête le cirque habituel. (Sic, Éric Zemmour) ». Ces propos ont été prononcés à la 8ème minute et 20 secondes de l’émission « Morandini Live ».

Les contre-mesures idoines. D’autres associations ont été confrontées à la même réponse du Parquet parisien en se fondant sur cette phrase litigieuse. D’aucuns saisiront le doyen du juge judiciaire pour l’ouverture d’une information. Je reste circonspect même si, à 4 reprises, Éric Zemmour a établi un lien, non démontré et abject, entre les vendeurs de crack et la nationalité sénégalaise.

Alors que, dans une enquête très minutieuse de francetvinfo, le 2 octobre 2018, « Ici, c’est devenu The Walking Dead » : l’insoluble crise du crack dans le nord-est de Paris », la nationalité sénégalaise n’était pas pointée du doigt.

Au lendemain des propos diffamatoires en question, l’ambassadeur du Sénégal en France, SEM El Hadji Magatte Seye, avait évoqué des actions idoines pour laver l’honneur de toute la communauté sénégalaise. Aujourd’hui, après l’émotion relâchée, le silence et l’inaction semblent être la règle du côté de l’État sénégalais.

Il est vrai que, même si Éric Zemmour a été condamné par deux fois sur la base de la loi de 1972 sur le racisme (une des propositions de son programme était d’abolir cette loi), la France et plus généralement l’Europe ont une jurisprudence très favorable pour la liberté d’expression. Celle-ci, a fortiori dans le cadre de la presse, est fortement liée au bon fonctionnement de la démocratie. C’est ainsi que des idées, heurtant et choquant même la sensibilité des uns et des autres, ne sauraient être considérées comme nuisibles en France (voir la relaxe en appel d’Éric Zemmour sur ses propos du Maréchal Pétain et les Juifs).

Que faire alors ? Pour ma part, la responsabilité du Groupe Canal+ est engagée. Un des animateurs vedettes de CNews, Pascal Praud, a récemment reconnu que l’identité française développée par Éric Zemmour a été défendue sciemment dans la ligne éditoriale de cette chaîne. Déjà, le 13 mai 2021, ce même Éric Zemmour, éditorialiste, avait tenu des propos similaires contre les Sénégalais à l’antenne, suscitant la réaction du ministre de la Communication sénégalais, Abdoulaye Diop, en direction du groupe Canal+. La chaîne ne pouvait, dès lors, ignorer l’éventualité d’un nouveau dérapage portant sur le même thème, en organisant la visite d’un camp de toxicomanes à Paris. CNews était en mesure d’anticiper soit par l’insertion d’un avertissement, soit par la modération de son présentateur (qui aurait pu être sensibilisé en amont).

Canal+ a cassé du sucre sur le dos des Sénégalais pour faire valoir les idées nationalistes d’Éric Zemmour et pour soutenir sa candidature à la présidentielle (voir Fox News et Donald Trump). À ma connaissance, le Sénégal a suspendu plusieurs fois pour une courte durée le signal de télévisions privées à la demande du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA). Pourquoi ne pas prendre une telle décision contre le Groupe Canal+ au Sénégal ? Auriez-vous peur d’envoyer un tel message vers les investisseurs étrangers ? Je vous l’assure, le respect de l’identité passe avant tout, et c’est à cette condition que le rapport de force (y compris économique) entre l’Afrique et l’Europe changera ! À moins que l’émotion des diplomates et des hommes politiques sénégalais était surjouée !

Mes deux autres propositions. Aminata Touré a été choisie tête de liste nationale de BBY pour les prochaines élections législatives. Après l’annonce de la prochaine retraite de Moustapha Niasse, la présidence du perchoir, en cas de victoire de la majorité présidentielle, semble promise à Aminata Touré. Ce serait la première fois qu’une femme deviendrait protocolairement la personnalité politique la plus importante après le président de la République.

Dans son compte Twitter, Aminata Touré avait réagi aux propos injurieux d’Éric Zemmour. Cela ne m’étonne guère. Cette femme politique a toujours défendu courageusement le respect du Sénégal et de l’Afrique sur la scène internationale (voir sa confrontation avec l’ancien président français Nicolas Sarkozy, septembre 2019 au Maroc). C’est donc légitimement à elle que je m’adresse.

Le combat continue en France et en Navarre ! Cependant, je crois que la lutte doit surtout commencer en Afrique et en particulier au Sénégal. Il est venu le temps de reconsidérer les rapports entre l’Afrique et le monde occidental. J’ai souligné les raisons de ce changement dans mon dernier édito « L’occident doit mourir » en m’appuyant sur une allocution remarquable de l’historien Iba Der Thiam, tenue lors du dernier FESMAN à Dakar.

Ma première proposition consiste à sénégaliser la Constitution du 22 janvier 2001. Il est anormal qu’aucune référence à l’histoire sénégalaise n’y soit incluse dans son préambule. Certes, la constitution confirme, dès le début, l’attachement du peuple sénégalais souverain à ses valeurs culturelles fondamentales. Pourquoi ne pas préciser davantage ses valeurs culturelles tandis que la même constitution renvoie à l’adhésion à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ? C’est cette même déclaration universaliste française qui permet d’octroyer à la liberté d’expression, parfois raciste, une protection aux propos injurieux d’Éric Zemmour. C’est sur la philosophie universaliste de cette déclaration des droits de l’homme que la colonisation a été justifiée ou que le lobbying LGBT (ainsi qualifié dans son dernier édito par le ministre Latif Coulibaly) se fonde !

Cette constitution a été écrite sous influence française. La géopolitique depuis 2001 a changé. L’indépendance du Sénégal se mesure aussi dans sa loi fondamentale. Je vous recommande d’introduire une nouvelle référence, sans citer leurs auteurs, à la civilisation de l’universel de Léopold Sédar Senghor et à la restauration de la conscience noire par Cheikh Anta Diop.

La Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) dirigée par le Professeur Amadou Makhtar Mbow avait déjà fait un pas vers la sénégalité de la Loi fondamentale. En effet, leurs propositions étaient de rappeler les valeurs culturelles, les valeurs morales et spirituelles du patrimoine commun de l’humanité et le respect des diversités des cultures de la nation sénégalaise. Cette même commission avait supprimé la référence à la DDH de 1789.

Quel rapport entre ces modifications constitutionnelles et le cas d’Éric Zemmour ? Il faut dépasser le cas personnel d’Éric Zemmour. Aujourd’hui, la France et le Sénégal traversent une crise identitaire inédite (prévue par Iba Der Thiam). Ce n’est que le début ! Ce fût le cas avec les propos injurieux d’Éric Zemmour, avec les propos déplacés lors de la nomination de Pap N’Diaye au poste de ministre de l’Éducation nationale, ou encore avec ceux proférés lors de l’objection de conscience du joueur Idrissa Gueye. La nouvelle souveraineté sénégalaise doit passer par sa Loi fondamentale ! Ce serait un acte politique fort non pas pour s’opposer au monde mais pour affirmer le respect dû à l’histoire et à la culture sénégalaise, pour affirmer son modèle culturel innovant. Cheikh Anta Diop et Léopold Sédar Senghor, en dépit de leur affrontement politique, ont mené un combat commun autour de la valorisation de la culture africaine. Comment ne pas en être fier ? Ce sont leurs idées qui, aujourd’hui, cimentent l’unité nationale au Sénégal.

Ma deuxième proposition concernerait l’adoption d’une loi sénégalaise anti-raciste à compétence universelle. Je l’ai souligné : la liberté d’expression, pourtant encadrée par le droit français, est devenue au fil du temps une liberté quasi absolue.

Il faut permettre au Procureur de la République de poursuivre des propos injurieux à l’encontre d’un Sénégalais, voire d’un Africain, et ce sans limites, même si ces propos injurieux ont été exprimés à l’étranger (peu importe aussi si épuisement ou pas des voies de recours internes, si nationalité du ressortissant pas sénégalaise…). Je l’avoue, ce serait révolutionnaire d’un point de vue juridique. De nos jours, la compétence universelle n’est déclenchée que dans les cas de crimes les plus extrêmes comme les crimes de guerre.

Sur la base de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, vous pouvez le faire. Faut-il rappeler que le racisme tue dans le monde ? Cette compétence universelle se serait aussi la consécration d’une approche préventive pour résister face à la montée de la haine raciale et la confirmation de la protection de la diaspora africaine au nom de la Renaissance africaine.

Je continuerai avec mon Institut le combat en Europe. Il est aussi de votre responsabilité politique d’agir en Afrique. À la nouvelle législature, c’est votre tour !

Emmanuel Desfourneaux de SenePlus 

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