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samedi, mai 4, 2024
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Le suicide, un mal profond

par pierre Dieme

En espace de deux mois, (février et mars), le pays a enregistré 11 cas de suicide. Un phénomène qui concerne des jeunes comme des personnes en âge avancé. Qu’est-ce qui peut pousser un individu à mettre fin à sa vie ?

Les morts par suicide se multiplient. Rien qu’au mois de février dernier, 11 personnes ont mis fin à leur propre vie. EnQuête donne la parole à des psychologues et sociologues qui expliquent les raisons de ce fléau. Ils ont également proposé des solutions.  

En espace de deux mois, (février et mars), le pays a enregistré 11 cas de suicide. Un phénomène qui concerne des jeunes comme des personnes en âge avancé. Qu’est-ce qui peut pousser un individu à mettre fin à sa vie ? Selon le sociologue certifié en psychologie, Dr Sanoko Abdoukhadre, joint par EnQuête, plusieurs facteurs, non encadrés, peuvent expliquer le sujet. En ce qui concerne les cas notés au Sénégal, il note un déni des personnalités. ‘’Ce que j’appelle déni de soi-même, c’est le fait refuser en tant que telle une situation ou un état de fait que nous vivons, compte tenu de plusieurs raisons, selon qu’on a découvert des choses qu’on n’aime pas, selon qu’on vit des situations difficiles que nous avons du mal à traverser, selon qu’il y a des surprises qui se sont invitées dans notre vie, qui ont complètement perturbé notre existence’’, analyse-t-il.

Au -delà du déni de soi, c’est-à-dire du refus de sa propre situation ou de sa propre personnalité ou de son propre vécu, il donne un deuxième paramètre, en indexant ce qu’il appelle un certain déséquilibre à travers les émotions. ‘’Aujourd’hui, il se passe une mauvaise gestion émotionnelle de la vie en contexte modernité des sénégalais’’, dit-il. En effet, Dr Sanoko Abdoukhadre souligne que ces derniers ne savent pas comment gérer leur peur, tristesse, angoisse et stress. Cela explique par le fait que les gens ont souvent du mal à pouvoir traverser des moments très difficiles. ‘’Les émotions constituent les socles qui régulent de manière visible et permanente notre vie. Si maintenant, on a du mal à vivre nos émotions, à avoir l’emprise sur nos émotions, ça devient un problème. C’est-à-dire, c’est nos émotions qui nous guident. Fondamentalement, elles peuvent nous conduire à prendre des décisions désastreuses qui frisent la fin de la vie’’, a-t-il expliqué.

 L’autre élément comme facteur explicatif, d’après le sociologue certifié en psychologie, c’est que de plus en plus en Afrique et dans les communautés, il y a une chute des amortisseurs sociaux. ‘’Ce que j’appelle ressort ou amortisseur social, ce n’est rien d’autre que ces mécanismes que nous tirons de la famille, et qui peuvent jouer le rôle de réceptacle, d’exutoire au niveau des citoyens sénégalais, afin de leur permettre de laisser libre cours à leur inquiétude, à leurs frustrations, à leur peur, à leur rêve, à leur fantasme. Donc, tous ces éléments-là, si on a du mal en a discuté avec quelqu’un pour pouvoir se libérer, se décharger de lourds fardeaux qui existent en notre intériorité et que nous n’avons pas à percevoir chez l’individu qui, de manière hypocrite- mais ça c’est nous tous, essaye de jouer, comme disait l’autre, la comédie et des scènes de théâtre, en faisant comprendre à ses interlocuteurs que tout va bien, lorsque, intérieurement, ça ne va pas’’, explique-t-il.

Absence d’intégration sociale des victimes

Selon lui, ces ressorts ou amortisseurs sociaux peuvent être retrouvés dans la notion de famille élargie, surtout, où il a des oncles, des grands-mères, des tantes et cousins de classe d’âge qui constituent des canaux à travers lesquels la personne pouvait partager ce qui lui fait mal. ‘’Malheureusement, aujourd’hui, nous sommes dans une famille nucléaire où en tant que responsable de famille, homme ou femme, on se trouve brusquement dans l’espace que nous partageons avec nous enfants. ? Et ceux-là,  du point de vue de leur bas-âge et de leur expérience, on n’a pas envie de les ankyloser avec nos problèmes. Et comme on n’a nulle part ailleurs où se débriefer, se libérer par rapport aux soucis, souvent, on trouve une solution ultime : c’est de penser que si on met fin à notre vie, on met fin à notre souffrance. Alors qu’à un moment donné, ils sont les principaux acteurs à pouvoir comprendre leur propre acte et le justifier.  A mon avis, ça ne sera jamais de tout repos, parce que la personne va laisser ici… (les problèmes) vont demeurer, surtout quand ils ont un lien précis avec les membres de la famille’’, a dit Dr Sanoko Abdoukhadre.

Un pouvoir ‘’coercitif et extérieur’’

Expert en prévention et lutte contre les violences, le Psycho-sociologue Abdoulaye Cissé souligne que le suicide est un fait social qui exerce sur l’individu un pouvoir ‘’coercitif et extérieur’’ et, en tant que tel, il se passe partout où les gens vivent en communauté, donc, dans toutes les sociétés humaines. ‘’C’est un phénomène étudié très tôt par la discipline sociologique, notamment par l’un des pères fondateurs de cette discipline à savoir Emile Durkheim, en 1897. L’une des causes fondamentales du suicide est l’absence d’intégration sociale des victimes et, en partie, la faillite de la religion et de la famille’’, dit-il. 

Selon lui également, l’effondrement de ces superstructures sociales qui étaient les piliers fondamentaux sur lesquels reposaient les individus, en cas de situation de vulnérabilité, est élément essentiel pour comprendre ce qui pousse aujourd’hui les gens à faire recours à l’ultime solution. ‘’L’espace familial, jadis, offrait une protection et était un cadre d’échange et de production de solutions pérennes. Aujourd’hui, avec la nucléarisation de la famille, l’individualisme galopant, l’esseulement des parents, etc. les soupapes sociales, gages de stabilité et d’équilibre, ont lâché. On ne réfléchit plus en termes de communauté, mais de manière individuelle et c’est également de cette manière qu’on essaie d’apporter nos propres solutions aux problèmes auxquels on est confronté. Tout cela revient à la problématique existentielle relative à l’absence d’intégration sociale des victimes’’, analyse-t-il.

Pour sa part, la sociologue Ndèye Ndiaya Ndoye parle d’un contexte économique qui serait défavorable par rapport à l’évolution de certaines personnes. D’ailleurs, selon elle, l’environnement familial est devenu un espace où les personnes subissent toutes les formes de violences : verbales, économiques, sexuelles. Elle note notamment des problèmes dans les foyers tels que les violences conjugales, mais aussi, le désespoir des jeunes. Parlant des cas spécifiques aux femmes, elle dit : ‘’Certaines femmes ne sont pas considérées comme des femmes à part entière. Ce qui fait qu’avec la relation exacerbée, la pression que jouent la famille et l’environnement de la personne dans le mariage sont des facteurs favorisant des tendances suicidaires’’.

‘’Maintenant, les gens se méfient entre eux. Il y a beaucoup de conflits dans les familles. De plus, le chef de famille ne joue plus son rôle qui est celui d’un rassembleur. ‘’Au niveau des femmes, c’est beaucoup plus dramatique. Il y a aussi le problème des enfants nés hors mariage et qui le découvrent à un certain âge, la question de l’honneur’’, poursuit-elle.

Insensibilité à la souffrance

La pendaison est le moyen le plus utilisé, dans les derniers cas de suicide. Abdoulaye Cissé : ‘’Il y a différentes manières de se donner la mort et ce qu’il faut comprendre, c’est qu’au moment où la personne passe à l’acte, il est animé par ce que Jean Pinatel appelle ‘l’indifférence affective’ qui entraîne une insensibilité à la souffrance de la victime associée à une absence de culpabilité. Quand une personne se plonge dans une situation pareille, elle utilise le moyen qui lui semble le plus adéquat pour abréger la souffrance sociale ou le dérèglement psychique à l’origine de son acte. On fait souvent recours à la pendaison, parce que c’est un moyen irréversible dont est sûr et certain qu’il vous mènera direct vers la mort en l’absence, peut-être, d’autres outils comme les armes à feu ou autres. Cela peut être une hypothèse parmi tant d’autres qu’une étude confirmera ou infirmera’’.

Dans la même veine, Dr Sanoko Abdoukhadre note que les outils utilisés par les personnes pour se suicider semblent être le mieux accessible à leur niveau. ‘’Ce sera très difficile d’aller prendre des injections. C’est ceux qui sont dans les milieux hospitaliers qui peuvent l’utiliser’’. Il soutient qu’il y a aussi, dans l’esprit du suicidaire, la peur qu’on découvre le projet. Et à ce niveau, prendre une corde à bas prix serait beaucoup plus facile que de mûrir un autre plan qui peut être éventré par l’entourage ou bien même un commerçant qui aurait à ventre les outils. ‘’C’est des actes qui se font dans la précipitation et dans l’esprit de se cacher’’, dit-il.

Y a-t-il des spécificités liées au genre dans le suicide ? Le Psycho-sociologue, Abdoulaye Cissé relève que les études menées sur le sujet montrent une prédominance d’hommes suicidaires que de femmes. ‘’L’explication donnée est que les femmes sont statutairement plus engagées que les hommes dans les relations familiales, donc, elles sont plus intégrées dans le tissu social’’, explique-t-il. ‘’Nous savons également qu’au Sénégal, les femmes se confient plus que les hommes, lorsqu’elles sont confrontées à des situations problématiques. Elles discutent entre elles, elles se confient aux parents et sont plus attentionnées aux conseils qu’on leur donne’’, poursuit-il.

Pour lui, cela découle également de la manière dont l’homme et la femme sont socialisés dans la société. Abdoulaye Cissé indique que les thèses de Pr Gora Mbodj sur le sujet sont assez révélatrices à ce propos.

Les signes avant-coureurs

Il existe des signes qui peuvent permettre de connaître que telle personne pense au suicide. Abdoulaye Cissé estime que cela dépend en réalité du type de personnalité de l’individu. Mais, dans la plupart des cas, ‘’les victimes donnent des alertes voire des signaux plus ou moins clairs, en développant des idées suicidaires et certaines même évoquent clairement l’idée de se donner la mort. Elles envoient très souvent des messages de détresse et de souffrance à leur entourage’’. Ce dernier est-il suffisamment outillé pour les détecter ? ‘’C’est là que se trouve le problème. Lorsqu’une personne commence à s’isoler, à s’adonner subitement à des pratiques hors norme, développe une dépression, évoque l’idée d’abréger sa souffrance, de se tuer…, alors il faut la prendre au sérieux et agir aussitôt en conséquence, au lieu d’attendre que l’irréparable ne se produise pour in fine dire qu’elle était bizarre, depuis quelques temps’’, a indiqué M. Cissé.

Ces messages sont appelés des signes avant-coureurs. Dr Sanoko Abdoukhadre nous en parle. ‘’En société, quand vous voyez des personnes bipolaires, c’est-à-dire qui changent de comportement comme elles changent de chemise ou de robe, ça peut être un facteur de risque. Quand vous voyez aussi des hommes qui ont un parcours solitaire, casanier, qui  détestent la vie en communauté, de groupe, peu sociables, ça peut aussi dégénérer. On peut aussi deviner que c’est forcément des personnes qui ont rencontrés ds difficultés ou qui souffrent de l’intérieur, et qui préfèrent prendre de la retraite’’, dit-il.

‘’Mais on dit souvent aussi que les personnes qui sont sans filtre ; quand elles ressentent quelque chose, elles l’expriment sur le coup. C’est ce qu’on appelle des personnes entières. Les personnes cachotières, qui ont tendance à évoluer sous le voile, sont des personnes qui ne s’acceptent pas et qui n’acceptent pas les autres et lisent les phénomènes de manière différente. Elles sont enclines à passer à l’acte’’, poursuit-il. Et fondamentalement, dans sa liste, Dr Sanoko Abdoukhadre ajoute les personnes qui ont une fragilité psychologique, qui ont des antécédents, qui n’ont jamais réussi à trouver l’équilibre, qui se comparent toujours aux autres, qui se plaignent toujours de leur sort, qui détestent leur existence, leur personne, qui ont un sérieux problème d’estime de soi et les personnes sanguinaires.

Eviter les cas de suicide

Ainsi, il peut y avoir des moyens pour aider les suicidaires, les empêcher de passer à l’acte. Tout en estimant qu’’’il n’y a pas de solution panacée, de solution miracle halte au suicide’’, le Sociologue certifié en psychologie pense qu’il faut utiliser l’approche éducationnel, en faisant un plaidoyer à travers les lieux d’apprentissages, des spots de pub et des scénarios de film. Il s’agit de sensibiliser au fait que le suicide n’a jamais été une réponse positive aux préoccupations auxquelles les humains se sont confrontés.

Dr Sanoko Abdoukhadre ajoute que ‘’la responsabilité de l’Etat est de mettre en place des structures publiques pour aider les personnes qui seraient dans le besoin d’être écoutées, soutenues, accompagnées à se libérer’’. En outre, il estime qu’il faudrait que les familles continuent à jouer leur rôle, en explorant et en exploitant la problématique de la proximité entre membres. Aussi d’éviter la rupture des liens sociaux ou parentaux.

Dans la même logique d’idées, Abdoulaye Cissé demande à ce qu’on essayer de nouer rapidement le dialogue avec toute personne développant les signaux. ‘’Ce n’est pas donné de prime abord, mais il faut tenter de se rapprocher d’elle et lui montrer que vous comprenez parfaitement bien sa situation’’, dit-il, soulignant qu’il faut être dans une logique de compréhension et jamais de jugement. ‘’Si une relation de confiance s’établit, il faut la convaincre à aller consulter un spécialiste de la relation d’aide, en vue de surmonter le problème à l’origine de son intention. Il faut toujours partir du principe que la personne préposée au suicide ou suicidaire garde encore un désir ardent de vivre et c’est justement sur ce registre qu’il faut rapidement agir’’, dit-il.

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