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mercredi, avril 24, 2024
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Macky Sall n’a pas une culture démocratique

par pierre Dieme

Professeur de sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw tente de disséquer ces levées d’immunité parlementaire récurrentes et qui essaiment depuis l’avènement du président au pouvoir

Professeur de sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw tente de disséquer ces levées d’immunité parlementaire récurrentes et qui essaiment depuis l’avènement de Macky Sall au pouvoir. Ce qui le pousse à déduire de ces levées record que Macky Sall est un « président dépourvu de culture démocratique ». Il invite l’Etat à procéder à des réformes profondes de nos institutions pour éviter d’amener au sein de l’hémicycle des députés incultes, voire « mécaniques » qui votent à tout bout de champ tout ce qui passe entre leurs mains. Entretien.

Le Témoin – Professeur, avez-vous constaté dans l’histoire politique du Sénégal autant de levées d’immunité parlementaire de députés que sous le régime de Macky Sall ?

Pr Moussa DIAW – Je n’ai pas souvenance du nombre de députés dont on a levé l’immunité parlementaire dans les régimes précédents. Par contre, depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, il y en a eu trop. Je n’ai pas calculé le nombre mais il y en a eu trop.

Cela ne risque-t-il pas d’éprouver la démocratie sénégalaise ?

Généralement, dans les grandes démocraties, il est très rare de procéder à des levées d’immunité parlementaire. C’est pratiquement exceptionnel dans les grandes démocraties. Ici, par contre, on a tendance à en abuser. C’est comme si c’est une arme politique. Les modalités posent problème. Des fois, c’est fait de manière expéditive. Quand on regarde le cas Khalifa Sall, la manière dont on a levé son immunité parlementaire sans même respecter la procédure, pose problème. On l’a arrêté et il n’a pas eu le temps de s’exprimer. On ne l’a pas non plus entendu à l’Assemblée nationale. On a voté la levée de son immunité car il y existe une majorité mécanique. C’est cela le problème de la démocratie sénégalaise. Il n’y a pas un équilibre entre les pouvoirs ! Vous savez comment les choses se passent l’Assemblée nationale, il y a un certain nombre de députés qui ne se posent aucune question quand il s’agit d’une loi venant du président de la République. D’ailleurs, ils ont dit clairement qu’ils ne se posent aucune question chaque fois qu’il y a une proposition de loi, ils votent aveuglément. C’est inquiétant pour l’avenir de la démocratie et cela interpelle sur les modalités de désignation, d’élection des députés.

Comment cela ?

Vous savez, au niveau de la majorité, le président de la République a dressé des listes. Il n’y a pas une certaine représentativité de ces députés au niveau de leurs départements. C’est problématique pour la vitalité démocratique et le système politique sénégalais. Je pense qu’il est nécessaire de procéder à une réforme pour faire en sorte que les députés soient élus au suffrage universel. Cela éviterait un certain nombre de dérives que l’on constate comme cette forme de dictature de la majorité au niveau de l’hémicycle. C’est vraiment un problème, une contrainte pour le développement de la démocratie au Sénégal.

Ne pensez-vous pas que cette levée d’immunité est une confiscation du mandat du peuple car les députés sont élus de la même manière que le chef de l’Etat ?

Ils sont certes élus mais de quelle manière ? Ils ne sont pas responsables devant le citoyen car c’est une liste que le Président dresse en fonction de ses affinités, en fonction de la capacité de chaque candidat à mobiliser ses troupes. C’est sur cette base qu’on a désigné toute une liste de députés qui ne comprennent même pas leurs fonctions. D’autant plus qu’on a élargi ces fonctions qui sont de concevoir puis d’évaluer les politiques publiques. Or, ils n’ont pas cette compétence. Cela veut dire que cela ne marche pas. Il faut, me semble-t-il, revoir tout cela et procéder à des réformes si l’on veut rendre service à la démocratie sénégalaise. Si on s’inscrit dans une logique de consolidation de la démocratie, il faut procéder à des réformes. Mais, il me semble, quand j’entends les réponses évasives avancées par le Président de la République en disant que depuis Léopold Sédar Senghor les chosent marchent comme cela et qu’il ne modifie rien, que c’est grave et dangereux si l’on veut construire une démocratie dans ce pays.

Quand vous parlez de réformes à quoi faites-vous allusion ?

Je parle des réformes de qualité pour équilibrer les pouvoirs : exécutif, judiciaire et législatif. Faire la séparation des pouvoirs. Par exemple, il y a tout un problème pour le pouvoir judiciaire au niveau de la nomination des magistrats entre le siège et la chancellerie. Beaucoup de problèmes qu’il faudra régler à ce niveau. Le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM), le Président de la République y est représenté et cela pose problème pour l’indépendance de la justice. Il y a énormément de choses à faire. Il y a eu un bras de fer entre le CSM et le ministère sur l’autonomie des magistrats ainsi que la présence du président de la République. Il y a des réformes à faire à ce niveau de sorte que les magistrats soient autonomes dans leur juridiction. On a eu des cas de jugements contestés où les magistrats sont mutés et cela crée une crise au sein du CSM. Il y a lieu de réfléchir sur cela mais aussi sur ce qui se passe à l’Assemblée nationale. Vous y voyez des députés qui n’ont aucune compétence, qui ne connaissent même pas leur rôle. On leur a enlevé cette capacité à censurer le gouvernement avec la suppression du poste de Premier ministre. Cela veut dire que le président de la République est le maître absolu en ce moment dans le système politique national. Il a entre ses mains tous les pouvoirs. Cela n’est pas une démocratie même si, sur le plan Institutionnel, on a mis en place des institutions qui fonctionnent plus ou moins avec des organes de contrôle. Ces derniers, dans la réalité, ne marchent pas. Ils n’ont pas une autonomie. On ne leur permet pas de fonctionner. On a plaqué des institutions sans avoir des hommes capables de les faire fonctionner en rapport avec le système, en rapport avec la nature même de la démocratie au Sénégal. Cela est problématique.

Avec tout ce qui se trame autour de la levée des immunités parlementaires des députés, peut-on en déduire que Macky Sall ne veut pas avoir d’opposants ?

On peut dire cela car, depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel président de la République, il a posé des actes qui montrent qu’il n’est pas dans la logique de renforcer la démocratie. D’abord, il a dit qu’il va réduire l’opposition à sa plus simple expression. Cela, il l’a traduit par ces actes. Sa stratégie c’est cette captation, récupération des opposants susceptibles de participer à la majorité. Il l’a réussi avec Idrissa Seck et la nomination de trois ministres comme Oumar Sarr et autres. Idrissa Seck a été intégré dans l’attelage gouvernemental à travers des ministres issus de son parti. Une manière de déstabiliser l’opposition. Donc, c’est un clientélisme et un patrimonialisme en vigueur qui ne disent pas leur nom. Le second point c’est de pourchasser, de traquer tous ceux qui s’opposent de façon frontale à lui. Ceux qui le critiquent, qui l’interpellent dans sa gouvernance et qui soulèvent des affaires de gouvernance ou de détournement de fonds etc. Macky Sall ne supporte pas cette opposition qui l’interpelle, qui remet en cause sa gestion, qui fait des contre-propositions, et qui provoque des débats d’idées. Et là, il n’y a pas du tout cette intériorisation des pratiques et des règles démocratiques pour pouvoir s’opposer à cela. C’est-à-dire débats d’idées, débats contradictoires faire des contre-propositions expliquer et gérer de façon transparente. Macky Sall n’a pas une culture démocratique. Il ne va pas dans cette logique de débats contradictoires mais plutôt dans la logique de la confrontation, dans la logique de dérives autoritaires. Et cela est dramatique car on aboutit à des crises. Aujourd’hui, une crise est déclenchée et elle est malvenue parce qu’on est dans un contexte particulier de lutte contre la pandémie, de voir comment réduire les impacts de celle-ci sur le plan économique et social. A mon avis, ce n’est pas le moment de créer une nouvelle crise. Il faudrait, me semble-til, aller dans le sens de l’apaisement, dans le sens d’une bonne écoute, aussi communiquer davantage avec les citoyens. Parce que ce que l’on voit, c’est qu’il y a une rupture et un manque de confiance dans notre justice. Pour la simple raison qu’il y a certaines personnalités proches du pouvoir plus ou moins mises en cause dans des affaires et qui sont protégées. Les autres citoyens font l’objet de persécution … Cela crée dans l’esprit des citoyens un manque de confiance en la justice et aux hommes politiques. Cela est problématique, si l’on veut réconcilier les Sénégalais avec eux-mêmes et aller dans le sens d’un combat collectif pour réduire cette propagation de la maladie et relever les défis du développement économique et social.

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