jeudi, octobre 3, 2024
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«Nous avons décidé de trainer la Police au tribunal»

par admin

Serein et droit dans ses réponses, le membre fondateur et ancien coordonnateur du mouvement citoyen «Y en a Marre» est revenu sur l’interpellation et l’arrestation de ses camarades de lutte du collectif «Ñoo Lànk». Dans cette interview accordée à L’Observateur, Fadel Barro, parle de «dictature rampante» du règne de Macky Sall. Il évoque également la supposée division semée par l’argent offert par Me Abdoulaye Wade au sein de la plateforme du «refus citoyen». Il annonce une plainte contre la Police.

Fadel, samedi dernier, vos camarades de lutte du collectif ‘’Ñoo lànk’’ ont été arrêtés et ont passé 48 heures en prison pour avoir distribué des flyers. Comment avez-vous vécu leur arrestation ?

J’ai été choqué de l’état de notre démocratie. Je ne pensais pas qu’on en était arrivé à un point où des citoyens qui rencontrent d’autres dans un cadre apaisé, sans barrer la route et sans sonorisation, puissent être inquiétés parce qu’ils réclament plus de pitié pour les populations. Ce combat-là est un combat citoyen parce que c’est un combat pour l’épanouissement des citoyens. Ce n’est pas un combat politique. Je n’ai pas compris cette attitude de l’Etat. J’ai été surpris et choqué par le fait qu’on utilise la Police pour casser des citoyens. Au moment où l’insécurité est partout alarmante, on utilise les Forces de l’ordre, on dépense de l’argent et de l’énergie, on mobilise toute une institution pour casser des citoyens. C’est ridicule. Et c’est triste et dommage que la Police accepte de jouer ce rôle. Les policiers ont mieux à faire que de traquer des jeunes citoyens qui expriment leur droit constitutionnel.

C’est un recul de l’Etat de droit, c’est une poussée autocratique. Et j’interpelle la hiérarchie de la Police à refuser de servir de bras armé à un Exécutif qui ne gère que ses propres intérêts. Si c’étaient des questions de sécurité nationale, si on était en train de barrer la route, si on avait commis une quelconque infraction, on aurait compris cela. Mais, ils arrêtent des gens sans aucune raison. Ça n’honore pas notre démocratie ni l’institution qu’est notre Police nationale. Tout le monde doit se ressaisir.

Vous parlez de recul des libertés dans ce pays. N’est-ce pas un combat à porter plus que contre la cherté de l’électricité ? 

La cherté de l’électricité touche directement les Sénégalais dans leurs poches. Ce pays reste un pays pauvre où les citoyens, surtout les démunis, peinent à joindre les deux bouts, à se soigner, à aller dans une école convenable et à manger convenablement. En plus de la pollution qu’ils vivent tous les jours, si on doit aussi y ajouter le problème de leur liberté, c’est exagéré. Il n’y a pas un combat plus important que l’autre. C’est un combat global. Les combats se valent et il faut être sur tous les fronts. Mais sur cette question de liberté, d’ailleurs nous avons décidé d’amener la Police devant la Chambre d’accusations du tribunal de Dakar et nos avocats sont en train de voir pour qu’on arrête cela. Des éléments de Police en civils, on ne sait même pas s’ils sont des policiers ou pas, viennent arrêter des citoyens qui n’ont rien fait. Thiate était assis au moment de son interpellation. C’est un civil qui est venu l’arrêter et l’insulter. Ça n’honore pas notre Police. Il faut arrêter cette forfaiture. La Justice a les moyens de l’arrêter. C’est pourquoi, nous allons la saisir pour que cela cesse.

Vous allez donc porter plainte ?

Nous ne pouvons pas continuer de la sorte et laisser notre Police nationale continuer à être le bras armé contre les opinions des citoyens sénégalais. Nos avocats, dont Me Khoureysi Bâ, sont en train de voir les modalités et les meilleures manières de porter ce combat-là. Nous aviserons à temps, mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a une poussée autocratique. Les libertés sont de plus en plus menacées. Si vous allez devant le Palais présidentiel, on vous met en prison. C’est le cas pour Guy Marius Sagna, Fallou Gallas Seck et Ousmane Sarr. Si vous allez distribuer des flyers, on vous arrête pour une garde à vue de 48 heures qui ne se justifie pas. C’est pour ça que Macky Sall est hué à l’extérieur du pays (dimanche à Londres par une activiste qui demande la libération de Guy Marius Sagna et Cie, Ndlr). Parce que si les gens ne peuvent pas s’exprimer chez eux comme ils le veulent, ils vous trouveront dans un espace de liberté et vous le diront en face. C’est ça qui est en train de se passer et ça n’honore pas le président de la République. Le fait que le Président Macky Sall soit hué à l’extérieur ne l’honore pas. Contrairement à ce que les gens pensent, ce n’est pas cela qui écorne l’image de la démocratie sénégalaise. Au contraire, ces huées à l’extérieur montrent la vivacité de cette force citoyenne active et constructive. Mais aussi l’engagement des Sénégalais à maintenir notre démocratie. Par contre, ce qui n’honore pas notre démocratie, c’est quand un Président arrête un jeune parce qu’il est venu manifester devant le Palais. Sur l’international, on le prend pour un Président ridicule. Et quand des jeunes qui distribuent des flyers sont arrêtés et détenus pendant 48 heures. Ce sont ces acteurs-là qui gâchent l’image de notre démocratie et auxquels il faut continuer à faire face.

À vous entendre, vous semblez être déçu de la gouvernance du Président Macky Sall. Pensiez-vous sincèrement qu’il allait en arriver à ce niveau qui détruirait la liberté ?

Nous, Y’en a marristes n’avons jamais misé et mené un combat contre une personne. Nous avons toujours mené un combat de principes. Nous faisons face à tout élu qui veut massacrer notre démocratie. C’est pour cela que nous avons toute notre indépendance.

Aujourd’hui, beaucoup vous reprochent d’être très subversifs dans vos sorties contre le régime en place. Mais aussi d’être plus virulents sous Macky que sous Wade. Que répondez-vous ?

Un moment, on nous a reproché de ne pas avoir été assez virulents contre le Président Macky Sall, comme ça a été le cas contre son prédécesseur, Me Abdoulaye Wade. On dit qu’on a été plus durs avec Me Wade et plus indulgents avec Macky Sall. Et aujourd’hui, on nous reproche d’être très durs avec le régime du Président Sall. Finalement, ils disent que nous traitons Macky Sall pire que Me Wade. Il faut savoir que ce sont les contextes qui justifient les formes de lutte. D’ailleurs, je prends exemple de l’acte posé par nos camarades qui ont refusé de répondre aux questions et de signer les procès-verbaux des policiers. Parce qu’ils ont estimé que c’est une forme de désobéissance civique pour montrer que nous n’acceptons pas ces forfaitures-là.

Il se dit que l’argent de Wade divise votre collectif  ‘’Ñoo lànk’’. Pouvez-vous revenir sur ça ?

Il n’y a pas d’argent qui a été offert par qui que ce soit et qui divise le collectif. Ce n’est pas vrai. La plate-forme engage toutes les organisations et parties prenantes rencontrées et qui ont estimé devoir venir participer et soutenir le combat de ‘’Ñoo lànk’’. C’est dans ce cadre que ces organisations donnent leur participation à la veille de chaque manifestation. Y’en a marre, le Pds, Pastef, le Fnr et Mcr, tous ont cotisé pour l’évènement. Cela s’est toujours passé de la sorte. Les gens cotisent et c’est sur la base de leur cotisation que nous organisons les manifestations. Le reste de l’argent est utilisé pour une prochaine manifestation ou pour s’occuper des détenus en leur donnant à manger ou en leur payant des avocats. Mais certains malintentionnés ont voulu jouer avec l’imaginaire des Sénégalais. Et ils n’osent même pas dire que c’est 700 000 FCfa. Ils essayent de mystifier et de saper la cohésion au sein de ‘’Ñoo lànk’’. Mais, ils n’y parviendront pas.

«Je ne me laisse pas distraire par des propos de Madiambal Diagne»

Il y a quand même quelques départs notés au sein de ‘’Ñoo lànk’’? 

‘’Ñoo lànk’’ est toujours uni. Il y a quelqu’un qui est sorti du collectif parce que pour lui, nous devons rencontrer le Président Macky Sall. C’est son combat, alors que l’enjeu de notre combat, c’est la baisse du prix de l’électricité. Ce n’est pas vrai, nous ne refusons pas de rencontrer le Président Macky Sall. Nous avons juste posé un préalable : Macky Sall doit rassurer les Sénégalais en créant un climat de confiance avec tout le monde. Et cela passe par la libération de nos camarades, Guy Marius Sagna, Fallou Gallas Seck et Ousmane Sarr. C’est le préalable pour toute discussion. Ni Macky Sall ni ‘’Ñoo lànk’’ n’est demandeur. C’est le médiateur de la République (Alioune Badara Cissé) qui, dans son rôle, cherche à rapprocher les positions et propose une rencontre. Peut-être Macky Sall lui-même a posé des conditions au médiateur de la République, que nous ignorons. Certains veulent aller vite en besogne et pensent que c’est le moment de rencontrer le Président Sall. Cela n’engage qu’eux. La plate-forme, elle, reste constante et ouverte. Parce qu’une fois de plus, ce n’est pas un combat politique que nous menons contre qui ce soit ou pour qui ce soit, mais c’est un combat citoyen pour l’épanouissement des Sénégalais. Même ceux qui sont au pouvoir, peuvent soutenir notre combat. Les gens ne comprennent pas, mais nous, nous avançons parce que nous avons un objectif clair : la baisse de l’électricité et la libération de Guy Marius Sagna, Fallou Gallas Seck et Ousmane Sarr. Si c’était un combat politique, nous allions porter le combat de tel ou tel. Mais ce n’est pas le cas.

Certains vous accusent d’inconséquence à cause de l’audience que le Président Wade, que vous combattiez hier, vous a accordée. Qu’en dites-vous ?

Nous sommes dans le contexte de ‘’Ñoo lànk’’ qui a mandaté Fadel Barro pour rencontrer Me Abdoulaye Wade. Dans un autre espace, on pourra parler de la rencontre de Fadel, de Y’en a marre et de ses impressions. ‘’Ñoo lànk’’ a rencontré Me Wade, Ousmane Sonko de Pastef, le médiateur de la République et l’Archevêque de Dakar ainsi que les organisations syndicales et va rencontrer demain le Khalife général de Mourides, entre autres. Si la baisse du prix de l’électricité et la libération de Guy Marius Sagna, Fallou Gallas Seck et Ousmane Sarr, doivent passer par une rencontre avec le Président Macky Sall, nous irons le rencontrer, sans état d’âme.

Un chroniqueur, Madiambal Diagne, a vertement accusé votre mouvement de faire dans l’incohérence. Avez-vous des leçons à apprendre de lui ?

Je ne me laisse distraire par les propos de qui que ce soit, surtout de Madiambal Diagne. Je suis sur des préoccupations nationales, notamment la baisse du prix de l’électricité. Maintenant, s’il y a des gens qui ont des préoccupations personnelles, en fonction de leurs relations du moment, ça les engage. J’ai toujours évité les polémiques sur des personnes ou des intérêts personnels et ce n’est pas aujourd’hui que je vais accepter de sombrer dans ça. Quelles que soient les tentatives de diabolisation et de déstabilisation, je reste constant dans le combat. Et c’est cette constance qui fait qu’hier, Macky Sall était venu nous voir, et aujourd’hui, Wade peut être dans le même combat que nous. Hier, ils nous ont chantés et aujourd’hui, ils veulent nous démolir, alors que nous sommes restés sur les mêmes principes. La société civile a toujours travaillé avec des plateformes politiques, mais cela n’a jamais altéré ou désorienté notre combat. Des gens peuvent parler, mais nous gardons toujours le cap et notre constance.

Quelle sera la prochaine étape de votre combat ? 

Nous lançons la campagne ‘’flyers fepp’’ à partir de mercredi prochain. L’Etat n’a pas voulu que nous distribuons des flyers, donc il va récolter tout un peuple qui distribue des flyers. Nous demandons à chaque Sénégalais d’aller sur internet, de tirer des flyers et de les distribuer partout. S’ils peuvent arrêter tous les Sénégalais, ils n’ont qu’à le faire.

IBRAHIMA KANDE

 

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