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lundi, mai 13, 2024
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Dior Fall Sow, première femme procureure de la République au Sénégal, plaide pour un Sénégal plus juste et plus riche

par pierre Dieme

Dans un entretien accordé au Think Tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest, Wathi, Dior Fall Sow a abordé plusieurs questions qui touchent à notre société. Dans l’entretien, la première femme nommée procureure de la République au Sénégal en 1976 parle de l’engagement de la jeunesse, de la crise des valeurs, de l’importance de l’éthique et de l’intégrité, de l’urgence de repenser le système éducatif ou encore de la nécessité de réduire les inégalités sociales. La magistrate plaide pour la création d’écoles de formation à la citoyenneté et pense que la perte de valeurs au sein de la société est une conséquence du laxisme ambiant dans l’éducation. Pour elle, tout cela fait que les personnes qui ont connu le Sénégal des années 60 et 70 regrettent un peu ces périodes où le Sénégal était un pays phare de la sous-région du point de vue de son économie, de son droit, de ses universités. «Tout le monde venait faire ses études ici, à l’Université de Dakar», regrette-t-elle.
Alors qu’elle prend rarement la parole, Dior Fall Sow s’est longuement entretenue, il y a quelques semaines, avec le service presse du Think Tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest, Wathi. Abordant en premier lieu l’engagement civique et citoyen de la jeunesse sénégalaise, l’ancienne maitresse des poursuites veut éviter de généraliser. Car, selon elle, nous avons beaucoup de jeunes qui sont conscients de leurs responsabilités, de leur appartenance à une nation, du rôle à apporter à l’édification et à la consolidation nationale. «Cependant, ce groupe de jeunes est-il suffisant pour obtenir un développement et une avancée qu’ils souhaitent pour leur pays ? En prenant comme exemple la pandémie de Covid-19, nous voyons que des jeunes sont engagés dans cette voie mais je pense que la grande majorité n’est pas consciente des risques qu’ils encourent et de la responsabilité qu’ils portent. Certains jeunes ne croient pas au Covid-19, d’autres ne respectent pas les mesures sanitaires. Il y a encore beaucoup de chemin à faire au niveau du civisme. Les autorités doivent assumer leurs responsabilités. Il faut créer des écoles de formation à la citoyenneté. L’avenir du pays est entre les mains des jeunes hommes et femmes car ce sont eux qui demain vont occuper les postes à responsabilité. À l’heure actuelle, avons-nous cette armée de jeunes prêts à assumer ces fonctions ?», questionne-t-elle.
Le cas des étudiants…
Mais, s’il en est ainsi, c’est que, dit-elle, il y a encore beaucoup de choses à faire au niveau des écoles, des lycées, des universités. A l’en croire, au niveau de l’université, la majorité des jeunes qui y étudient sont ceux qui demain pourront former ou créer un Sénégal nouveau. Or, la plupart des étudiants sont dans des groupes confrériques, la plupart sont animés par des revendications politiques. «Je ne parle pas de cas isolés, je pense qu’il existe des problèmes structuraux partout et qui mériteraient que nous nous y intéressions. Vous avez effectivement des conseils de jeunesse qui travaillent, mais est-ce suffisant pour entraîner toute cette vague de jeunes qui ne sont pas conscients de leurs rôles et responsabilités ? C’est un travail colossal», dit-elle encore.
«Ceux qui ont connu le Sénégal des années 60 et 70 regrettent un peu ces périodes où le Sénégal était un pays phare de la sous-région»
Sur la crise des valeurs dans notre société, la première femme nommée procureure de la République au Sénégal estime que le mal est à chercher dans l’absence de rigueur dans notre système éducatif. En effet, selon Dior Fall Sow, il y a eu beaucoup de laxisme dans l’éducation, ce qui a occasionné la perte de valeurs au sein de la société. Mais le pire, enchaine-t-elle, c’est que «nous avons laissé cette dynamique s’ancrer».
«Au niveau des autorités politiques et publiques, les exemples n’ont pas été toujours bons, alors que ce sont des personnes que les jeunes suivent et regardent. Il y avait vraiment des valeurs de loyauté, de courage, de diom (*valeur de courage, de respect des ancêtres en wolof) qui existaient dans notre pays, qui faisaient notre fierté et que nous ne retrouvons pratiquement plus… Dans des émissions à la télévision et à la radio, certains intervenants insultent des personnalités publiques, des figures d’autorité : est-ce un exemple pour les jeunes ? Ne devrait-on pas sanctionner ces intervenants pour qu’ils ne convainquent pas les jeunes qu’il est possible d’insulter une personne ? Le réapprentissage du respect est un grand chantier. Cela nécessite une réelle volonté politique qui doit se manifester au-delà des paroles, à travers la mise en place de mesures concrètes. Quand je vois le développement de la situation, je suis inquiète. Il ne faut pas faire la politique de l’autruche. Nous devons mettre le doigt sur la plaie», propose la magistrate. Et d’ajouter : «les personnes qui ont connu le Sénégal des années 60 et 70 regrettent un peu ces périodes où le Sénégal était un pays phare de la sous-région du point de vue de son économie, de son droit, de ses universités. Tout le monde venait faire ses études ici, à l’Université de Dakar».

«Chacun a un avis sur comment se comporter mais personne ne se comporte de cette manière»
Du point de vue du droit, l’ancienne du Tribunal pénal international, estime que le Code de la famille a été le premier Code sénégalais qui a servi d’exemple pour la sous-région. «Aujourd’hui, nous sommes dépassés. Dans d’autres pays, comme le Mali, l’autorité parentale existe alors que le Sénégal est resté à la notion de puissance paternelle.», renseigne l’ancienne Directrice des affaires juridiques de la Sonatel.
Abordant la question liée à l’importance de l’éthique et de l’intégrité, Dior Fall Sow regrette que nous parlons beaucoup plus de l’éthique que nous ne la pratiquons. Elle dit que chacun a un avis sur comment se comporter mais personne ne se comporte de cette manière et donne comme exemple l’intensité et la vulgarité des insultes publiques au Sénégal. «Il faut revenir à des valeurs comme la loyauté ; l’honnêteté est également une valeur importante, quand nous voyons la quantité de scandales de détournements de fonds. Le courage est une valeur perdue parce que personne n’ose dénoncer, c’est comme s’il y avait une complicité active. Le respect de la parole donnée est extrêmement important aussi, et c’est un exemple qui montre que notre société est en train de se dégrader. Nous avons peur pour nos enfants, pour nos petits-enfants, à cause de la société dans laquelle ils grandissent. Le Sénégal ne mérite pas cela», pense-t-elle.
Mais pour revenir aux valeurs, cela passe par la refondation de notre système éducatif. Pour Dior Fall Sow «il faut repenser le système éducatif car il y a du laxisme et une absence de discipline et de respect envers les professeurs». «Par exemple, quand vous permettez aux étudiants ou aux élèves de discuter de la compétence d’un professeur, voire de faire pression pour que tel professeur soit remplacé, c’est aberrant. Il faut que la discipline au sein du système éducatif soit réinstaurée, que les règles soient claires, que les règlements intérieurs des établissements soient respectés. Votre liberté commence là où s’arrête celle des autres. Malheureusement, une situation d’une telle ampleur est difficile à redresser ; donc il faut faire table rase et voir comment en faire jaillir une nouvelle éducation, une nouvelle société. Étant donné qu’il s’agit d’un choix de société, il faut d’abord que nous sachions ce que nous voulons de notre société pour pouvoir arriver à la reconstruire», a-t-elle encore fait savoir.
«Il y a beaucoup de pauvreté, beaucoup de misère au Sénégal. Il faut rétablir un équilibre»
Avant d’indiquer sur l’urgence de réduire les inégalités sociales que même si tout le monde n’a pas les mêmes capacités, il est fondamental que tout le monde ait les moyens de vivre décemment. «Il y a beaucoup de pauvreté, beaucoup de misère au Sénégal. Il faut rétablir un équilibre et faire respecter les droits fondamentaux comme le droit à la vie, au bien-être, à la santé. Quand vous n’avez pas les moyens de pouvoir accéder aux postes de santé, ou de faire bien vivre votre famille, cela pose problème collectivement. Il faudrait faire en sorte que toutes les couches de la société puissent avoir la capacité de pouvoir vivre décemment, mais une telle redistribution se décide à un haut niveau. Avec l’exemple de la pandémie, il est légitime de se demander où sont tous ces milliards qui ont été dépensés et comment ont-ils été dépensés ? Un audit a-t-il été effectué ? Quelle a été la part reçue par les populations les plus défavorisées ?», demande-t-elle.
«Il faut cesser de prendre des dispositions de court terme, comme donner du riz. C’est indécent et…»
Et de penser que le non-respect des droits est la première cause de frustration qui amène inévitablement à des conflits sociaux. Donc, dit-elle, il est important qu’on puisse prendre les dispositions nécessaires pour réduire les inégalités sociales. «Il faut cesser de prendre des dispositions de court terme, comme donner du riz. C’est indécent et ce n’est pas une solution à long terme. Nous avons une multitude de problèmes sur lesquels il faudrait que l’on s’attelle. Certes, nous faisons des réunions, des concertations mais est-ce vraiment la solution ? Nous avons fait tellement de projets, de conférences, de dialogues mais l’application concrète des recommandations tarde et les résultats ne sont pas présents», a assuré l’ancienne présidente de l’Association des juristes sénégalaises.
Sidy Djimby NDAO avec Wathi

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