mardi, octobre 15, 2024
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DES ECONOMISTES DÉFENDENT LE PROJET ET VILIPENDENT LE FMI

par pierre Dieme

Là où on attendait la réplique du Gouvernement via les ministres des Finances et du Budget, Cheikh Diba, et de l’Economie et du Plan, Dr Abdourahmane Sarr, ce sont des économistes de renom qui portent la contradiction au Fonds monétaire international (FMI) dont la dernière mission dans notre pays a peint un tableau peu reluisant de l’économie nationale. Il s’agit de Cherif Salif Sy, Magaye Gaye, Mor Gassama, Demba Moussa Dembélé. La conviction de ces économistes de renom est que le FMI a posé un diagnostic en porte-à-faux avec la situation économique du Sénégal. Ils préconisent aux nouvelles autorités de ne pas appliquer les recommandations du FMI ou même, dans le cas extrême, d’aller vers une rupture avec la FMI pour explorer des possibilités internes.

La plaidoirie en faveur des nouvelles autorités de ces quatre économistes de renom est d’autant plus importante qu’ils ne sont pas membres du Projet. Autrement dit, ils ne militent pas à Pastef. Ils sont connus pour leur indépendance d’esprit mais aussi par le respect que leur accorde le petit monde des économistes du pays, du continent et même un peu à travers le monde. Ils ont décidé de porter la contradiction au FMI contrairement aux autorités des ministères des Finances et de l’Economie restées aphones à cause certainement de l’enjeu de négociations portant sur une enveloppe de 1132,6 millions de DTS (environ 1,8 milliard de dollars américains soit plus de 1000 milliards de frs CFA) au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC), du Mécanisme élargi de crédit (MEDC) et de la Facilité pour la résilience et la viabilité (FRV) que le gouvernement négocie avec le FMI. Plutôt donc que du gouvernement, la riposte est portée par ces quatre économistes. Le tableau sombre présenté par le récent rapport de la mission du FMI ayant séjourné dans notre pays du 05 au 12 septembre dernier de notre économie a sorti de leurs laboratoires ces économistes. Le tableau du FMI déplore une croissance plus lente que prévu au cours du premier trimestre 2024 et fait état d’indicateurs de conjoncture suggérant un ralentissement similaire au deuxième trimestre. « Les perspectives macroéconomiques pour le reste de l’année 2024 restent difficiles. La croissance du PIB réel est désormais projetée à 6,0%, une révision à la baisse par rapport à la prévision de 7,1% de juin 2024. Le déficit budgétaire devrait dépasser 7,5 % du PIB, bien au-delà des 3,9 % prévus initialement en raison d’une baisse des recettes et de l’augmentation des dépenses en subventions énergétiques et en paiements d’intérêts. En l’absence de mesures supplémentaires, atteindre l’objectif de déficit de l’UEMOA à 3 % du PIB en 2025 prendrait plus de temps que prévu initialement. Des mesures fortes, notamment la rationalisation des exonérations fiscales et la suppression progressive des subventions énergétiques non-ciblées et coûteuses, sont nécessaires pour assurer un retour rapide à la cible de déficit de l’UEMOA et placer la dette publique sur une trajectoire résolument décroissante » a indiqué à la fin de sa mission Edward Gemayel, le chef de la délégation du FMI. Poursuivant, il a informé que l’exécution budgétaire à fin août a révélé un manque à gagner significatif en termes de recettes. Or, a-t-il souligné, les dépenses sont restées conformes aux prévisions entraînant le creusement du déficit budgétaire en raison de la faiblesse des marges de liquidités. Surtout que, a-t-il pointé en semblant le regretter, « les autorités ont eu recours à des emprunts commerciaux externes coûteux à court terme ».

S’éloigner des recommandations du FMI

En réponse à leurs interlocuteurs du FMI, les autorités ont réaffirmé leur engagement en faveur des réformes qui sous-tendent le programme appuyé par l’institution de Bretton Woods. Les autorités ont également renouvelé leur engagement pour la transparence, la bonne gouvernance et la responsabilité publique. Elles ont informé l’équipe du FMI que l’audit général sur les finances publiques est en cours de finalisation et que les constats et recommandations qu’il contient devraient permettre de mettre en œuvre des actions de reformes vigoureuses pour remettre les finances publiques sur une nouvelle trajectoire de réduction du déficit et de l’endettement public.

Tirant les conclusions de la mission du FMI, Dr Chérif Salif Sy fait 10 recommandations tournant autour de « la rationalisation des exonérations fiscales, la suppression progressive des subventions énergétiques non ciblées, la gestion prudente de la dette publique, la réduction du déficit budgétaire, l’apurement des impayés envers les entreprises privées, l’accélération des réformes structurelles, le renforcement de la transparence et de la gouvernance, l’amélioration du climat des affaires, la stimulation de la croissance économique, la Protection des populations vulnérables ». L’ancien conseiller du président Wade conclut que « Le Sénégal fait face à des défis économiques significatifs mais pas surprenants si on tient compte de la situation depuis la Covid-19. Cette situation nécessite des actions décisives et coordonnées. En mettant en œuvre les recommandations ci-dessus, le pays peut non seulement stabiliser progressivement sa situation budgétaire et financière, mais aussi se rapprocher des prévisions de croissances récentes. Cette croissance devra être durable, inclusive créatrice d’emplois. La collaboration étroite avec le FMI et les partenaires au développement sera essentielle pour soutenir ces efforts et assurer le succès des réformes prévues. Enfin, un autre point important peut être resté en filigrane dans les discussions mais qu’il serait utile de rappeler : c’est la nécessité d’une démarche plus systématique et proactive afin que les entrepreneurs de l’informel formalisent leurs activités avec pour objectifs, entre autres, de créer plus d’emplois et élargir l’assiette fiscale. Voilà une approche à moyen et long terme qui irait au-delà des apurements temporaires de la dette des entreprises privées » estime Chérif Salif Sy.

Son collègue économiste Demba Moussa Dembélé note pour sa part que « certes, le communiqué du FMI dit que « les perspectives macroéconomiques pour le reste de l’année 2024 restent difficiles » mais, relativise-t-il, Le Sénégal n’est pas un cas isolé. Comme les autres pays africains, le Sénégal va subir les chocs exogènes liés aux difficultés que traverse l’économie mondiale, difficultés qui n’épargnent pas les grandes économies. Par exemple, dans la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé le 12 septembre sa décision de réduire son taux directeur de 25 points de base, du fait de données signalant une dégradation de la situation économique de la zone, dont le taux de croissance réel était de 0,3% au premier trimestre. Il serait de 0,4% au second trimestre. Si bien que le taux annuel serait en dessous de 1%. Aux Etats-Unis également les derniers indicateurs économiques inquiètent la Réserve fédérale (Banque centrale) qui redoute un fort ralentissement de l’économie, dont le taux de croissance réel était d’un peu plus de 2,0% au premier semestre 2024. Donc, les difficultés du Sénégal dont parle le FMI sont à relativiser et à placer dans un contexte africain et mondial morose. En tout état de cause, les chiffres donnés par le FMI sont des prévisions, des projections qui seront probablement différentes de la réalité » tempère Demba Moussa Dembélé. Se voulant plus offensif, il se demande s’il faut « rafraichir la mémoire à toute cette meute que le programme en cours est hérité du régime précédent, qui a signé en mai 2023 un accord avec le FMI, assorti d’engagements de la part du gouvernement contre des promesses de financement ». Cela dit, Demba Moussa Dembélé estime que si le nouveau régime veut rester fidèle à sa promesse de rupture, il doit s’éloigner des « recommandations » du FMI dont les politiques ont, selon lui, toujours été à la base du recul des indicateurs de développement humain dans tous les pays. « L’expérience du Sénégal est là pour en témoigner. Après 20 ans d’application sans nuance des politiques dictées par le FMI et la Banque mondiale dans les années 1980 et 1990, le Sénégal s’était retrouvé sur la liste des « pays les moins avancés » (PMA) en 2001. Il y est toujours, en compagnie d’autres pays africains qui avaient suivi les mêmes « recommandations ». Donc, le nouveau régime a intérêt à mettre fin au programme hérité du régime de Macky Sall et le remplacer par son propre programme de rupture. Sinon, il n’y aura pas de souveraineté alimentaire, encore moins d’industrialisation. En somme, il faudra éviter le piège néolibéral dans lequel le FMI risque d’enfermer les nouvelles autorités. Une politique de rupture est incompatible avec un accord avec le FMI » conclut le Directeur du Forum africain des alternatives.

Toutefois, l’économiste Dr Mor Gassama prend le contre-pied de Demba Moussa Dembélé. Il estime que les recommandations du FMI sont parfaitement en phase avec la vision des nouvelles autorités. « Je peux prendre en référence les exonérations fiscales « abusives » dénoncées à plusieurs reprises par l’opposant Sonko. Leur rationalisation suit une logique économique et une vision politique indique-t-il. Evoquant les subventions énergétiques, l’enseignant chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop indique qu’elles doivent être ciblées pour plus d’efficacité afin de toucher davantage de personnes vulnérables à revenus faibles. Dr Mor Gassama conseille d’éviter l’erreur des subventions de 750milliards de 2022 dont les 80%, c’est-à-dire les 600 milliards de frs, avaient été captés par les couches aisées tandis que les couches défavorisées n’avaient pu bénéficier que des 20% soit les 150 milliards de frs. L’enseignant chercheur estime que les nouvelles autorités ne devraient pas forcément répondre à la demande du prix de l’électricité et du carburant. Il préconise d’attendre l’évolution des cours mondiaux de pétrole et de ce que l’Etat fera des 20% de nos 100.000 barils par jour.

Magaye Gaye, économiste international, pense lui aussi que l’Etat ne devrait pas suivre la recommandation du FMI concernant une hausse de prix de l’électricité et du carburant. « Parce que les nouvelles autorités défendent la souveraineté et savent que nous sommes dans un contexte inflationniste et qu’il faut trouver d’autres moyens pour pouvoir améliorer le déficit budgétaire. Une augmentation de la fiscalité ou des tarifs de l’électricité est à exclure » souligne le professeur à l’Institut supérieur de gestion de Paris à travers les colonnes de l’Observateur. Il estime que les nouvelles autorités déploient un plan de redressement et travaillent à améliorer les finances publiques ainsi que les perspectives de croissance. «Je trouve les rapports du FMI rébarbatifs. Ils ne traitent pas d’un sujet de manière pointue, ils passent de la croissance au déficit budgétaire, de l’inflation à l’endettement public… Ce sont des rapports qui ne sont pas faciles à lire. Et de plus en plus, je trouve que les rapports du FMI ont des connotations politiques » conclut l’économiste Magaye Gaye.

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