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Les galères de la presse

par pierre Dieme
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La ligne de défense de l’État, consiste à s’acharner et se défouler sur la presse et Pape Alé Niang, au lieu d’apporter des éclairages sur les informations effrayantes qui ont été partagées par le journaliste

Au lieu de s’expliquer sur les accusations gravissimes portées à la connaissance du public, d’abord par Ousmane Sonko et, ensuite, par Pape Allé Niang, l’État, ayant échoué à garder ses secrets, se défausse sur le journaliste et multiplie les sorties pour intimider les hommes de médias.

Il est incapable de tenir sa langue ; il divulgue tous les secrets à lui confiés et après, il va chercher un bouc émissaire. Souvent, c’est le journaliste qui trinque. Depuis l’éclatement de l’affaire Pape Alé Niang, l’État multiplie les sorties pour intimider les journalistes. À la suite de la sortie du procureur de la République, c’est au tour du ministre des Forces armées de monter au créneau pour jouer au gendarme en colère. Dans un communiqué signé par l’ex-fervent défenseur des droits humains, Sidiki Kaba, il est indiqué : ‘’La protection du secret relatif à la défense nationale relève d’un régime juridique strict. Il est applicable à l’ensemble des citoyens sénégalais (civils ou militaires) et aux étrangers qui, sans en avoir la qualité, procèdent à la divulgation ou diffusion, malveillante ou non, des informations y relatives…’’

Très déconnecté du débat public qui porte surtout sur la véracité ou non des affirmations portées par le journaliste (à propos d’un supposé complot au niveau de la gendarmerie nationale), le ministre et avocat fait dans la menace, en faisant étalage de sa maitrise des différentes lois. ‘’Les crimes et délits pour atteinte à la défense nationale sont sanctionnés par le Code pénal sénégalais en ses articles 60 et subséquents, et notamment l’article 64 qui vise toute personne qui : ‘Sans intention de trahison ou d’espionnage, aura porté à la connaissance d’une personne non qualifiée ou du public une information militaire non rendue publique par l’autorité compétente…’ Tous les documents ayant trait à la préparation et à la conduite des opérations, non rendus publics par l’État-major général des armées, entrent dans cette catégorie. Leur diffusion ou divulgation tombe sous le coup de la loi’’, écrit le ministre, avant de rappeler à ceux qui interviennent dans le champ de la diffusion de l’information ‘’de prêter une attention particulière à ne pas diffuser ou relayer des informations susceptibles de porter atteinte à la défense nationale…’’.

‘’Violer la loi au nom du droit du public à l’information est conforme à la déontologie’’

Il faut le constater que la ligne de défense de l’État, c’est jusque-là de s’acharner et de se défouler sur la presse et Pape Alé Niang, au lieu d’apporter des éclairages sur les informations effrayantes qui ont été partagées par le journaliste. Cette posture qui laisse à la limite croire que tout ce qui a été dit par le journaliste est vrai menace plus la défense nationale et la stabilité du Sénégal que le fait de divulguer un tel contenu.

 Quant aux journalistes, ils semblent bien au fait de ces concepts fourre-tout (secret-défense, secret de l’instruction, document confidentiel…).

En vérité, à lire beaucoup d’hommes et de femmes des médias qui n’ont eu de cesse d’apporter des éclairages depuis le début de l’affaire, les préoccupations du journaliste sont ailleurs. Il s’agit surtout, à côté de cette interdiction d’informer que brandit le pouvoir, de défendre un autre principe sacro-saint qu’est le droit du public à l’information.

Ancien secrétaire général du Synpics, le journaliste Mademba Ndiaye pose le débat en ces termes : ‘’La question est la suivante : le journaliste doit-il respecter la loi ou le droit du public à l’information, quitte à violer la loi ?’’ Sur son compte Twitter, il semble y apporter une réponse on ne plus tranchante. ‘’Je considère que violer la loi, exclusivement au nom du droit du public à l’information, est un principe conforme à la déontologie des journalistes. Assumer les conséquences de ce viol est aussi un principe conforme à la déontologie’’, indique-t-il, non sans soulever par ailleurs une question subsidiaire : ‘’Papa Alé Niang a-t-il violé la loi ? Je n’en sais strictement rien, personnellement, avec les bribes d’informations que j’ai.’’

Dans tous les cas, a précisé ce pionnier de ‘’Walf Quotidien’’, si les journalistes se mettaient à lire la loi, aucun article ne paraitrait. ‘’Même en sport, ironise-t-il, car montrer une sportive en tenue de natation pourrait être considéré comme attentat à la pudeur. Le journaliste n’a que faire de la loi. Il est le seul juge (avec sa rédaction) de la qualité de l’information qu’il a. C’est à lui d’apprécier si cette information mérite d’être portée à la connaissance du public ou non. Il peut la jeter à la poubelle, même si sa publication ne violerait aucune loi. Par contre, s’il juge que le public a le droit de connaitre cette info, il la publie, même si cela viole la loi. La déontologie est sauve. Le reste, c’est l’affaire du procureur qui peut poursuivre, s’il le juge nécessaire’’.

Pour lui, le défi, pour les journalistes, c’est de faire en sorte que la loi soit conforme au droit du public à l’information (garanti par l’article 8 de la Constitution).

Le secret de l’instruction, cet autre traquenard !

Dès lors, les confrontations semblent inéluctables. Alors que pour les hommes de médias, la liberté d’informer dans le respect des règles d’éthique et de déontologie semble être mise en avant, l’État, lui, semble s’arcbouter aux mythes du secret et de la confidentialité. Et ces interdictions ne se limitent pas seulement à la sphère militaire. Elles concernent également d’autres domaines tels que la justice ou même l’Administration.

Il y a quelques années, lors d’une rentrée solennelle des cours et tribunaux, le procureur Guibril Camara faisait un exposé mémorable sur le secret de l’instruction et le droit à l’information. Pour lui, il est au moins clair que les relations entre la presse et la justice semblent fondées sur une opposition naturelle découlant de la logique propre à chacune de ces institutions. Tout en prônant les conditions d’une justice efficace à rendre dans la sérénité, il appelait à ne pas brûler systématiquement la presse.

‘’Comment la justice, dont la démarche doit toujours être empreinte de sérénité et d’objectivité, pourrait-elle s’accommoder d’une presse travaillant presque toujours dans l’urgence et la frénésie (…) ? Mais ne faisons pas trop vite ou trop systématiquement le procès de la presse. Celle-ci ne revêt pas toujours, face à la justice, le manteau d’épouvantail qu’on lui fait enfiler. Elle n’est parfois, d’ailleurs, que le bouc émissaire qui permet de pousser en arrière-plan les autres acteurs du jeu judiciaire qui ne sont pas forcément exempts de reproches dans leur conduite…’’, soutenait le parquetier.

‘’Si nous n’avons pas de preuve, nous sommes diffamateurs ! Si nous en avons, nous sommes des receleurs’’

De l’avis de Guibril Camara, les relations entre la presse et la justice sont complexes et tout schéma préétabli risque d’être réducteur. Et puis, tout le monde, même les magistrats, viole le secret… Le procureur : ‘’Sans avoir la prétention d’en dresser un tableau complet, il est, néanmoins, possible d’affirmer qu’en fonction des objectifs, les rapports sont de complémentarité ou de confrontation suscitant souvent l’hostilité dans certains milieux. Ainsi, a-t-on pu dire avec plus ou moins de bonne foi ou d’animosité que ‘justice et médias vivent en un concubinage notoire, parfois tapageur’. C’est que, dans plusieurs pays, tout à la fois lassés, instruits et parfois secrètement séduits par les sorties médiatiques de quelques avocats talentueux, les juges les plus audacieux ont finalement osé rompre une réserve, en réalité imposée à eux seuls.’’

Dans ce concert de violation des secrets, c’est surtout le journaliste qui paie les pots cassés. Souvent, ses complices sont royalement ignorés. À ce propos, Guibril Camara soulignait : ‘’Lorsqu’un journaliste publie une information, couverte par le secret de l’instruction ou plus généralement par le secret professionnel, diverses situations juridiques peuvent être envisagées. Si l’information contient des imputations diffamatoires dont il ne peut pas ou n’a pas le droit de rapporter la preuve, il est, bien évidemment, passible de condamnation pour diffamation. S’il publie ou produit la pièce qui prouve la véracité de l’information, il est passible de poursuites pour recel de secret professionnel ou de l’instruction. Devant une telle évidence juridique, Louis Marie Horreau du ‘Canard Enchaîné’, tout à la fois dépité et sarcastique, a eu le commentaire suivant : ‘Si nous n’avons pas de preuve, nous sommes diffamateurs ! Si nous en avons, nous sommes des receleurs.’’’.

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