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Décryptage du jeu de bonneteau de Macky Sall

par pierre Dieme
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En Conseil des ministres, mercredi, le président de la République a demandé au Garde des Sceaux d’étudier les possibilités et les schémas adéquats d’amnistie pour des personnes ayant perdu leurs droits de vote. Derrière cette formulation générale, tout le monde a compris qu’il faisait allusion à Karim Wade et à Khalifa Ababacar Sall. L’enjeu, pour Macky Sall, même s’il ne le dit pas directement, c’est de rebattre les cartes en vue de la prochaine présidentielle de 2024 et mettre fin à la bipolarité ou dualité entre lui et celui supposé être son plus redoutable adversaire politique du moment, le leader du Pastef, Ousmane Sonko. Les points de vue du journaliste Ibrahima Bakhoum et des analystes et politologues Mamadou Sy Albert et Ablaye Mbow.

Pour Mamadou Sy Albert, en dehors de la politique, il s’agit aussi pour le Président de restaurer l’image de la Justice tant chahutée par bon nombre de Sénégalais. « L’enjeu c’est que Karim Wade et Khalifa Sall vont retrouver leurs droits civiques et politiques. Il peut aussi être spécifiquement juridique. La Justice va revenir sur des décisions majeures. La démocratie va prévaloir sur le conflit juridique. Si ces deux leaders sont rétablis dans leurs droits, la justice va probablement être mieux perçue par l’opinion. Son image était écornée et tout le monde dénonçait son utilisation pour régler des comptes politiques », estime notre interlocuteur.

Et de s’interroge sur la procédure que le gouvernement va engager pour rétablir ces droits civiques. A savoir : s’agira-t-il d’une loi d’amnistie ou d’une révision des procès de Karim et de Khalifa ? Ou encore une modification de la loi électorale ? « Il y a un problème strictement politique. Le Pds est pour la révision du procès de Karim. Khalifa est aussi pour la révision de son procès. Maintenant, est-ce que le gouvernement va accepter ces révisions ? Où est ce que les différentes parties vont trouver un consensus ? S’il y a dialogue politique, elles vont trouver un consensus. Mais s’il n’y a pas un dialogue direct entre le pouvoir et l’opposition, ça sera extrêmement difficile de trouver un consensus. Maintenant, si tout cela est réglé, évidemment, la finalité est que si Karim retrouve ses droits civiques, il sera candidat du Pds en 2024. Khalifa sera aussi candidat. Donc la présidentielle de 2024 va corriger au moins les défaillances de 2019. Ça va être une nouveauté sous le règne de Macky Sall. En 2019, il n’a pas voulu de Karim et de Khalifa Sall sur son chemin. Si ces deux-là sont candidats en 2024, le paysage politique va se modifier », pense le politologue.

« Ousmane Sonko ne sera plus l’unique attraction » Mamadou Sy Albert

La donne politique va changer avec l’amnistie des 2K. Très certainement, l’opposition va bouger. Khalifa Sall, Karim Wade et Ousmane Sonko seront les principaux candidats attendus de l’opposition. « Ça va ouvrir le débat. La compétition sera beaucoup plus ouverte entre les composantes de l’opposition. L’arrivée de Karim et de Khalifa va faire qu’Ousmane Sonko ne sera plus l’unique attraction. Il va devoir composer avec ces deux poids lourds. Toute la question est de savoir dès lors si Benno pourra avoir un candidat capable de résister à ces trois leaders de l’opposition. On va vers une confrontation qui va être incertaine jusqu’au bout » a encore ajouté le politologue. D’après lui, l’enjeu pour l’opposition c’est de savoir qui va être le leader capable de provoquer un deuxième tour en 2024. « Quand on regarde l’opposition que cela soit Ousmane Sonko, Khalifa Sall ou Karim Wade ou peut être les autres candidats, s’ils n’ont pas une force capable d’amener Macky Sall au second tour, alors l’actuel président peut bien gagner au premier tour. Le mieux placé de l’opposition a de forte chances pour gagner en cas de second tour mais à condition que toutes les forces de l’opposition votent pour lui. Ce n’est pas encore acquis » conclut M. Mamadou Sy Albert.

IBRAHIMA BAKHOUM, JOURNALISTE « Khalifa Sall et Karim Wade n’avaient pas leur destin en main »

Les partisans de Karim Wade avaient crié urbi et orbi que leur candidat ne veut pas d’une amnistie. Qu’il fallait réviser son procès. Wade-fils a eu des soutiens sur le plan international et toutes les juridictions saisies ont estimé en substance que son procès n’a pas été équitable. Les Nations unies, par leurs organes habilités, avaient instruit le Sénégal de rejuger Karim Wade. Mais selon le journaliste – formateur et spécialiste des questions politiques Ibrahima Bakhoum, on peut dire « je ne veux pas d’amnistie » mais celui qui décide, c’est l’exécutif en passant par le Parlement. « Karim Wade peut penser qu’on veut le mettre en situation de quémandeur d’amnistie. Il peut dire « je ne veux pas d’amnistie. Je veux être jugé ». Mais c’est très compliqué de le rejuger. Aujourd’hui, le président Macky Sall prend une décision en instruisant le Garde des Sceaux, ministre de la Justice de travailler à que ces gens-là retrouvent leurs droits. Les avocats de Karim disent toujours que leur client a couvert les 5 ans qui devraient être s’il y avait perte de droits civiques, politiques. « Nous avons déjà couvert ces 5 ans ». Maintenant ils disent que oui, Karim Wade doit retrouver tous ses droits même politiques. Eux, ils considèrent que cette loi que le pouvoir s’apprête à faire voter ne les concerne même pas. Ensuite, faire valoir que la Crei n’avait jamais demandé une perte de ses droits par ailleurs. Mais si c’est le code électoral qui l’a décidé, évidemment, c’est fini pour lui » explique-t-il.

Le jeu de stratège du pour neutraliser les 2K

Un des vétérans de la presse nationale, Bakhoum estime que le choix du président Sall peut être motivé par des gains politiques pour quelqu’un qui cherche à pacifier l’espace politique. Car, argumente-t-il, Karim ne veut pas être redevable de quoi que ce soit à Macky Sall. « Du côté de Khalifa Sall, on dira nous aussi nous ne sommes pas demandeurs. Mais ils ne vont pas aller aussi loin que Karim. Parce que les juridictions ne sont pas les mêmes. Là-bas, il s’agit de la Crei qui ne vous donne aucun droit en termes d’équilibre pour qu’au moins vous puissiez faire appel pour être rejugé. Dans le second cas, on vous dit venez prouver que vous n’avez pas fauté (Khalifa Sall). Le jugement de la Crei n’a retenu ni détournement de deniers public, ni vol ni escroquerie ni blanchiment d’argent ni corruption passive ou active. Ce que la Cour a retenu est que Karim est le propriétaire de telle chose et de telle autre chose encore que ses revenus licites ne pourraient pas lui permettre d »’acquérir. Khalifa Sall, on lui dit ce que vous avez fait n’est pas régulier du point de vue de la gestion. Son problème à lui est que oui, ça c’est toujours passé comme ça. Dans tous les cas, la justice a condamné tous les deux », a retracé Ibrahima Bakhoum. Qui précise que quand Macky décide de les amnistier, Karim ne peut rien y faire. Car c’est le président qui décide et l’Assemblée nationale va l’appuyer. Et si l’Assemblée suit la volonté du président, Karim va être amnistié qu’il le veuille ou non.

L’équation Ousmane Sonko !

Selon toujours Ibrahima Bakhoum, amnistier Khalifa Sall et Karim Wade peut être un moyen de déstabiliser légalement le leader de Pastef ce que n’a pu faire l’affaire de mœurs dont il est accusé. En revanche, il précise que si le maire de Ziguinchor ne commet pas de faute pas d’ici 2024, il sera très difficile de l’affaiblir. « On trouve les moyens en permettant à deux adversaires redoutables, deux personnalistes qui en étaient empêchées en 2019 et qui vont pouvoir se présenter en 2024 si la loi passe. Parmi les tout sauf Macky, il y a ceux qui sont allés s’accrocher à Ousmane Sonko tout simplement parce que c’est un pis-aller pour eux. Macky leur donne ainsi des alternatives à Sonko constituées par Khalifa Sall et Karim Wade. Evidemment, ca affaiblit Ousmane Sonko. Macky va éviter la bipolarisation entre lui et Sonko. Il ne va pas prendre le risque de se retrouver face à un seul adversaire aussi redoutable que le leader de Pastef en 2024. « Peu importe que ce soit lui ou un autre candidat de Benno. L’essentiel, pour lui, c’est de faire en sorte qu’Ousmane ne soit plus seul dans la course pour disperser son électorat » conclut Ibrahima Bakhoum

ABLAYE MBOW, JOURNALISTE ET ANALYSTE POLITIQUE «Pourquoi il est bon d’avoir une pluralité de candidatures à une présidentielle»

Ablaye Mbow rappelle qu’une loi d’amnistie ne concerne pas des personnes. Elle concerne plutôt les faits. Sur les cas de Khalifa Sall et Karim Wade, le journaliste analyste politique précise qu’ils ont été condamnés pour des faits économiques. « Quoiqu’il en soit, en ce qui concerne Kalifa Sall et Karim Wade. Je crois bien que beaucoup d’acteurs politiques, d’acteurs de la société civile ont eu à réclamer une loi d’amnistie pour leur permettre de recouvrer leurs droits civiques et politiques. La société civile a eu même à proposer la modification du code électoral. Notamment les articles L29 et L30 pour permettre à ces deux leaders de pouvoir redevenir électeurs. Et en redevenant électeurs, ils pourront véritablement être candidats à toutes les élections » précise Ablaye Mbow. Comme nos deux autres analystes, il estime que l’enjeu est la redistribution des cartes au sein de l’opposition. « Ces deux-là n’ont pas été de la course à la présidence en 2019. Pour 2024, au niveau de l’opposition, il y aura une pluralité de candidatures. Pour une présidentielle, il est toujours bon d’avoir une pluralité de candidature. Parce qu’on a eu les exemples de 2000, 2012 ou la pluralité de candidatures avait poussé le président sortant à aller au deuxième tour » dit-il.

Éparpillement de leaders et éparpillement de l’électorat !

Le rédacteur en chef du quotidien « Vrai Journal » précise que le camp de la majorité pourrait sortir grand perdant de cette proposition de loi d’amnistie. Il peut se retrouver pris son propre piège en voulant amnistier les 2K. « Il ne faut pas oublier que le pouvoir aujourd’hui est aux prises avec une rébellion interne menée par Mimi Touré. Peut-être qu’elle va regrouper les frustrés, les anti-troisième mandat si par extraordinaire le président de la République déclarait une troisième candidature. On sait pertinemment qu’au niveau de l’opposition, il ne pouvait pas y avoir une seule candidature. Parce qu’au sein de Yewwi, il y a déjà eu les déclarations de candidatures faites par Ousmane Sonko et Malick Gakou. Il faut également s’attendre à ce qu’il y ait d’autres déclarations de candidatures au niveau de Yewwi comme dans les autres coalitions de l’opposition. Khalifa Sall pourrait se jeter dans la bataille s’il est amnistié avant 2024. Effectivement, il y aura un éparpillement de leaders et un éparpillement de l’électorat de l’opposition » convient Ablaye Mbow. Toutefois, avertit-il, une partie de l’électorat du pouvoir peut basculer du côté de l’opposition comme on l’a vu lors des élections législatives du 31 juillet dernier…

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