L’Assemblée nationale ouvre la deuxième journée de la session extraordinaire ce mardi par l’examen du Projet de loi n°13/2025 portant statut et protection des lanceurs d’alerte. Le Gouvernement est représenté par Ousmane Diagne, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, entouré de ses principaux collaborateurs. PressAfrik vous livre in extenso le rapport de l’intercommission.
L’intercommission constituée par la Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains et la Commission de la Culture et de la Communication s’est réunie le vendredi 22 août 2025, sous la présidence de Monsieur Abdoulaye TALL, Président la Commission des Lois, de la Décentralisation, du Travail et des Droits humains, à l’effet d’examiner le Projet de loi n°13/2025 portant statut et protection des lanceurs d’alerte.
Le Gouvernement était représenté par Monsieur Ousmane DIAGNE, Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, entouré de ses principaux collaborateurs. Ouvrant la séance, Monsieur le Président a d’abord, au nom de l’Intercommission, souhaité la bienvenue à Monsieur le Ministre ainsi qu’à ses collaborateurs. Il lui a, ensuite, adressé ses félicitations et vœux de succès dans l’accomplissement de ses missions, avant de lui donner la parole pour la présentation de l’exposé des motifs sous-tendant ledit projet de loi.
Relativement à l’exposé des motifs, Monsieur le Ministre indiquera que les scandales financiers, sanitaires ou environnementaux ont fini de convaincre sur l’importance du rôle des lanceurs d’alerte dans la bonne gestion des affaires publiques ou privées et la préservation de la démocratie.
A cet effet, il soutiendra que sur le plan normatif, le Sénégal a ratifié la Convention des Nations Unies contre la corruption, adoptée à Mérida (Mexique) le 31 décembre 2003. En ses articles 32 et 33, dira Monsieur le Ministre, la Convention fait de la protection des lanceurs d’alerte, un socle essentiel de la lutte contre la corruption. En outre, il a rappelé que, le Sénégal est signataire de la Convention de l’Union Africaine sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption adoptée à Maputo le 11 juillet 2003 qui fait obligation aux États Parties d’entériner « des mesures législatives et autres pour protéger les informateurs et les témoins dans les cas de corruption et d’infractions assimilées, y compris leur identité ».
De surcroît, a-t-il ajouté qu’au niveau sous régional, le Protocole additionnel de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la démocratie et la bonne gouvernance, adopté à Dakar le 21 décembre 2001, rappelle, en son article 5, l’exigence d’établir des mesures « pour assurer une protection effective et adéquate des personnes qui, en agissant de bonne foi, fournissent des informations sur des actes de corruption ».
Au plan national, Monsieur le Ministre a soutenu que l’article 25-3 de la Constitution sénégalaise dispose que « Tout citoyen a le devoir de défendre la patrie contre toute agression et de contribuer à la lutte contre la corruption et la concussion ». A travers cette disposition, dira-t-il, le constituant rappelle l’obligation de vigilance et le rôle prépondérant du citoyen dans la préservation du bien public et la défense de l’intérêt général.
Par ailleurs, Monsieur le Ministre fera savoir que la criminalité économique et financière a atteint des proportions inquiétantes par l’accumulation et la dissimulation de fortes sommes d’argent à travers la commission d’actes illicites, notamment l’escroquerie, la corruption, la concussion, le trafic d’influence, le détournement de fonds, les fraudes ou encore le blanchiment de capitaux. Il s’ensuit que les organes de prévention et de répression éprouvent des difficultés manifestes à lutter efficacement contre ces infractions. Dès lors, Monsieur le Ministre a indiqué que la protection des citoyens qui, par leurs actions, promeuvent la défense de l’intérêt général se pose avec acuité en ce qu’ils peuvent être exposés à des licenciements abusifs, refus d’avancement, menaces, procédures judiciaires, pressions, intimidations ou violences, etc.
Dans cette optique, il dira que l’Etat s’est ainsi résolument engagé à consacrer le statut de lanceur d’alerte et à définir une procédure garantissant la confidentialité par la mise en place d’un mécanisme interne et externe de recueil, de transmission et de divulgation des signalements et dénonciations aux autorités compétentes. En outre, il fera noter que le présent projet de loi donne une large définition du lanceur d’alerte, fournit une base légale de protection des lanceurs d’alerte, précise le champ des informations considérées comme un signalement et définit la procédure applicable. Il institue, en même temps, un mécanisme d’auto-dénonciation suivant des modalités précises.
Afin de se prémunir d’éventuelles représailles, Monsieur le Ministre a indiqué que le texte offre une immunité pénale au lanceur d’alerte et lui donne le choix de divulguer ses informations en interne ou auprès des autorités extérieures compétentes. Il consacre, entre autres innovations, la définition du prête-nom de biens, de fonds ou d’avoir illicites pour les personnes physiques ou représentants de personnes morales autres que les bénéficiaires effectifs. De même, Monsieur le Ministre a rappelé qu’il habilite l’organe anti-corruption à recevoir et à investiguer sur les signalements et les informations divulgués par les lanceurs d’alerte, les prête-noms de biens, de fonds ou d’avoir illicites, ainsi que les personnes qui s’auto- dénoncent et se soumettent volontairement à la restitution d’avoir illicites.
Intervenant à leur tour, vos Commissaires ont adressé leurs félicitations et encouragements à Monsieur le Ministre, avant de faire part de leurs préoccupations et suggestions qui, pour l’essentiel, se résument aux points ci-après :
D’emblée, vos Commissaires ont salué la pertinence de ce projet de loi portant statut et protection des lanceurs d’alerte qui revêt, selon eux, une importance capitale en matière de transparence, de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption.
A cet égard, il a été préconisé d’étendre le champ d’application dudit projet de loi à toutes les questions d’intérêt général relatives, notamment, aux atteintes à la santé publique, à l’environnement ainsi qu’à toutes les infractions d’ordre économique.
Dans le même sillage, vos Commissaires ont soutenu la nécessité de supprimer la condition de « l’activité professionnelle » adossée à la définition du lanceur d’alerte pour permettre à toute personne qui le souhaite, de dénoncer des pratiques illégales, des risques ou menaces contraires à l’intérêt général, tout en bénéficiant de la protection qui en découle.
Parallèlement, ils ont invité Monsieur le Ministre à s’investir davantage sur une bonne communication pour permettre au public d’être édifié sur les critères d’identification d’un lanceur d’alerte et les canaux de signalisation mis à leur disposition.
Toutefois, certains Commissaires ont estimé que le présent projet de loi vise à promouvoir l’espionnage et la dénonciation qui sont aux antipodes de nos valeurs sociales et des principes religieux. Par ailleurs, il a été exprimé des réserves concernant la récompense financière des lanceurs d’alerte ou prête-nom ainsi que le pourcentage exorbitant prévu à cet effet. Selon eux, la contrepartie financière du signalement peut ouvrir la voie à une professionnalisation du lancement d’alerte et une divulgation d’informations malveillantes ou calomnieuses qui posent un risque accru de dénaturer l’esprit de la loi.
A cet égard, il a été préconisé de durcir les sanctions découlant de mauvaises intentions ou de fausses accusations afin de prévenir les abus et la délation.
Sur le même sujet, il a été recommandé, d’une part, de préciser au niveau des articles -19 et 20, que ladite récompense est octroyée à la personne qui fait une divulgation conduisant à une condamnation « définitive » de la personne poursuivie et d’autre part, de définir clairement les cas où l’organe de lutte anti-corruption sera habileté à déterminer le montant approprié, afin de parer à toutes possibilités de confusion.
Vos Commissaires ont, également, tenu à savoir si la diffusion de photos et vidéos attestant des pratiques et comportements illégaux pourront constituer une infraction susceptible d’engager la responsabilité du lanceur d’alerte ou du dénonciateur.
Dans la même perspective, ils ont souhaité des clarifications sur les modalités de rémunération prévues en l’absence d’une condamnation financière ainsi que sur le caractère imposable du montant de la récompense. Poursuivant leur propos, vos Commissaires ont jugé opportun de préciser les critères de choix du référent et d’enlever les prérogatives d’enquêtes qui lui sont attribués, afin de pallier aux risques d’abus.
Ils ont, en outre, interpellé Monsieur le Ministre sur les critères d’appréciation des risques de dissimulation ou de destruction de preuves et les mesures alternatives à prendre lorsque le signalement porte sur des faits mettant en cause le référent interne ou son complice. Dans le même ordre d’idées, certains Commissaires ont estimé que dans les entreprises privées, le signalement effectué par le canal d’un référent peut porter atteinte au principe de l’anonymat et freiner les initiatives d’alerte, par peur d’être victime de rétrogradation ou de refus de promotion.
Par ailleurs, il a été indiqué de prendre les dispositions nécessaires afin d’éviter que l’autodénonciation du prête-nom puisse constituer un moyen de se soustraire à des sanctions pénales.
Vos Commissaires ont, également, tenu à savoir si les revenus des médecins qui exercent cumulativement dans les secteurs publics et privés peuvent être considérés comme un enrichissement illicite.
Enfin, s’intéressant au Fonds spécial de recouvrement des biens et avoirs issus de la fraude, il a été recommandé que ses ressources financières proviennent exclusivement de montants recouvrés et de financement publics, afin de garantir pleinement son indépendance. Reprenant la parole pour donner suite aux interpellations de vos Commissaires, Monsieur le Ministre les a, d’abord, remerciés pour la qualité des débats et la pertinence des questions posées, avant d’apporter des éléments de réponses à leurs préoccupations.
De prime à bord, Monsieur le Ministre dira que le présent projet de loi s’inscrit dans une logique d’encourager les citoyens à signaler les fraudes et autres pratiques illicites ou illégales, afin d’accroître les opportunités de lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance. Tout de même, il s’accorde avec vos Commissaires, en rappelant que la notion de lanceur d’alerte est, certes, relativement récente mais l’action de dénoncer une mauvaise conduite pour le bien commun reste une pratique ancienne.
Dans ce cadre, il fera noter que ledit projet de loi portant statut et protection des lanceurs d’alerte ne fera que conforter la réglementation contenue dans le Code de Procédure Pénale, qui prévoit en son article 32 que « le Procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner ».
A cet effet, Monsieur le Ministre est, amplement, revenu sur le rôle crucial que joue la dénonciation dans la mise en œuvre de l’action du procureur mais également dans les secteurs de la douane et de la police où les indicateurs fournissent des renseignements précieux dans le cadre de la lutte contre la criminalité et la fraude.
Par ailleurs, abordant la question de la récompense des lanceurs d’alerte, il reste d’avis avec vos Commissaires que la situation actuelle des scandales financiers portant sur des montants extrêmement élevés, témoigne de la légitimité de s’interroger sur le pourcentage du montant à octroyer et le risque que certaines personnes consacrent toutes leurs activités à la recherche de faits pouvant conduire à un signalement.
Toutefois, il fera savoir qu’il ne suffit pas de lancer une alerte pour prétendre à la récompense, mais faudrait-il que l’information divulguée aboutisse à des résultats probants pour que la contrepartie financière soit accordée. De plus, il soutiendra que les dispositions de l’article 19 confèrent à l’organe de lutte anti-corruption les prérogatives de déterminer le montant qu’il estime juste, raisonnable et plus conforme à l’intérêt général, dans certains cas spécifiques ou lorsque les 10% du montant recouvrés se révèlent exorbitants.
Pour conclure sur ce sujet, Monsieur le Ministre soutiendra que toutes les mesures nécessaires seront prises à travers des décrets d’application, afin de circonscrire les risques et d’éviter tout effet contreproductif.
Revenant sur les préoccupations ayant trait au référant interne, Monsieur le Ministre a fait savoir que sa saisine ne revêt aucun caractère obligatoire, ce qui signifie, selon lui, que le lanceur d’alerte est libre de procéder à un signalement par la voie interne, dès lors qu’il estime qu’il est possible d’y remédier efficacement, tout comme il peut choisir de procéder directement à un signalement externe au siège de l’autorité compétente, sous couvert ou non de l’anonymat.
Le lanceur d’alerte est également libre de divulguer publiquement les informations transmises dans le cadre du signalement, s’il a des motifs sérieux de penser que le référent est mis en cause ou est en connivence avec l’auteur des faits, ajoutera Monsieur le Ministre. Il indiquera, dans le même sens, qu’aucune sanction disciplinaire ne peut découler d’un signalement effectué par le canal du référent interne, conformément aux dispositions de l’article 9 qui prévoit une liste de mesures de protection contre les représailles faites à l’endroit d’un lanceur d’alerte ou de ses parents et alliés, y compris la rétrogradation et le refus de promotion.
Sur la question de la diffusion d’images de personnes s’adonnant à des pratiques illégales allant à l’encontre de l’intérêt général, il fera noter que cette possibilité est accordée lorsque les violations portent sur des faits graves et manifestes. A cet égard, il a souligné l’impérative nécessité de se conformer au principe du secret, dans certains cas protégés par la loi et les règlements.
Réagissant à l’exonération accordée au prête-nom qui s’autodénonce, il a soutenu que les avantages financiers et la dispense de responsabilité pénale ne peuvent être envisagés que dans la seule mesure où aucune poursuite judiciaire n’est initiée à son égard ou à l’endroit du principal propriétaire des biens, fonds ou avoirs illicites.
Sous ce rapport, il indiquera que ces mesures d’exonération font parties du fonctionnement normal de la justice. En guise d’exemple, il fera noter que dans une enquête judiciaire, lorsque l’une des personnes mise en cause est disposée à faire des déclarations incriminant ses complices, le procureur peut prendre l’engagement de la mettre hors de cause si les informations données sont de nature à conduire à des résultats probants dans le dénouement de l’enquête.
Parallèlement, il est revenu sur la question du caractère imposable du montant de la récompense, en soulignant que les revenus et les gains exceptionnels ne font pas l’objet d’imposition. Tout de même, il a indiqué que cette question ne relève pas de sa compétence et que les personnes habilitées se chargeront de déterminer la catégorie de revenus dans laquelle les montants seront classés.
Invoquant la question du cumul d’activité dans le secteur de la santé, Monsieur le Ministre a soutenu que cette pratique qui consiste pour les médecins d’exercer leur profession, à la fois, dans le secteur public comme privé est admise lorsqu’elle fait l’objet d’une réglementation. A cet égard, il informera que du temps du Président Léopold Sédar Senghor, cette pratique était encouragée pour lutter contre la fuite de cerveau.
Concluant son propos, Monsieur le Ministre a indiqué que ledit projet de loi s’inscrit dans une dynamique nouvelle qui comporte des risques nécessitant d’être circonscris dans le cadre des décrets d’application ainsi qu’à travers une évaluation efficace pour en analyser les résultats et identifier les insuffisances afin de l’améliorer et de la perfectionner à l’usage.
Au moment du vote du projet de loi, conformément aux dispositions du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, vos Commissaires ont examiné des projets d’amendements, présentés par le gouvernement, qui ont été adoptés et annexés au présent rapport. Satisfaits des réponses apportées par Monsieur le Ministre, vos Commissaires ont adopté, à l’unanimité, le projet de loi n°13/2025 portant statut et protection des lanceurs d’alerte. Ils vous demandent d’en faire autant, s’il ne soulève, de votre part, aucune objection majeure.