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jeudi, avril 18, 2024
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Une aumône qui flétrit le cœur au lieu du salaire qui le satisfait (PAR TIDIANE SOW)

par pierre Dieme

Nous avons de l’eau, du soleil, des bras ; bientôt du gaz et du pétrole, et paradoxalement notre pays a faim. C’est à notre élite de donner l’exemple

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Entre les deux tours que constituent les élections locales passées et les prochaines législatives de juillet, le landerneau politique s’anime. Le mois sacré du Ramadan n’a pas imposé de trêve politique. Des coalitions nouvelles se sont formées et le président Sall s’est adonné à son exercice favori de débauchage à tour de bras des élus des coalitions adverses. Pas moins de huit maires, élus sous la bannière de l’opposition, ont rejoint le camp du président. Un bien triste exercice d’entre soi entre le débaucheur et les débauchés. Cela nourrit davantage la défiance citoyenne déjà fortement ébranlée et exacerbe un peu plus le divorce consommé entre la classe politique et les citoyens. Comment peut-on rester zen devant ces engagements défaillants, des maires élus sous les bannières YAW, Walu ou Gueum sa bopp et qui rejoignent la coalition présidentielle BBY ?

À ceux qui ne comprennent pas le dégoût des hommes politiques, il leur suffit d’observer les actes délictuels que ces derniers posent jour après jour. Le débauchage d‘élus en est un.

Les citoyens ne comprennent pas qu’ils élisent un des leurs, quelqu’un capable de comprendre leur souffrance et en qui ils se remettent pour y apporter des solutions, quelqu’un qu’ils prennent comme « hors système » et qui subitement se trouve happé par le « système », débauché qu’il est par un président gourmand. Ce dernier ne cause pas seulement du tort aux citoyens, trahis dans leur choix, mais il perpètre un crime contre notre démocratie. Les citoyens ne suivront pas le choix de leurs maires transhumants, ils l’abandonneront au « système » et voteront contre lui, pour exprimer leur ressentiment, quand pointeront les prochaines échéances. Ce fut le cas pour Idy, ce sera le cas pour les autres. Ils apporteront certes leur renommée au président, mais pas leurs voix. Cette boucle se répétera tant que des valeurs simples, telles que la droiture, la franchise, la loyauté et l’honnêteté ne seront pas revenues en politique.

C’est vrai, le président est dans une logique de conforter sa base et sa coalition, mais rien ne justifie de trahir le vote de ses administrés. Les élections législatives qui s’annoncent seront vitales pour lui. D’autant plus qu’il laisse de moins en moins planer des doutes sur ses intentions de glaner un troisième mandat. Il applique la logique mitterrandienne à son opposition : « Ceux qui sont dans mon camp ne seront pas dans le vôtre ». Plus rien n’est laissé au hasard. L’artillerie lourde est de sortie. Des pontes du parti sont envoyés dans les régions, avec pour mission de rassurer la base, d’aplanir les ego froissés lors des locales et de faire le plein de parrainages. Le but ultime de ce branle-bas de combat est d’évaluer au plus tôt, par des parrainages–sondages, l’état des forces en présence et d’en tirer toutes les conséquences. Cela est normal. Le président fait de la politique. Il en tirera toutes les conséquences, y compris celle de ne pas se représenter à un troisième mandat, si la situation s’avérait défavorable à son camp. C’est à l’opposition qu’incombe la tâche politique de l’en empêcher en faisant tout pour remporter les législatives. La récente mesure, sous forme de décret de prolonger de trente mois le service actif des brigadiers-chefs et des brigadiers de la police, qui devraient partir à la retraite cette année, n’augure rien de bon et conforte les velléités qu’on prêterait au président de faire un forcing pour un troisième mandat. Ceci n’est assurément pas une bonne nouvelle pour le Sénégal. Il avait prévenu, après les évènements de mars 2021, qu’il ne se laisserait plus surprendre. Ce genre de promesses il les tient. 2024 promet d’être une année de tous les dangers. « Les conséquences d’un acte sont incluses dans l’acte lui-même », comme disait Orwell*. Avec ces actes posés, le président se prépare. Nous pouvons ignorer cette réalité, mais, comme dirait Ayn Rand*, dans ce cas nous ne pouvons pas ignorer les conséquences d’ignorer cette réalité. Faute de quoi, il ne nous restera plus qu’à nous couvrir de scapulaires, boire du Zam Zam* et nous parer de nos amulettes et autres gris-gris pour que le Sénégal ne brûle pas.

​​« Les Serengeti* des politiques, qui avaient lieu seulement aux périodes d’alternance, ont cours maintenant toute l’année ! »

Les promesses faites par le président restent comme des plaies qui suppurent. Rien de ce qu’il aura promis ne sera tenu. C’est la partie « immatérielle » de son bilan qu’il aura ratée : le mandat de 7 ans ramené à 5 ans annoncé urbi et orbi ne résistera pas à la pression de ses partisans ; “la patrie avant le parti” restera un slogan creux, car, les faveurs et protections des membres de son clan seront l’alpha et l’oméga de sa gouvernance. “Le haro sur les transhumants” fut jeté aux orties dès son arrivéeau pouvoir. Les débauchages des membres de l’opposition à tour de bras, comme le faisait naguère le président Wade, connurent des fulgurances dans le déshonneur. Désormais on reçoit dans les salons du palais de la République les transhumants et des selfies sont pris pour immortaliser les prises pour que nul ne l’ignore. Les Serengeti* des politiques, qui avaient lieu seulement aux périodes d’alternance, ont cours maintenant toute l’année !

Chaque fois qu’on pense avoir touché le fonds, on coule encore plus.

Avec des membres de gouvernement battus à plate couture lors de ces élections locales parfois par d’illustres inconnus, nouveaux venus en politique, le président, fidèle à sa logique de procrastination, continue de se coltiner un gouvernement rejeté par les populations. Aux crises sociale et économique qui sévissaient durablement dans le pays, s‘ajoute dorénavant une crise de légitimité du gouvernement. La nomination d’un Premier ministre, jugée urgente depuis la mi-décembre, ne semble plus à l’ordre du jour. La lame de fond qui a balayé la majorité lors de ces locales, fut tellement profonde que le président ne sait plus comment opérer, qui renvoyer, qui conserver tant ils ont été presque tous mauvais. Le statu quo semble être sa voie de repli. Le pays est à l’arrêt. Guère rassurés sur leur futur, les  ministres ne prennent plus d’initiatives, ne sachant de quoi demain sera fait. Chacun essaie de se faire oublier.

«  Il faut créer des industries, il faut redéfinir l’éducation, sinon c’est de  l’argent jeté par la fenêtre »

Le peuple quant à lui attendra. D’ailleurs les remaniements ne l’intéressent guère. Il accorde plus d’importance aux jacasseries diverses, plus essentielles à ses yeux que les promesses politiques de toute façon non tenues. 

Ce ne sera pas faute d’efforts, le président se démène comme un forcené pour séduire et retourner ainsi les jeunes qui votent contre lui. Les distributions d’argent à travers des programmes sociaux ou autres, à des gens qui n’ont rien à faire ou qui ne savent pas comment faire, ne règle hélas pas le problème. Il faut créer des industries, il faut redéfinir l’éducation, sinon c’est de l’argent jeté par la fenêtre juste pour contenir la colère sociale ou, comme dirait Hugo* « une aumône qui flétrit le coeur au lieu du salaire qui le satisfait ». Dans son discours prémonitoire d’avant l’insurrection ouvrière, il soulignait : « D’un coté une quantité immense de travaux possibles, de l’autre côté une quantité immense de travailleurs disponibles. Et le résultat ? Néant ! On se contente de faire l’aumône. »  N’est-ce pas ce que nous vivons ? Rien ne manque : Nous avons de l’eau, du soleil, des bras et bientôt du gaz et du pétrole et paradoxalement notre pays a faim et on distribue de l’aumône. Nous devons mieux faire. On se retrousse les manches et on plonge les mains dans le cambouis. C’est à notre élite de donner l’exemple, celle en qui, une large partie du pays espère, celle qui instille le courage à une autre partie, celle qui est attendue et qui doit transformer les peurs de l’avenir en actions de développement.

Dr Tidiane Sow est Coach en Communication politique.

Notes :

– YAW ; Walu ; Gueum sa Bopp : Coalitions de l’Opposition.

– BBY : Coalition majoritaire au Pouvoir.

– Zam Zam : Eau bénite

– Serengeti : grande migration des gnous et zèbres vers le Masai Mara 

– Georges Orwell : Écrivain anglais. 1984

– Ayn Rand : Philosophe américaine, citations

– Victor Hugo : Écrivain et homme politique français, Discours au   Parlement de juin 1848 à propos des Ateliers nationaux.

Tidiane Sow de SenePlus

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