jeudi, octobre 10, 2024
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Shula: « Il faut une solution structurelle et non conjoncturelle de la condition de l’artiste »

par pierre Dieme

Les conditions de travail de l’artiste sénégalais sont souvent précaires. Ramatoulaye Ndiaye plus connue sous le nom de scène de Shula réclame une réforme structurelle et non conjoncturelle du statut de l’artiste. Le Covid confirme l’urgence d’agir et braque les projecteurs sur leur précarité. Mais Shula, tant bien que mal, s’est mobilisée pour mettre sa notoriété au profit de la lutte contre la maladie en s’activant dans la sensibilisation. Entretien !

Pourquoi avoir choisi Shula comme nom de scène ?

C’est juste un nom d’artiste que m’a donné Ousmane Diallo dit Ouza ; d’ailleurs, c’est lui qui m’a révélé au public sénégalais. Nous cherchions juste un nom d’artiste qu’on n’écorcherait pas.

Parlez-nous de vos débuts dans la musique

C’était il y a longtemps ; j’ai commencée en 1996, j’étais toute petite. J’ai juste eu la chance de pouvoir m’intéresser à l’art, à imiter de grandes voix de la musique mondiale dont Whitney Houston. Et c’est ainsi que j’ai commencé à faire à  Rufisque des reprises d’une de ses chansons hit de cette époque-là (I Will always love You). Et depuis, j’ai eu le virus de la musique et j’essaie de faire mon petit bonhomme de chemin. Mais, en amont, je suis une passionnée des arts, parce que lorsque j’avais entre 10 et 11 ans, j’ai eu une révélation de ce que c’était la musique, ce que symbolisait l’art, étant une expression qui va au-delà des frontières et que la langue n’est plus une barrière. J’étais à côté de mon feu grand père et j’écoutais, avec sa petite radio transistor, les infos qui passaient à la radio Rts et tout d’un coup, il y a eu Maman Fanta Fifi Kanté qui faisait passer de la music soul, jazz entre autres. Et c’était la première fois que j’écoutais Aretha Franklin  et d’autres grandes chanteuses. Quand j’ai écouté, ça m’a bouleversée et depuis ce jour-là, je suis devenue celle que je suis devenue parce que j’ai cette connexion avec la musique.

Quel est l’artiste qui vous a influencée ?

Pendant la période où j’étais encore avec Ouza, c’était Whitney Houston. Mais celle qui m’a le plus marquée c’est Adja Khar Mbaye Madiaga. Elle m’a aidée à aimer la musique traditionnelle sénégalaise, elle m’a aidée sans le savoir parce que c’est juste de l’influence. D’ailleurs à la fin, je suis allé la rencontrer et en faire une marraine honoraire de notre tournée ‘’Shula acoustique tour’’ en 2010. Elle m’a aussi aidée à comprendre que l’art quand elle est authentique, la musique, elle, peut transpirer le terroir de la personne qui l’exprime. Chanter en valorisant les airs traditionnels pousse l’inconnu, celui qui ne connait pas la musique de Shula, la musique sénégalaise, à se demander d’où est-ce que l’on vient. Et cela m’est arrivé à plusieurs reprises et cela me pousse à la recherche. Mame Khar Mbaye m’a aidée à découvrir la voix de Mame Yandé Codou Séne, de Fambéne Isseu Diop, entre autres. En gros, c’est à travers elle que j’ai pu pousser ma curiosité pour savoir tout ce que je ressens par rapport à la tradition du pays et bien d’autres choses. A chaque fois que l’on m’entend chanter, on sent un tout petit peu cette influence des grandes voix de mon pays.

Pourquoi avez-vous choisi la musique acoustique ?

Quand on m’a connu avec Ouza, je faisais du « blues » et une fan que j’ai rencontrée un peu plus tard, lors d’une tournée, m’a dit qu’elle sentait du blues, du soul dans ma musique, qu’elle ne comprenait pas ma langue, mais qu’elle me conseillait de maintenir cela parce que c’est une musique qui a une âme. Et pour moi, ça résonnait de plusieurs manières possibles. Avec Ouza, on m’a connu avec une chanson où je m’exprimais en anglais, je chantais en anglais, je n’imitais pas. Et dans ma tête je rêvais de faire un duo avec Whitney Houston et je me demandais si je devais faire ce duo avec elle, qui serais-je devant elle ? Est-ce Shula l’américaine ? Je ne suis pas américaine, est-ce Shula la moderne, hors je ne sais pas ce que signifie la modernité en tant qu’artiste en ce temps-là. Et de là, je me suis dit pourquoi ne pas m’interroger et savoir qui je suis artistiquement. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je prends la peine de clarifier un tout petit peu ce que j’appelle acoustique. Pour moi ce n’est pas que l’instrument, mais l’univers acoustique que je veux créer qui peut pousser celui qui t’écoute à justement t’écouter, à profiter de la musique, à écouter tes messages. Tu peux faire de l’ambiance, sans oublier de participer au réveil. Cet univers artistique là que j’appelle aujourd’hui l’afro-folk-acoustique, est la résultante d’une recherche approfondie que j’ai faite sur le patrimoine culturel sénégalais traditionnel. J’ai interrogé d’une certaine manière mon éducation, mes origines, tout cela sur le plan culturel, pour ne pas verser dans le communautarisme. Il y a une richesse extraordinaire et c’est à nous les artistes de faire l’effort de la recherche, de comprendre d’où nous venons, d’identifier ce patrimoine culturel qui est un puits intarissable. De l’identifier, de se l’approprier, la porter et l’offrir en retour au monde parce qu’actuellement nous vivons dans un monde de diversité et comme le dit l’adage  « Meuno djoké lo momoul ». De là, je me suis dit qu’il faut que je m’approprie ce qui est mienne en interrogeant mon environnement culturel immédiat et c’est ce que j’ai fait. Pour ce qui est de l’accoustique, j’ai était influencée par les folksingers comme par exemple les Bob Dylan, les Tracy Chapman entre autres mais c’est surtout en créant le link avec la musique traditionnelle. Je me suis focalisée sur le « khalam » de Mame Diabare Samb au moment où cet instrument n’était pas sonorisé, les Soundjoulou Cissokho avec leurs koras. En ce temps, les ces derniers s’exprimaient avec leurs instruments sans être sonorisés et c’est de cet acoustique-là dont je fais allusion. C’est cet univers là que je tente, avec une musique, avec des instruments modernes mais je maintiens toujours l’utilisation des instruments traditionnels et avec tout ça j’ai été en mesure de créer quelque chose qui me correspond et voilà c’est ça l’afro-folk-acoustique.

Quels sont les thèmes que vous abordez dans vos chansons ?

J’aborde souvent des thèmes d’actualités, de sociétés dans mes chansons. Je parle souvent de la préservation de la paix, de la scolarisation, du maintien des filles à l’école. Pour une expérience personnelle, j’ai dû, à mes débuts, reléguer la musique au second plan pour continuer mon cursus scolaire. Je suis allée jusqu’à l’université pour étudier l’anglais et n’eut été cela, je ne serais pas là en train de m’exprimer, d’écrire des notes conceptuelles pour la vision que j’ai de l’art, entre autres.

Comment vivez-vous le coronavirus avec la fermeture des salles de spectacles ?

C’est une crise sanitaire mondiale qui n’épargne personne, surtout le monde culturel. Nous la vivons difficilement comme tout le monde. Mais en tant que sénégalaise je garde toujours la foi et je sais que c’est le cas de beaucoup d’artistes, du monde culturel. Nous avons toujours confiance en nos médecins, nos scientifiques, ce sont eux les vrais combattants, ils sauvent des vies et cela dans des conditions très risquées. Il y a beaucoup d’espoir à avoir, à cultiver, c’est un moment de crise très difficile pour tout le monde. Je souhaite continuer à participer à la sensibilisation sur la lutte contre la Covid-19 et je sais que je ne suis pas la seule. C’est un acte citoyen et nous essayerons de trouver des voies et moyens pour continuer à vivre comme on le dit : « vivre avec le virus » mais tout en faisant attention, en restant vigilant.

Comment jugez-vous le fond alloué aux acteurs culturels ?

Nous avons certes besoin d’être accompagnés car économiquement c’est difficile mais le travail, c’est la dignité de l’homme (elle se répète). Moi Shula, j’inviterai les décideurs à mieux communiquer avec les sénégalais et faire d’eux de grands alliés pour lutter tous ensemble contre la Covid-19. Ce n’est certes pas évident. Nous avons un fonds qui nous a été alloués parce qu’en ce moment-là, il fallait le faire d’urgence. C’est une situation qui a surpris tout le monde mais nous remercions quand même le gouvernement pour cet acte. Nous avons que notre métier pour subvenir à nos besoins, nous avons des responsabilités, les décideurs doivent continuer à dialoguer avec le monde culturel afin de trouver une solution pour équilibrer les choses. Nous n’allons pas pousser des situations à risque parce qu’il s’agit de santé, de vie et de mort et la maladie existe vraiment. Nous avons besoin de travailler, il faut seulement que l’on nous accompagne sur le comment nous devons nous y prendre mais aussi se retrouver autour des protocoles sanitaires. S’il faut réduire drastiquement oui mais que l’on nous aide à continuer à nous exprimer. Quoi que l’on dise, nous avons besoin de la culture pour aider dans la sensibilisation. Il faut qu’ils nous aident à mieux les aider parce que nous savons que nous pouvons atteindre les masses, nous pouvons être à leurs côtés dans la lutte. Il faut chercher une solution structurelle pas conjoncturelle !

Avez-vous reçu votre  part ?

Pour ce qui est du premier fonds oui mais pour le deuxième non ! Mais je ne veux  pas qu’on nous réduise nos revendications à l’aspect économique. La culture c’est l’âme d’un peuple (elle insiste) ! Pour moi tout est culturel et cette dimension-là, qu’on ne la néglige pas. C’est juste que nous sommes en train de faire un métier qui peut fédérer, un métier qui peut nous permettre à nous tous de nous entre-aider et dans ce contexte c’est ce dont nous avons besoin. Je suis à l’écoute de comment nous allons régler cette situation par rapport au 2 Milliards 500 mais moi je n’attends pas. Nous avons un concept qui justement en temps de crise va nous permettre nous dans le cadre de la tournée que nous faisons de continuer à jouer notre partition. A vrai dire c’est une initiative socio-culturelle, participative et citoyenne et on nous verra à l’œuvre. C’est juste pour dire qu’on ne réduise pas notre revendication à l’aspect ecomonique parce que il ne s’agit pas que d’argent (elle insiste), mais plutôt d’un accompagnement qui va permettre  aux artistes de continuer à jouer leur partition, en gagnant leur vie.

Vivez-vous de votre art ?

Je suis dans l’entreprenariat culturel, dans un contexte qui ne prête plus comme avant à créer une industrie par exemple musicale digne de ce nom parce qu’il y a beaucoup de préalable. Comme par exemple demander où en est l’environnement juridique, comment les artistes se sont formalisés dans leurs domaines  et ce n’est pas le cas de tout le monde. L’artiste peut vivre de son art s’il prend ses responsabilités. Moi je suis devenue formelle, j’ai une structure qui s’appelle Shula Music Events. Je lutte pour gagner ma vie, nous avons des tournées, beaucoup de choses que nous sommes en train de préparer. Nous trouvons des partenaires et avec cette manière-là au moins nous sommes dans l’action, nous tentons de créer de l’emploi et nous essayons de nous en sortir tant bien que mal. Je ne peux pas parler pour les autres mais tout ce que je sais c’est que les artistes gagnent difficilement leurs vies au Sénégal. Après pour ma part, je rends grâce à Dieu, après tout dépend de mon objectif. Le plus important ce n’est pas sa réussite à soi, mais comment on peut servir, transformer la vie des uns et des autres, à aider les autres à aller de l’avant. C’est cette philosophie que j’ai de la réussite

 Quels sont vos projets ?

Je suis revenue à Dakar, il y a plus d’une semaine alors que j’étais au niveau de la petite côte pour entamer une tournée nationale qui s’appelle Shula Acoustique tour digital. Digitaliser justement pour cause de Covid-19, digitaliser davantage parce qu’on a tout revu en formule réduite à cause du contexte. Cette formule du Shula Acoustique Music tour nous permet de respecter les gestes barrières, les restrictions édictées pour le moment le temps que les choses évoluent. J’invite le gouverneur à écouter les artistes. Il doit veiller à ce que les populations soient en bonne santé. Je prends l’initiative d’aller rencontrer le gouverneur car j’ai besoin de comprendre. On ne peut pas nous demander de rester chez nous juste comme ça. Il faut que l’on comprenne le pourquoi nous devons rester chez nous. Qu’on ne nous ferme pas toutes les portes parce que la culture est importante pour un pays.

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