Autrefois fierté nationale et première station balnéaire d’Afrique de l’Ouest, Saly sombre dans une décadence accélérée, victime de maux structurels, d’un marketing défaillant et d’un abandon institutionnel.
Ils étaient nombreux, ces touristes européens, à débarquer ici dans les années 80, séduits par le soleil, les plages de sable fin et l’authenticité sénégalaise. Aujourd’hui, Saly Portudal n’est plus que l’ombre d’elle-même. La station balnéaire autrefois florissante, fer de lance du tourisme ouest-africain, est devenue une « cité dortoir », rongée par des infrastructures délabrées, l’insécurité et un abandon criant des autorités. Un naufrage silencieux qui pousse investisseurs et promoteurs à la fuite et menace des milliers d’emplois.
Le déclin progressif de est visible à chaque coin de rue. Les routes, jadis lisses et bordées de palmiers, sont aujourd’hui criblées de nids-de-poule. Les pluies transforment les axes secondaires en bourbiers. L’absence de toilettes publiques et la prolifération des motos-taxis “Jakarta” achèvent de défigurer le paysage urbain.
Les plages, cartes postales d’antan, sont souvent jonchées de déchets plastiques. Pire, l’insécurité s’est installée. Mendicité agressive, racolage déguisé et pickpockets dissuadent les visiteurs de sortir le soir.
« Avant, les touristes se promenaient jusqu’à minuit. Aujourd’hui, à 20h, la rue est vide. Ils ont peur du noir, peur des motos, peur de tout », témoigne Fatou Sow, commerçante depuis 15 ans.
Une touriste française, en août 2025, confirme : « On nous a suivies pendant 500 mètres. On a fini par rentrer en courant. Le lendemain, on a pris un taxi pour Dakar. »
L’animation culturelle est quasi inexistante. Les rares initiatives privées, comme des concerts improvisés, sont étouffées par le manque de soutien. Le Syndicat des Commerçants de Saly estime que 68% des boutiques saisonnières n’ont pas rouvert après la pandémie.
Marketing défaillant : le Sénégal invisible face à une concurrence agressive
Alors que ses voisins déploient des stratégies marketing offensives, le Sénégal brille par son absence sur la scène internationale. Les chiffres sont éloquents. En octobre 2025, le site officiel Maroc Tourisme enregistrait 1,8 million de visites mensuelles, contre 620 000 pour le Cap-Vert et seulement 42 000 pour le site Sénégal Tourisme (dont 60% de visites locales).
Les documents promotionnels utilisent encore des photos datant des années 1990. Pendant ce temps, le Maroc a investi 1,2 milliard de dollars en marketing entre 2020 et 2025, attirant 14,5 millions de touristes en 2024. Le Cap-Vert, avec ses vols directs depuis l’Europe, promeut avec succès ses îles comme « les Caraïbes de l’Atlantique ».
Tourisme local méprisé et patrimoine sous-exploité
Le tourisme interne est le grand oublié. Aucun circuit domestique ou package week-end n’est sérieusement promu auprès des Sénégalais, qui lui préfèrent les stations plus abordables de Ngaparou ou de la Somone.
Pourtant, le patrimoine culturel est riche, mais il reste sous-exploité. Les artisans de Mbour, les lutteurs de Thiès ou les pêcheurs de Joal-Fadiouth ne sont pas intégrés dans l’offre touristique. Les initiatives passées, comme des soirées mettant en valeur la gastronomie locale, n’ont pas été pérennisées. Le “Made in Saly” peine à exister, malgré le potentiel d’événements comme la foire Saly-Expo.
L’asphyxie des promoteurs : entre fiscalité punitive et abandon
Les acteurs locaux sont à bout. La fiscalité est perçue comme punitive : la taxe foncière a été multipliée par trois en cinq ans et les redevances hôtelières atteignent 18% du chiffre d’affaires.
Selon le Syndicat des Hôteliers de la Petite Côte (2025), 60% des hôtels indépendants ont fermé ou sont en vente, et 42% des promoteurs doivent plus de 20 millions de FCFA d’arriérés fiscaux.
« J’ai investi 300 millions FCFA. Aujourd’hui, je dois 42 millions d’impôts. L’État me tue plus sûrement que la concurrence », déplore M. S. Ndiaye, promoteur depuis 1998.
Conséquence : les restaurants et agences d’excursion ferment, les écoles de tourisme voient leurs étudiants s’exiler, et les emplois directs (réceptionnistes, cuisiniers, animateurs) ont chuté de 54% depuis 2019. Les investisseurs étrangers, Français, Italiens, Belges, revendent leurs villas à perte pour s’installer au Maroc, à Madagascar ou au Cap-Vert.
Saly Portudal n’est pas encore condamnée. Elle garde en elle la mémoire de sa gloire passée, le sourire de ses habitants et la beauté naturelle de ses paysages. Mais le temps presse. Sans une vision claire, un courage politique affirmé et une mobilisation collective de l’État, des collectivités locales, des investisseurs et de la société civile, la première station balnéaire d’Afrique de l’Ouest pourrait bien n’être bientôt plus qu’un souvenir fané.
Samba Niébé BA

