Le Fonds monétaire international (Fmi) vient de boucler sa mission au Sénégal, dans un contexte très tendu sur le plan budgétaire (Fmi). L’institution de Bretton woods a dévoilé ce mardi 26 août, les principales conclusions des échanges avec les autorités sénégalaises. Des conclusions dont Mouhamed Dia, expert-financier, nous décortique les grandes lignes dans cet entretien avec Seneweb.
Quels grands enseignements tirer des conclusions de la mission du Fmi au Sénégal ?
Tous les programmes du Fmi ont presque le même but, celui d’envoyer des signaux clairs aux donateurs, aux créanciers et au grand public sur la solidité des politiques économiques du pays. En quelque sorte, les pays membres utilisent le nom du Fmi afin d’être crédibles auprès des bailleurs de fonds. Le Fmi joue un rôle d’amortisseur financier. Ce n’est pas dans l’intérêt du Fmi que son programme échoue dans les pays qu’il aide afin de ne pas créer une mauvaise image auprès des bailleurs de fonds. Ainsi, le Fmi vient corroborer ce que les économistes avaient déjà établi, à savoir les manipulations des finances publiques par l’ancien régime au moyen de mécanismes peu orthodoxes ainsi que des dépenses effectuées sans couverture budgétaire.
Le FMI a décidé d’accompagner le Sénégal sur les quatre axes suivants : renforcer la transparence budgétaire et la gestion des finances publiques, soutenir la relance des secteurs stratégiques, développer le capital humain et l’équité sociale et renforcer la résilience face aux chocs climatiques. Les deux principaux programmes sont : l’instrument de soutien à la politique économique (Ispe) qui vise à aider les pays membre à maintenir ou consolider la stabilité macroéconomique et la viabilité de la dette, tout en approfondissant les réformes structurelles dans des domaines essentiels où des contraintes pèsent sur la croissance et sur la réduction de la pauvreté. Il y a aussi l’instrument de Coordination des politiques économiques (Icpe) qui est un instrument introduit par le Fmi en 2017 qui sert à renforcer la stabilité macroéconomique par le maintien de la viabilité des finances publiques et la gestion prudente de la dette. Dans tous les cas, compte tenu des circonstances, il est plus sage de signer un programme avec le Fmi afin de pouvoir mobiliser des ressources pour une relance adéquate avant la mise en place du plan de redressement.
Les conclusions et «félicitations» du Fmi aux autorités sénégalaises suffiront-elles à ramener la confiance des bailleurs envers le Sénégal ?
Il est indéniable que cela favorise le rétablissement progressif de la confiance des bailleurs de fonds. Mais il incombe désormais à notre responsabilité de déterminer la trajectoire que nous souhaitons adopter quant à l’affectation des ressources mobilisées. Il convient de reconnaître que le Sénégal est un pays pauvre, fortement endetté, disposant de ressources internes insuffisantes pour couvrir ses dépenses. Cela nous a contraints, chaque année, à contracter des dettes excessives, faute de disposer d’alternatives viables. Des décisions inappropriées en matière d’endettement ont émergé au cours des dernières décennies, dont les conséquences se manifestent actuellement.
Sous l’ère des républicains, on a assisté à une volonté d’une transformation structurelle de l’économie et plusieurs réalisations ont vu le jour, même si certaines n’étaient pas opportunes ou ont été mal négociées. À la suite de nombreuses réalisations majeures accomplies durant le septennat des républicains, une succession de crises s’est manifestée au cours du quinquennat, ce qui a engendré un coût considérable pour le Sénégal, nécessitant un recours accru à l’endettement afin de faire face à ces difficultés et d’éviter une récession. Cet endettement massif inopportun durant le septennat et obligatoire durant le quinquennat a plongé le Sénégal dans un trou noir.
La croissance a grimpé à 12% au premier trimestre grâce au pétrole Brut. Mais le Fmi s’inquiète pour ce qui est de la croissance hors hydrocarbures de 3%. Quel est votre analyse sur ces deux facettes de la croissance ?
Nous mélangeons croissance économique et développement. La croissance n’est rien d’autre qu’une accumulation de richesses. Le développement, c’est l’amélioration de la qualité de vie. Nous sommes un pays pauvre. Nous devons donc bâtir notre nation sur des fondations solides – la santé, l’éducation, l’accès à l’eau potable – plutôt que d’enterrer des milliards qui n’ont presque aucun retour sur investissement. Développons sérieusement notre agriculture, qui pourra créer un effet d’entraînement des autres secteurs de l’économie.
Dans un monde parfait où tout serait prévisible, ce taux de croissance à deux chiffres continu devrait être en mesure de réduire la pauvreté, mais il y a toujours des chocs exogènes à prendre en compte. Pour faire face à des chocs exogènes, il est important qu’un endettement soit bien structuré, que cela soit des taux d’intérêt, des devises libellées et ou des échéances entre autres. L’Etat doit s’assurer qu’il n’y ait pas beaucoup de prêts à court terme ou à des taux variables, car cela peut affecter le budget. Certes, il y a une corrélation positive entre la rente pétrolière et la croissance économique, cependant, ce que nous constatons en Afrique est que cette rente crée un phénomène contre productif.
Comment ?
Cette rente crée une forte croissance, qui malheureusement n’est pas toujours inclusive. Le surplus pétrolier n’a pas toujours engendré le développement économique souhaité. Il est essentiel de reconnaître que la rente pétrolière augmentera la richesse du pays, donc le PIB, mais si on s’appesantit sur la croissance hors hydrocarbures, on sent que la production est le facteur déterminant de ce ratio.
Les conclusions de l’audit de Forvis Mazars placent le stock de la dette à 111% du Pib à fin 2023 et à 118,8% fin 2024. Là aussi quels enseignements en tirer ?
Si l’on considérait le pays comme une entreprise, on pourrait affirmer qu’il aurait fait faillite. Toutefois, étant donné que les États ne connaissent pas la faillite, il convient d’établir cette comparaison afin de souligner la gravité de la situation actuelle. Cela signifie que l’État ne dispose plus de marges de manœuvre budgétaires et sera dans l’incapacité de mobiliser des fonds pour l’investissement. Le mode de fonctionnement actuel résulte des dommages causés par le régime précédent.
Le FMI a voulu faire patienter le Sénégal jusqu’à la conclusion de l’audit des finances publiques afin de mettre en place un programme qui permettra de décaisser des fonds. Si le Sénégal est dans cette situation actuelle, cela est en partie dû à l’indiscipline budgétaire du septennat des Républicains, conjuguée aux crises du quinquennat et à la dette cachée. Les finances publiques n’ont pas été assainies et il y a eu beaucoup d’exonérations fiscales. Et c’était un des problèmes avec le Fmi. Par exemple, pour les zones économiques de Diamniadio, de Diass, le Fmi avait carrément averti le gouvernement que pour ces zones, il fallait arrêter les exonérations fiscales ou les effacer au cas par cas. Les subventions constituaient un fardeau pour le Sénégal et le plus gros problème était la Senelec (250 milliards de francs Cfa étaient payés à la Senelec et 70 milliards à la Sar). Le gouvernement, n’ayant pas d’autres choix à cause des crises, a dû s’endetter massivement à juste titre et c’est la raison pour laquelle ils étaient obligés de maquiller les finances publiques afin de pouvoir bénéficier de ces prêts pour éviter le pire.
Les nouveaux gouvernants eux, ont pris le risque de tout révéler…
L’actuel gouvernement a fait le choix de dire la vérité aux partenaires multilatéraux afin de partir sur de nouvelles bases solides et cela a eu un coût (dégradation de la note du pays), même si je pense que c’était la chose à faire, car tôt ou tard, le Fmi allait s’en rendre compte et les conséquences allaient être beaucoup plus désastreuses. La croissance durant le septennat des Républicains a battu tous les records pour notre pays, mais cette croissance n’a pas pu réduire la pauvreté ou impacter l’indice de développement humain en général. La raison n’est autre que les ressources mobilisées ont été allouées dans des investissements publics dans les infrastructures qui ont été pilotés par des entreprises étrangères. La richesse créée, n’est malheureusement pas réinvestie dans notre pays, mais plutôt rapatriée dans les métropoles.
Cette croyance selon laquelle les investissements publics dans les infrastructures telles que les routes, les autoroutes, est un moteur indispensable de la croissance économique a toujours fortement influencé la décision des leaders dans les pays en voie de développement. Selon des études faites, ce type de modèle de croissance qui repose sur l’investissement public est lent et ne réduit pas la pauvreté. Certains économistes ont plutôt conseillé de minimiser l’importance du secteur public, et des infrastructures en donnant la priorité au capital humain et aux réformes et surtout la bonne gouvernance.
Le Sénégal peut se lancer dans la construction d’infrastructures sous forme de partenariats public-privé qui n’est autre qu’un mode de financement fait par des prestataires privés qui en retour gère l’infrastructure. Le montage financier est fait de sorte que les dépenses ne sont pas comptabilisées dans le budget car étant des dépenses de fonctionnement au lieu de dépenses d’investissement. Le paiement se fera soit sous forme de loyer ou des recettes tirées de l’exploitation de l’infrastructure. Ce mode de financement a certes des avantages, mais aussi des inconvénients très désastreux.
Nous constatons le recours à des partenariats public-privé pour la construction d’infrastructures dans le monde et notamment en Afrique. Quand un gouvernement est à court d’argent, ce mécanisme de financement est devenu de plus en plus populaire. Pour un pays comme la Chine, l’infrastructure a été un élément clé dans leur développement, car elle grandissait et elle a finalement été génératrice de revenus pour payer la dette. Cependant, pour l’Espagne, cela n’a pas été un succès. L’Espagne a construit des autoroutes que personne n’utilise, des aéroports qui ne sont pas du tout utilisés. Conséquemment, les recettes fiscales pour rembourser les dettes n’étaient pas disponibles. La raison principale pour laquelle les gouvernements font appel à un partenariat public-privé est le manque de ressources pour la construction d’infrastructures.
A présent, que faire ou comment s’y prendre avec un tel niveau d’endettement ?
Il est inconcevable qu’un pays demeure pauvre tout en prétendant à l’émergence. Dans le parcours de développement, il convient d’abord de sortir de la pauvreté avant d’évoquer toute notion d’émergence. Depuis de nombreuses années, le Sénégal demeure parmi les pays affichant les indices de développement humain les plus faibles. Divers programmes ont été mis en œuvre, mais aucun d’entre eux n’a réussi à favoriser le développement du Sénégal. Ce référentiel se révèle pragmatique en intégrant la situation des finances publiques marquée par un déficit budgétaire important. Il conviendra tout d’abord de redresser les finances publiques et de restructurer la dette afin de nous garantir une marge de manœuvre budgétaire suffisamment confortable à l’avenir.
Maintenant avec le référentiel Sénégal 2050, il est important de savoir qu’en théorie, ce projet est excellent, vu que le Sénégal s’est massivement mal endetté et cela réduit les manœuvres budgétaires. Toutefois, il faut être positif et prendre le temps de bien communiquer avec les partenaires bilatéraux et multilatéraux afin de trouver des solutions à court terme et à long terme afin de mobiliser les ressources et surtout de bien les allouer. Il faut penser au futur et mettre de côté le passé tout en apprenant des erreurs commises. Nous devons penser micro en ce moment, car nous n’avons pas la possibilité de nous endetter massivement afin de mettre en place des projets qui pourront développer le Sénégal.
Par exemple, au lieu d’essayer de construire certaines routes dans l’immédiat, nous pouvons construire des infrastructures dans les pôles territoriaux. Mettre les parcs industriels à côté des fournisseurs spécialisés. L’Etat a vu que les chocs exogènes nous déstabilisent et il faut nécessairement mettre un mécanisme pour faire face à ces chocs. Un fonds doit aussi être mis en place pour une éventuelle subvention de l’électricité en cas de hausse du prix du baril du pétrole.
Auteur: Propos recueillis par Youssouf SANE