Le Sénégal, dans le cadre de sa stratégie de transformation économique, a mis en place un programme ambitieux : le Programme national de développement des Agropoles du Sénégal (PNDAS). Ce projet vise à bâtir des pôles agro-industriels intégrés sur l’ensemble du territoire national afin de doter le pays d’une véritable industrie agroalimentaire, capable de transformer localement les productions agricoles, de créer des emplois et de réduire les importations.
Cinq pôles agro-industriels pour valoriser les territoires
Dans ce cadre, cinq grandes zones sont ciblées : Centre, Nord, Sud, Ouest et Est. Chaque pôle jouera le rôle de catalyseur pour la valorisation des chaînes de valeur agricoles correspondant à son environnement territorial. Selon la documentation officielle, les agropoles ont été intégrées dans la « Vision 2050-Agenda national de transformation », articulée autour de l’économie compétitive, de l’aménagement durable, de l’équité sociale et d’une gouvernance renouvelée.
Chacun des pôles agro-industriels se décline à travers des régions, des filières prioritaires, et un financement spécifique.
Le pôle « Centre », couvrant les régions de Kaolack, Diourbel, Fatick et Kaffrine, se concentre sur les filières arachide, céréales et sel. Le montant de financement indiqué est de 108 milliards FCFA
Le pôle « Sud», situé en Casamance (régions de Ziguinchor, Kolda, Sédhiou), traite les filières mangues, anacarde, maïs, avec un financement de 57 milliards FCFA.
Le pôle « Ouest», dans la région de Thiès (Sandiara, Nguéniène, Malicounda), cible légumes, fruits, viande, œufs, lait pour 56 milliards FCFA.
Le pôle « Nord», pour Louga, Saint-Louis, Matam, intervient sur riz, oignon, tomates, viande : il est doté de 189 milliards FCFA.
Le pôle « Est», couvrant Tambacounda et Kédougou, porte des filières comme banane, maïs, fonio, sans montant chiffré précisé dans l’annonce initiale.
Ces pôles sont soutenus par des bailleurs internationaux (Banque africaine de développement, Banque islamique de développement, Enabel, etc.) et par l’État sénégalais. Les objectifs sont nombreux : augmentation de la production, montée en valeur ajoutée, substitution des importations, création d’emplois jeunes et femmes.
Selon le gouvernement, la mise en œuvre des deux premiers pôles – l’Agropole Sud et l’Agropole Centre devrait générer environ 350 000 emplois directs et indirects, d’après les estimations présentées lors du Conseil des ministres du 23 juillet 2025. Ce volume d’emplois démontre l’ampleur de l’impact socio-économique attendu du programme et confirme sa place stratégique dans la politique d’industrialisation du pays.
Une politique industrielle portée par la « Vision Sénégal 2050 »
Le Premier ministre Ousmane Sonko souligne d’ailleurs que « les agropoles, véritables moteurs du développement agro-alimentaire, joueront un rôle central en facilitant, grâce à l’intermédiation des coopératives, l’accès des producteurs agricoles aux agrégateurs et aux industries de transformation. En rapprochant physiquement les zones de production des unités de transformation, ils permettront de réduire les pertes post-récolte, d’améliorer la visibilité sur les stocks et d’optimiser la gestion des volumes de production. Ces infrastructures intégrées deviendront également des vecteurs d’innovation technologique. »
Les Agropoles figurent parmi les programmes phares de la Vision Sénégal 2050 – Agenda national de transformation pour un pays souverain, juste et prospère, en raison de leur fort potentiel à contribuer aux grands objectifs stratégiques de développement. Ils s’inscrivent pleinement dans l’axe 1, consacré à la souveraineté économique et alimentaire, et l’axe 3, orienté vers la transformation structurelle et la création d’emplois durables.
Lors de son passage dans l’émission « Nay Ler » du 17 octobre 2025 sur la Radio Télévision Sénégalaise (RTS1), Serigne Guèye Diop, ministre de l’Industrie et du Commerce, a donné plusieurs éclairages sur la démarche du gouvernement à travers ces agropoles. Il a d’abord déclaré que « la mise en place des pôles est la véritable politique industrielle du gouvernement ». Il a rappelé que ce type d’infrastructure « c’est de l’industrie », soulignant le passage d’une logique d’entreposage à celle de transformation horizontale et verticale des produits agricoles.
Il a précisé qu’au-delà des plateformes de production agricole, l’objectif est de bâtir des zones industrielles dans chaque département, de manière à ce que l’agro-alimentaire mais aussi le textile, l’automobile ou la pharmaceutique puissent se développer. Il a évoqué des sites tels que celui de Fatick (Centre) déjà inauguré, et l’Agropole du Sud qu’il prévoit d’inaugurer en janvier.
À ce propos, le ministre rappelait le potentiel particulier de la grande région sud du pays : « Le potentiel de la Casamance est presque illimité en matière d’agriculture et d’élevage. Par contre, on a vu que depuis 65 ans, il n’y a pas eu d’investissements dans le domaine de l’industrie. Or, le rôle de l’industrie, c’est de transformer des produits à haute valeur ajoutée. L’anacarde, qu’on vend aujourd’hui à 700 F, s’il est transformé, peut valoir de 10 000 à 15 000 F. Et pour cela, il faut créer des Agropoles dans chaque département. »
Le ministre a également insisté sur la dimension industrielle horizontale et verticale – par exemple de la mangue jusqu’au jus de mangue – et sur la nécessité d’un foncier sécurisé et attrayant pour les investisseurs (contrats sur 50 ou même 99 ans). Il a souligné que, même si les plateformes agricoles existaient, il fallait passer à la phase industrielle concrète.
Enfin, Serigne Guèye Diop a annoncé que dans la phase 1 (2025-2029) l’Etat va mettre en place vingt-cinq sites industriels dans les agropoles du Sud et du Centre, et qu’ensuite, via les collectivités et les maires, d’autres zones seront aménagées dans la phase 2.
Des fondations solides et une approche inclusive
Le projet des agropoles repose sur des fondations solides. Le concept indique que le taux de transformation des produits agricoles au Sénégal est inférieur à 15 %, alors que dans d’autres pays ce taux atteint 90 % ou plus. Ce constat souligne l’ampleur du potentiel de transformation industrielle domestique.
Par ailleurs, une étude de la BAD explique que le pôle Sud a été conçu de manière inclusive, avec une attention particulière aux femmes : au moins 50 % des emplois créés dans les agropoles seront dévolus aux femmes, et 60 % aux jeunes. Des conventions signées récemment, comme pour l’Agropole Centre, montrent que le programme met l’accent sur la sécurisation des producteurs et la structuration des chaînes de valeur : par exemple, une convention de 190 millions FCFA entre le PNDAS et la Compagnie Nationale d’Assurance Agricole du Sénégal (CNAAS) vise à couvrir le risque sécheresse dans les filières arachide, céréales et sel.
La même zone a signé des conventions avec des organismes de normalisation pour renforcer les PME/PMI dans la zone, ce qui atteste d’un accompagnement technique et non seulement infrastructurel.
Défis et perspectives d’un tournant industriel
Ce projet apparaît donc surdimensionné non seulement par ses ambitions mais aussi par les ressources engagées et la couverture territoriale. Il incarne un tournant industriel pour un pays encore largement dépendant de l’importation de produits agroalimentaires. Le ministre Serigne Guèye Diop l’a rappelé : « nous importons quasiment tout ce que nous mangeons et cela nous rend fragile ». Cependant, des défis majeurs persistent : sécuriser les intrants et la production agricole, garantir la formation et la montée en compétences des PME/PMI, mobiliser l’investissement privé à une échelle suffisante, et assurer la viabilité des infrastructures dans le temps.
L’ancrage des agropoles dans leurs territoires suppose aussi une gouvernance efficace, un foncier sécurisé, une connectivité (énergie, eau, transport) et une logique de services (stocks, transformation, qualité, marchés). Le ministre a évoqué cette dimension lorsqu’il appelait à la mise en place d’un incubateur industriel pour le pôle Centre et au développement de filières encore peu valorisées.
L’ambition économique du régime de Bassirou Diomaye Faye
Sous le régime de Bassirou Diomaye Faye, et avec la coordination du Premier ministre, l’État a décidé de faire de l’industrialisation un pilier central de la politique économique. Les agropoles s’inscrivent pleinement dans cette ambition car elles concilient agriculture, transformation et territorialisation. Par la création d’unités industrielles dans les zones rurales, par le développement des filières, et par l’implication des jeunes et des femmes, l’objectif est de construire une économie plus autonome, inclusive et durable avec l’atteinte d’une souveraineté alimentaire et une réduction du déficit de la balance commerciale
La démarche est marquée par une approche multi-acteurs : État, bailleurs internationaux, secteur privé, collectivités locales. Elle vise à passer du « cultiver et vendre » à « cultiver, transformer, valoriser et exporter ». Le ministre l’a bien formulé : « C’est ça une zone industrielle. » L’enjeu est clair : faire des agropoles un vecteur de résilience, de souveraineté alimentaire et de création d’emplois. Le succès de ce projet pourrait redéfinir le paradigme de l’agriculture sénégalaise et de son lien à l’industrie. Toutefois, pour que la promesse devienne réalité, les sites doivent rapidement avoir des unités industrielles opérationnelles, des filières bien structurées, des acteurs privés mobilisés et des mécanismes de gouvernance efficaces.
Par Cheikh Gora DIOP