samedi, octobre 5, 2024
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La grosse arnaque foncière

par pierre Dieme

Le Lotissement administratif de la commune de Niaguis portant autorisation de lotir les villages de Boucotte Mancagne et Baraf, n’en finit toujours pas de faire couler beaucoup d’encre et de salive

Le Lotissement administratif de la commune de Niaguis, sur une superficie de 592ha 75a 14ca faisant l’objet de l’arrêté n°14746 du 18 Août 2017, du Ministre du Renouveau Urbain, de l’Habitat et du Cadre de Vie et portant autorisation de lotir les villages de Boucotte Mancagne et Baraf, n’en finit toujours pas de faire couler beaucoup d’encre et de salive. A l’origine, depuis deux mois, du contentieux entre la municipalité de Niaguis et les populations des villages impactés, avec comme corolaires, l’arrestation et l’emprisonnement de 4 membres du Comité de veille et d’alerte formé par les impactés, ce litige foncier cache des mystères jusque-là non révélés au grand public. Sud quotidien, par le concours du Fonds d’appui au journalisme d’investigation de Ejicom, a pu percer certaines énigmes allant de l’aliénation des terres du domaine public par certaines populations à la surpuissance de certains élus à l’issue de ce lotissement, en passant par des clés de répartitions non consensuelles, ou encore des irrégularités flagrantes par rapport à la loi n° 2008-43 du 20 août 2008 portant partie législative du Code de l’Urbanisme, sous avec la complicité d’un promoteur immobilier véreux.

Un voyage effectué à Ziguinchor, du 25 août au 2 septembre 2020, a permis de rencontrer les populations des villages de Mandina Mancagne, Kanténe, Boucotte Mancagne Djibeuneu et Baraf, regroupées au sein d’un comité dénommé Comité de veille et d’alerte. L’actuel Secrétaire général, Boubacar Diallo, en l’absence du Secrétaire général, en détention dans le cadre de ce litige foncier, explique que les villages cités ci-dessus avaient «à un moment donné senti le besoin de procéder à un alignement conformément à certaines dispositions de la loi d’orientation agrosylvo-pastorale pour non seulement protéger mais également conserver nos plantations, source de notre survie».

DE L’ALIGNEMENT AU LOTISSEMENT A PROBLEME

A l’en croire, c’est sur ces entrefaites que la mairie de Niaguis, par le biais du président de sa commission domaniale, en l’occurrence Boubacar Sow, plus connu sous le sobriquet de “Bouba Sow“, est venue proposer un lotissement à la place de l’alignement voulu au départ, pour éviter que la mairie de Ziguinchor, qui chercherait un agrandissement de son assiette foncier, s’accapare des terres. Il indique, sans pour autant fournir un Procès-verbal (Pv) de ladite rencontre, que la mairie avait promis de prendre en charge les frais dudit lotissement avec l’aide d’un partenaire qui disposait de 2 milliards de FCFA. Selon lui, la première clé de répartition, proposée parla mairie, était de 60% pour chaque propriétaire selon sa propriété et 40% pour la municipalité. Cela, sur la surface totale à lotir. A noter que, selon la définition de Wikipédia, «l’alignement correspond à la détermination de l’implantation des constructions par rapport au domaine public, afin de satisfaire aux soucis esthétiques, urbains, de salubrité, de sécurité, de circulation». Alors que le lotissement, selon la même source puisé du code de l’urbanisme est «la division en propriété ou en jouissance d’une unité foncière ou de plusieurs unités foncières contiguës ayant pour objet de créer un ou plusieurs lots destinés à être bâtis».

UNE DEUXIEME CLE DE REPARTITION ACCEPTEE DIFFICILEMENT PAR LES POPULATIONS 

Poursuivant, M. Diallo renseigne qu’entre temps, la mairie est revenue à la charge pour informer les commissions domaniales formées dans les différents villages, qu’elle ne disposait pas des 2 milliards initialement prévus, mais «qu’elle aurait trouvé un partenaire, la société SCI Toit du Sud qui aurait accepté l’exécution dudit lotissement en contrepartie d’une rétribution en nature, à savoir des lots». Cette fois-ci, il nous fournit la convention de partenariat entre la municipalité de Niaguis, représentée par le maire Lamine Sagna d’une part, et la SCI Le Toit du Sud de l’autre, représentée par sa Directrice générale, Elisa Sobetala Beye Guissé. A l’en croire, la société en charge du lotissement les informe de la nouvelle clé de répartition. Il s’agit d’un prélèvement de 30% sur la surface totale à lotir pour la voirie, les biens et édifices publics, conformément aux normes nationales. Les 70% restants sur la surface à lotir serviront au partage, soit 60% pour les populations, 25% pour la société SCI Le Toit du Sud, sous forme de rétribution, et 15% pour la municipalité, pour servir aux éventuels dédommagements des propriétaires de terres qui auront été partiellement ou entièrement impactés par les biens et édifices publics. C’est cette deuxième clé de répartition, difficilement acceptée par les populations, après moult réunions populaires, qui aurait permis le démarrage effectif du lotissement.

LA TROISIEME CLE DE REPARTITION A L’ORIGINE DU DIFFEREND 

Le hic, à son avis, est que dès le premier jour de la distribution des lots aux populations de Boucotte Mancagne et de Baraf, les populations ont été surprises de voir «qu’en lieu et place des 30% prévus antérieurement pour la voirie, les biens et édifices publics, c’est plutôt 50% de nos terres qui nous sont imputés sous prétexte de la largeur des voies et des dimensions des parcelles (625m2)». Donc désormais, le partage ne se fera que sur les 50% restants de la surface lotie, soit 60% pourles populations, 25% pour la société SCI Toit du Sud et 15% pour la municipalité. Ce serait, selon lui, cette nouvelle et troisième clé de répartition qui serait à l’origine de la création du Comité de veille et d’alerte, dans le but «de dénoncer cette forfaiture mais également défendre les intérêts des populations». Il convient de préciser que dans le Code de l’Urbanisme, au Titre des opérations d’aménagement et au chapitre des normes de densité, les dispositions de l’article R 78 indiquent que «le taux d’occupation par types d’usages est fixé ainsi qu’il suit : surface réservée à l’Habitat et à ses annexes : maximum 70% ; surface réservée à la voirie : minimum 15% ; surface réservée aux activités et aux équipements 15%». Et de renchérir que «pour chaque zone, les plans d’urbanisme fixent les taux d’occupation, compte tenu des taux ci-dessus indiqués». Ce qui semble correspondre le mieux à ce que les membres du comité de veille et d’alerte considèrent comme la deuxième clé de répartition qui leur avait été imposée.

L’INACTION COUPABLE DES AUTORITES LOCALES ET CENTRALES 

Commencent alors les tracasseries et autres envois de correspondances en vain, dont nous disposons des copies. Il s’agit des autorités municipales, de celles administratives de la commune, la région, avec ampliation aux services de sécurité, à savoir la Gendarmerie et le BMS, aux autorités religieuses de la région, à certaines organisations comme la Plate-forme des femmes pour la paix en Casamance, le Collectif des cadres casamançais, etc. Une correspondance a été même adressée à la Présidence de République, le 12 Juillet 2019 et dont la réponse datée du 01 Août 2019, sous le numéro 003492PR/CAB/CT-amd, leur est parvenue quelque temps après. Poursuivant, M. Diallo nous remet une copie d’une demande et d’une autorisation de marche pacifique à Ziguinchor, pour le 24 juillet 2019, enregistrée sous le numéro 000778/D.ZG/P.

LE GOUVERNEUR REAGIT SUITE A L’AUTORISATION DE MARCHE PACIFIQUE

 L’actuel Secrétaire général dudit comité renseigne que «c’est seulement après cela que le Gouverneur de région a demandé au comité de surseoir à la marche pour assister à une réunion en présence des services techniques de l’Etat, des forces de sécurité et des parties prenantes». Il nous transmet une copie de la convocation pour la rencontre prévue le 31 juillet 2019, dans les locaux de la gouvernance. Sans toutefois nous présenter le Pv de ladite rencontre, il nous explique que «le Gouverneur a entre autres, sommé la mairie de Niaguis et la société SCI Toit du Sud de suspendre toute activité inhérente à ce lotissement et a invité toutes les parties prenantes, sous la supervision du sous-préfet de Niaguis, à procéder à l’identification exhaustive de tous les propriétaires de terres afin de travailler dans le sens du respect de la deuxième clé de répartition». C’est-à-dire, la déduction des 30% pour la voirie, les biens et édifices publics, avant le partage des 70% restants, à raison de 40% pour la mairie et la SCI et 60% pour les propriétaires de terres.

LA SCI TOIT DU SUD VEND SES LOTS SANS SOURCILLER 

Seulement, selon lui, les choses ne se sont pas passées comme l’avait suggéré le Gouverneur de Ziguinchor. Il dira que quelques mois après cette réunion, des agents de la société SCI Le Toit du Sud ont repris leur travail sur le terrain comme si de rien n’était. Pis, à son avis, ces derniers procédaient au morcellement et à la vente, dans leurs vergers, des parcelles qui, selon eux, leur reviendraient de droit comme rétribution. Cela, au moment où certains propriétaires n’avaient encore reçu que des numéros d’une partie des parcelles qui leurs reviennent et que d’autres acquéreurs de terrains auprès de ces propriétaires terriens n’avaient pas été pris en compte dans le dédommagement que devait faire la municipalité suite à l’impact du lotissement sur leurs parcelles. Comme preuves de la vente des lots par le promoteur, en dépit des instructions de mise aux arrêts des travaux pour une rectification de la répartition, nous nous sommes procurés les numéros de comptes de ladite société, logées au Crédit mutuel du Sénégal (CMS) avec des bordereaux de versement d’acquéreurs de terrains. Mieux, nous avons eu connaissance des autres numéros de comptes des banques partenaires, à savoir la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS) et la Banque Atlantique, où était versé l’argent des acheteurs.

VENTE DES TERRAINS AVANT LA FIN DU LOTISSEMENT : Le “Tong-Tong” illégal des lots de la Sci Le Toit du Sud

Mieux, nous détenons une copie du formulaire d’engagement pour acquérir un terrain à Boucotte Mancagne et Baraaf auprès de la SCI Le Toit du Sud, comme se font les «tong-tong» (mode de paiement en détail, particulier aux femmes sénégalaises dans leurs associations). Dans ledit formulaire, il est clairement indiqué le mode de paiement des terrains, les coûts des lots et la durée du versement. Pour ceux de 300m² qui sont à 1.300.000 FCFA payable en 2 ans, les versements sont établis comme suit : 1.800 FCFA par jour, 13.550 FCFA par semaine, 27.100 FCFA par 2 semaines, ou en encore 54.200 FCFA par mois. Concernant les lots qui font 150m² cédés à 650.000 FCFA, c’est le même mode de versement, à savoir 900 par jour, 6.775 FCFA par semaine, 13.550 FCFA par 2 semaines et enfin 27.100 FCFA par mois. Cette vente des lots par la SCI Le Toit du Sud parait enfreindre le Code de l’urbanisme en son Article R 163 qui stipule que «La vente ou location des terrains compris dans un lotissement, ainsi que la délivrance de l’autorisation de construire ne peuvent être effectuées qu’après l’obtention de l’autorisation de lotir et l’exécution de toutes les prescriptions imposées au lotisseur par cette autorisation». Or, il est constaté sur le terrain que l’exécution complète des travaux de viabilité imposés au lotisseur par l’autorité, l’Article R 167, n’a pas été respectée. Même si l’implantation des repères fixes ou bornes de délimitation des lots est effective à certains endroits, il n’en demeure pas moins que beaucoup de travaux n’ont pas été effectués. On peut citer, entre autres, le terrassement et le nivellement du terrain; la voirie; la distribution d’eau; la réalisation d’aires de stationnement et d’espaces verts. Toutefois, en parcourant la convention de lotissement qui lie la SCI Le Toit du Sud et la mairie de Niaguis, il est dit que «la SCI se décharge de tout engagement portant sur la viabilisation de ces terrains lotis notamment en eau et électricité. Elle décline toute responsabilité sur l’état de viabilité de ces zones, elle ne s’engage qu’à faire un lotissement pur et simple de ces terrains». Pourtant, un traçage de la voirie avec comme conséquence, le terrage des arbres forestiers et les anacardiers, avait été entamé avant d’être stoppé par non seulement les instructions du gouverneur, lors de la réunion du 31 juillet 2019, mais aussi par la sanction de 1.500.000 FCFA du Service départemental des Eaux et Forêts de Ziguinchor qui a estimé que les promoteurs Le Toit du Sud et la mairie ont enfreint le Code forestier en ne s’acquittant pas des taxes forestières. A noter que la Société civile immobilière (SCI) le Toit du sud, créée en 2016, est implantée à Boucotte Ziguinchor, à côté de l’Hôpital Silence, Avenue Emile Badiane. Elle a pour activité le lotissement de parcelles dans les régions de Ziguinchor, Sédhiou et Kolda.

MUTISMEDE LA MAIRIE SUR LE LOTISSEMENT : Le silence coupable de la municipalité

Pour obtenirla version de la municipalité dans ce litige foncier, nous avons joint au téléphone, le 01 septembre dernier, vers 15h, le président de la Commission domaniale à la mairie de Niaguis, en l’occurrence Boubacar Sow appelé “Bouba Sow“. Au bout du fil, après une brève présentation de l’objet de notre appel, il nous renvoie vers la mairie pour toute information concernant cette affaire. Et pas un mot de plus de sa part. De son côté, le Secrétaire général de la mairie de Niaguis, Mohamed Diop n’a pas daigné répondre à nos nombreux coups de fil. Après de multiples vaines tentatives pour le joindre, nous nous sommes résolus d’effectuer le déplacement. Sur place, le 2 septembre, vers 12h, le Sg de la mairie de Niaguis nous accueille dans son grand et spacieux bureau. Visiblement très gêné par notre visite surprise et par l’objet de ce déplacement, M. Diop nous informe qu’il détient par devers lui, tous les éléments de preuve du lotissement «correct» de Boucotte Mancagne et Baraf. Mieux, nous montrant une pile de documents, entreposés à côté de son bureau, Mohamed Diop nous révèle que c’est l’ensemble des Pv de rencontre avec les populations, les feuilles de présence, tout comme la demande d’autorisation du lotissement, ainsi que d’autres documents. Toutefois, ilrefuse de nous les montrer, encore moins de nous céder des copies. Mieux, il nous informe que la veille, au moment de nos appels téléphoniques non décrochés, ils étaient en réunion entre le Premier adjoint au maire, Wandifa Cissé, le président de la commission domaniale, Bouba Sow et lui-même Sg de la mairie de Niaguis, dans son bureau. A son avis, il a été retenu de tenir une conférence de presse, suite aux «harcèlements des journalistes» sur cette affaire. Cela, sans pour autant donnerla date, ni le lieu de ladite rencontre. Il promet tout de même de nous inviter à ce face-à-face avec la presse qui se tiendra incessamment. Jusqu’au moment d’écrire ces lignes, aucune conférence de presse à notre connaissance, n’a été tenue sur cette affaire. Bien avant ce déplacement à Ziguinchor, nous avons joint le Premier adjoint au maire, Wandifa Cissé, qui nous a fait savoir qu’il ne se prononcerait pas sur le fond du dossier, sous le prétexte que l’affaire est pendante devant la justice. Il s’était alors limité à nous indiquer que toutes les personnes interpellées n’étaient pas des résidents de la commune de Niaguis et que le protocole avait été fait avec les populations résidentes. (Voir, par ailleurs, la parution de Sud quotidien du 16 juin dernier). A noter que le maire de Niaguis, Lamine Sagna est alité suite à une longue maladie qui ne lui permet plus d’exercer ses fonctions d’édile de la commune.

DETERREMENT DES BORNES PAR LES POPULATIONS : L’erreur de trop des propriétaires terriens

Malgré les nouvelles correspondances adressées au gouverneur de région, le 26 Novembre 2019, et à la mairie de Niaguis, datée du 31 décembre 2019 pour entre autres, «Faire part et demande d’intervenir» et «Demande de rencontre», aucune autorité n’aurait levé le plus petit doigt, depuis 2 ans. Laissés à eux mêmes et face à la poursuite de la vente des lots, Boubacar Diallo explique que les populations ont décidé de déterrer les bornes implantées en rapport au morcellement et à la vente de parcelles par la SCI. A la suite de ce déterrement de bornes, des membres du Comité de veille et d’alerte, en l’occurrence le Coordonnateur Henry Ndecky, le Sg Benoit Sidjamobo Diatta, le porte-parole Idrissa Sané et le sage Abdou Diémé, ont été arrêtés puis mis sous mandat de dépôt, pour l’ouverture d’une instruction. Depuis bientôt 3 mois, ils croupissent en prison.

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