L’embastillement de PAN participe d’un projet global en cours : le troisième mandat. Et pour cela, tous les vernis de la liberté et du respect de la parole donnée vont tomber comme des écailles d’un crocodile en putréfaction
Plus qu’une « affaire » Pape Alé Niang (PAN), c’est plutôt un révélateur de ce qu’un régime aux abois est prêt à faire pour se maintenir au pouvoir. Aussi, l’embastillement de PAN, comme on l’appelle familièrement, participe d’un projet global en cours : le troisième mandat. Et pour cela, tous les vernis vont tomber comme des écailles d’un crocodile en putréfaction.
Il y a un adage (imbécile) qui voudrait qu’une promesse n’engagerait que celui ou celle qui y croit. Autrement dit, on décharge l’auteur du crime et on incrimine le témoin. Il n’y a pas injustice plus grande, plus flagrante, que ce type de raisonnement qui disculpe les faussaires pour charger avec un touchant mépris, ceux qui pensent qu’en société, la parole compte, elle est une valeur, et c’est son respect qui fonde la dignité. Or, à y regarder de près depuis… 2014 au moins, la gouvernance du président de la République est une gouvernance de reniements, où il s’est attaqué systématiquement à dévaloriser la parole présidentielle, à discréditer la parole des candidats et autres prétendants à gouverner un jour…
Faut-il rappeler la « patrie avant le parti », la gouvernance sobre et vertueuse, la nécéssaire reddition des comptes comme valeur cardinale d’une justice égale pour tous. Et puis il y eut le feuilleton du « mandat », la succession de petits meurtres entre amis, frères de parti, par une sorte d’épuration politique d’hommes et de femmes qui furent les compagnons d’épreuves douloureuses, vers la conquête du pouvoir. On ouvrait grandes les portes aux prédateurs d’hier pour occuper les places des bannis d’aujourd’hui. La parole donnée, la promesse faite, ce ne sont pas que des accessoires moraux jetées dans les ordures du (des) pouvoir(s). Or, c’est ce que ce régime, son chef en tête fait depuis des années. L’entreprise de décrédibilisation des institutions est fondée sur les reniements au quotidien.
« Vous ne verrez jamais, pendant ma gouvernance au Sénégal, un journaliste en prison pour un délit de presse ». C’était le Macky président de 2015 sur la télévision française Itélé. C’est cela qu’il était parti vendre aux Français pour achever d’enterrer son mentor Wade, devenu son ennemi intime. S’ensuivra le fameux « verrouillage » de la Constitution qui lui interdit (ainsi que les autres qui viendront) de briguer un troisième mandat.
Bah, je sais bien que dans ce pays, la morale, le respect de la parole donnée relèvent de la même insignifiance, mais tout de même, comment ces gens peuvent-ils se regarder dans la glace avec dignité ? Comment peuvent-ils relire leurs écrits d’hier, réécouter leurs paroles et indiquer aux jeunes « ceci est bon, ceci est mauvais ». C’est vrai, mentir, renier, ne sont pas des délits au sens juridique du terme. Pourtant, en creusant bien, certains propos, certaines promesses pourraient relever du mensonge, de la diffusion du faux. Mais voila, il n’y a pas de tribunal pour ça. Sauf celui du peuple : les urnes.
Dans mon dernier éditorial en date du 1er novembre ici même, je posais cette question : « Pourquoi la candidature de trop du président Macky Sall est une question de vie et (ou) de mort pour eux ? » Et j’avançais l’explication qu’ils traînent tellement de casseroles que perdre le pouvoir en 2024 signerait leur descente aux enfers. Ils devront répondre que leurs crimes. De tous leurs crimes. Économiques ou humains. Et comme ils supposent comme beaucoup de Sénégalais que celui qui devrait les remplacer pourrait bien être monsieur Ousmane Sonko, ils balisent à mort. Parce qu’ils subodorent que cet homme pourrait bien avoir le sabre plus lourd et tranchant que le Macky des premiers mois de l’alternance, ils feront tout pour différer, voire empêcher sa victoire en 2024… Et faire taire les voix, toutes les voix qui chantent faux…À commencer par celles qui réclament le respect des libertés, comme celles d’exprimer son désaccord, sa colère, de réclamer ses droits. Pape Alé fait partie de ces résistants, les lignes avancées d’un combat qui pourrait et devrait s’élargir. Des syndicats de la corporation (journalistes), des autres syndicats, des acteurs de la société civile et même les partis.
Ça fait ringard, je le sais, mais ce dont il s’agit, c’est d’un combat entre les forces démocratiques, le régime et ses differents appendices, alliés d’intérêts. Les pâtirons (la majorité) de presse ne seront pas à la tête (ni à la queue d’ailleurs) de ce combat. Madiambal était (est) un patron de presse, il a eu le soutien de ses collègues patrons d’abord, puis du reste du corps des journalistes. Aujourd’hui, la configuration de la presse, le rapport de certains organes avec le pouvoir, le fait que PAN est excré de certains patrons de presse, voire des collègues tout court (par jalousie ou envie), tout cela donc rend difficile (mais pas impossible) une mobilisation générale, massive.
Mais il faut bien commencer. Chaque jour qui passe est un jour de trop pour lui, pour sa liberté (et les nôtres) d’exercer librement sa profession. Et la propension facile, mais injuste, de mettre tout le monde sur le même pied dans les rapports avec la presse est inopérante. Aucun parti de l’opposition ne peut envoyer des forces de l’ordre interpeller un journaliste.
Ils n’embastillent pas non plus les journalistes. Et il n’est écrit nulle part que les journalistes, leur travail est hors champ de critiques. Heureusement du reste. Sinon, nous serions une catégorie à part. Hors contrôle…Le combat pour la démocratie est un combat de tous, pour tous. Et extraire PAN des geôles du pouvoir, c’est dire stop. Il y a une ligne rouge à ne pas franchir. Celle du bâillonnement des droits et des libertés.
PAR L’ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, DEMBA NDIAYE