Dans le bassin arachidier, à Kaolack, la campagne de commercialisation 2025 s’enlise dans une crise profonde. Retards institutionnels, insuffisance des capacités industrielles et fermeture du marché d’exportation ont plongé les producteurs dans une impasse économique. Contraints de vendre à perte ou de conserver des stocks invendus, de nombreux paysans peinent à faire face à leurs besoins les plus élémentaires. Au cœur des revendications, la réouverture du marché chinois et la révision de la taxe à l’exportation apparaissent comme des leviers décisifs. À l’aube de la nouvelle année, c’est toute la gouvernance de la filière arachidière qui est remise en question
La fin de l’année 2025 est marquée dans la région de Kaolack, par une montée persistante et progressive de tensions autour de la campagne de commercialisation de l’arachide, pilier historique de l’économie sénégalaise. Depuis près de trois semaines, producteurs et opérateurs économiques multiplient les initiatives, les concertations informelles et les actions collectives dans l’espoir de dégager une issue favorable à une campagne de commercialisation, seule perspective immédiate de revenus et de survie économique. Dans l’ensemble des trois départements de la région, la question domine les débats publics tant dans les places publiques villageoises que dans les centres urbains, sans qu’aucune solution ne se dessine à ce stade.
Sur ces lieux de regroupement, l’inquiétude ne cesse de croire, nourrie par un sentiment d’abandon et d’incertitude. Dans le monde rural, le doute s’est installé dès lors qu’il est apparu qu’aucune mesure officielle n’avait été prise par l’État pour respecter la date du 1er novembre, référence historique retenue par les précédents régîmes pour le lancement formel de la campagne de commercialisation, assorti de la fixation d’un prix plancher au producteur. Face à ce vide institutionnel de nombreux producteurs contraints par toutes sortes d’urgences, se sont repliés sur le système du “Mbapatt”, une pratique de commercialisation informelle et spéculative consistant à céder les graines en deçà du prix de référence, souvent au détriment des paysans.
Malgré les pertes financières qu’elle implique, cette stratégie s’est imposée à des exploitants agricoles désemparés, contraints de vendre une partie de leur production pour faire face à des charges incompressibles tels les frais de scolarité pour leurs enfants, les dépenses de santé ou le remboursement de dettes. Cette situation illustre la fragilité structurelle des exploitations familiales, fortement dépendantes de la réussite de la commercialisation.
Quatre semaines après le début des opérations, le marché est toujours atone. Les producteurs qui se rendent sur les des points de vente repartent le plus souvent avec leurs stocks invendus, faute d’acheteur. Dans les villages les revenus tirés des autres spéculations agricoles sont désormais, presque épuisées. Les rares exploitants parvenant encore à tenir se sont tournés vers la culture et la commercialisation de la pastèque ou du maïs, dont certaines entreprises industrielles promettent de contracter à hauteur de 25.000 tonnes sur une production nationale estimée à 639.000 officiellement déclarées cette année. Un volume toutefois insuffisant pour compenser l’impasse actuelle de la filière arachidière
Excédent de production et limites industrielles
Le débat autour du niveau réel de la production nationale d’arachide demeure vif. Tandis que certaines sources évoquent un volume avoisinant un million et demi de tonnes, le ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Elevage, avance un chiffre officiel de 960.000 tonnes. Au-delà des divergences, statistiques, une convergence se dégage parmi les acteurs qui s’accordent à reconnaitre que les capacités d’absorbtion des industries huilières nationales demeurent largement insuffisantes pour écouler l’ensemble de la production.
Sur le terrain, le constat est confirmé par l’absence notable de nombreuses entreprises industrielles, souvent en difficulté de trésorerie et incapables de mobiliser les ressources financières nécessaires à l’achat massif de graines. Les points de collecte et les centres d’achat promis se révèlent peu nombreux et inégalement répartis. Dans plusieurs localités, le matériel de criblage, exigé par les nouvelles normes de commercialisation, n’est pas encore installé. Là où il existe, il se trouve fréquemment dans un état de vétusté avancé, rendant impossible le traitement rapide des volumes disponibles.
Si l’Etat affiche une intransigeance accrue dans l’application du criblage préalable, les producteurs revendiquent pour leur part, une différence claire entre graines criblées et non criblées. A ce jour dans le monde rural, les acteurs estiment que ces blocages pourraient être levés par une réorganisation plus cohérente des opérations et surtout, par une réouverture maîtrisée du marché à l’exportation, notamment en direction de la Chine, accompagnée d’une révision de la taxe à l’exportation actuellement fixée à 40% Dans un contexte de baisse des cours mondiaux de l’arachide, les producteurs peinent à comprendre le maintien d’un niveau de taxation jugé déconnecté des réalités du marché international.
Le retour du marché chinois, une variable décisive
Pour de nombreux acteurs ruraux, l’implication des opérateurs chinois apparait comme une alternative centrale pour sortir la filière de l’impasse actuelle. Au fil des années, ces partenaires ont été perçus comme offrant des conditions commerciales plus souples, notamment par la non-exigence du criblage systématique et par l’application de prix souvent plus attractifs au producteur. Leur présence a également contribué à structurer une chaîne de valeur locale, à travers la multiplication de petites unités de décorticage, de traitement et de conditionnement de l’arachide dans le bassin agricole.
Ces activités ont généré des milliers d’emplois saisonniers, en particulier pour les femmes et les jeunes, sénégalais comme originaires de la sous-région, qui y trouvaient une source de revenus essentielle. La fermeture du marché d’exportation a entraîné l’arrêt quasi total de ces unités, aujourd’hui largement désertées. Les rares travailleurs encore présents se consacrent à l’approvisionnement du marché local ou opèrent dans l’attente hypothétique d’un repreneur.
C’est dans ce contexte que les revendications en faveur d’une réduction significative de la taxe à l’exportation et du retour rapide des opérateurs chinois prennent toute leur ampleur. Dans l’ensemble du monde rural, les espoirs s’amenuisent, tandis que l’inquiétude gagne des producteurs confrontés à l’érosion de leurs moyens de subsistance.
À l’aube de la nouvelle année, beaucoup appellent de leurs vœux un changement de paradigme dans la gouvernance de la filière arachidière, afin de restaurer la confiance, sécuriser les revenus paysans et préserver la stabilité sociale des territoires agricoles.
ABDOULAYE FALL

