Réagissant à l’arrestation de Ousmane Sonko qui a provoqué de violentes manifestations à Dakar et dans les autres régions du pays, le ministre de l’Intérieur, Antoine Félix Diome a déclaré que « force restera à la loi ». Birahim Seck du Forum Civil n’a pas perdu de temps pour répondre au ministre. « Monsieur le Ministre Antoine Félix Abdoulaye Diome, la force n’a jamais quitté la loi qui est le peuple », a-t-il déclaré.
Selon lui, pour la préservation au Sénégal d’un maintien de l’ordre responsable et digne, le ministre doit s’exprimer explicitement « sur les personnes identifiées par la presse et se présentant comme gardes du Président de la République ». En outre, Birahim Seck signale que la force républicaine doit être utilisée avec intelligence et discernement pour préserver la stabilité du pays et la paix sociale.
Mr le Ministre de l’Intérieur, ce n’est guère dans l’intention de provoquer, à l’aveugle, le poignard des Brutus que je vous adresse la présente, mais c’est plutôt pour vous faire part du soulagement qui a été le mien lorsque je vous ai entendu affirmer que “force restera à la loi”.
Soulagement car c’est afin que force reste à la loi que le Peuple a décidé d’exercer son droit à la résistance.
Un peuple libre n’obéit pas aux hommes mais il obéit aux lois et c’est par la force de la loi qu’il n’obéit pas aux hommes.
Dans l’Etat démocratique, le Président est élu sur la base des offres qu’il fait au Peuple lors de la campagne électorale.
Or, les discours prométhéens qui étaient servis au Peuple par le candidat Macky Sall, avaient fait naître l’espoir d’un mieux-être.
En effet, le Président Macky Sall, étant né après les indépendances, tous les sénégalais s’attendaient à une régénérescence sociale qui permettrait la consolidation des vertus républicaines indispensables à tout pays aspirant à l’émergence.
Mais, après plusieurs années, on constate que le Président Sall semble avoir pour seuls buts, d’une part d’assurer la félicitée de ses proches, ensuite de vassaliser la Justice afin d’installer l’arbitraire avec ses corollaires d’injustices et d’illégalités.
Cette situation a fait dire à Serigne Habib Sy que si les sénégalais avaient deviné qu’ils en seraient là aujourd’hui, ils n’auraient pas voté pour le candidat Sall.
A cet égard, il est indéniable que de l’évaluation collective de plusieurs faits qui sont survenus depuis 2012, un sentiment de déception et de frustration est né dans le coeur de la majorité des sénégalais.
C’est cette frustration, qui est une cause psychologique de révolte, qui fonde la légitimité de la résistance que nous vivons aujourd’hui.
Selon Lock, lorsqu’un gouvernement s’occupe d’intérêts autres que ceux pour lesquels il a été élu, la résistance du peuple devient légitime.
Ce droit à la résistance a été intégré dans la Déclaration des Droits de l’Homme, donc c’est un acquis d’ordre constitutionnel.
A ce propos, il est impérieux de dire avec force que les termes qui ont été utilisés par le Gouverneur de Dakar pour solliciter les forces armées nationales sont impropres et inconstitutionnels parce qu’en l’occurence, le Peuple exerce son droit de résistance face à l’oppression et à la tentative d’asservissement.
Dès lors, il ne fait aucun doute que c’est l’article 12 de la Déclaration des Droits de l’Homme qui devrait prévaloir; cet article dispose que : “l’institution de la force publique est nécessitée par la garantie des droits de l’Homme et du citoyen, et non l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée”.
S’agissant de l’arrestation du député Ousmane Sonko, je me sens tout à fait à l’aise de vous en entretenir puisqu’avant tout, vous êtes un magistrat connu sur la place.
Il semble que le député Sonko aurait été inculpé pour troubles à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée.
D’abord, il convient de lever une équivoque, parce qu’au Sénégal, une manifestation ne nécessite pas d’autorisation préalable, elle relève des droits qui sont expressément reconnus par la Constitution.
Pour nous assurer de la légalité de l’inculpation, je propose d’examiner l’effectivité des éléments constitutifs y afférents.
Pour l’élément matériel, il convient de rappeler que le trouble à l’ordre public et la participation à une manifestation nécessitent des faits, des actes positifs. L’inaction ou l’abstention ne saurait constituer l’élément matériel. Dans ce cas, l’élément matériel fait manifestement défaut, parce qu’Ousmane Sonko n’est pas sorti de sa voiture pour haranguer les foules, il n’a pas non plus incité ou appelé à manifester. Dans ce cas d’espèce, il s’agissait de citoyens qui s’étaient levés spontanément pour exercer un droit qui leur est reconnu par la Constitution, c’est-à-dire marcher pacifiquement pour accompagner, de leur propre gré, le député Ousmane Sonko au tribunal. Nul ne peut légalement leur contester ce droit.
Pour l’élément moral, il a été dit plus haut que Sonko n’a ni incité à manifester, ni appelé à un rassemblement. De plus, sa présence sur les lieux était motivée par son intention d’aller répondre à une convocation du juge d’instruction du 8ème cabinet.
Quant à l’élément légal, il n’existe, dans le code pénal, aucune incrimination qui correspond aux faits décris ci-dessus.
C’est dire que dans cette affaire, on tente de mettre de côté la législation applicable en la matière, pour ressusciter le droit ancien qui était fondé sur la volonté subjective. Le procureur était le procureur du roi et non le procureur de la République, c’est-à-dire de la Nation. A considérer la vérité des faits, il est permis de dire qu’on tente d’imposer la subjectivité du commanditaire de l’arrestation de Sonko comme objectivité de l’incrimination; alors qu’en matière pénale, la présomption de fait et la suspicion ne fondent pas la culpabilité. L’incrimination doit répondre aux exigences de l’article 178 du code de procédure pénale.
Il y a, sans aucun doute, une violation flagrante du principe de légalité qui est le verrou de protection des droits de l’Homme en matière pénale.
Le pouvoir du juge est de dire le droit et non de se substituer au Peuple souverain pour créer le droit. Dire le droit, c’est répondre à une situation de fait par une déclaration rendue selon les règles légales, la procédure prescrite et les preuves autorisées. Même l’intime conviction du juge a pour limite la loi (article 90 de la Constitution).
Au total, il s’offre aux avocats du député Ousmane Sonko, le loisir de saisir, soit le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies parce que l’article 15 du pacte international sur les droits civils et politiques a été violé; soit la cour de justice de la CEDEAO, parce que l’article 6 de la Charte africaine des Droits de l’Homme, l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et l’article 4 du code pénal ont été violés.