L’Agence de notation Standard and Poor’s a abaissé, le 14 novembre 2025, la notation du Sénégal à « Ccc+ ». Pour Abdoulaye Ndiaye, Professeur d’Économie à l’Université de New York (Nyu), il s’agit d’un choc, mais pas d’une surprise. Cependant, il estime que le pays, doté d’un fort potentiel, peut renverser la tendance en s’appuyant sur quatre leviers : la transparence, le reprofilage de la dette, la gestion optimale du pétrole et du gaz et la justice fiscale.
L’Agence de notation Standard and Poor’s a abaissé, le 14 novembre 2025, la notation du Sénégal à « Ccc+ ». « C’est un choc », soutient Abdoulaye Ndiaye, Professeur d’Économie à l’Université de New York (Nyu) et expert en macroéconomie et en finances publiques. Mais cet ancien économiste de la Réserve fédérale américaine et ingénieur de l’École polytechnique de Paris, estime que cette dégradation n’est pas une surprise. Surtout pour quelqu’un qui regarde les chiffres depuis deux ans. Concrètement, Ccc+, d’après son analyse, veut dire que les marchés considèrent que le Sénégal est « très vulnérable » et qu’un défaut n’est plus un scénario théorique. À l’en croire, ce n’est pas seulement une histoire de notation derrière ces trois lettres, car il y a le coût du crédit pour financer les écoles, les hôpitaux, les routes.
« Quand votre note tombe à Ccc+, les marchés ne vous voient plus comme un bon élève en difficulté, mais comme un patient en soins intensifs. La mauvaise note est le symptôme ; la vraie maladie, ce sont nos déséquilibres », explique le spécialiste. Cette sanction, estime le Professeur Abdoulaye Ndiaye, vient de trois éléments liés. D’abord, dit-il, il y a l’ampleur globale de la dette, avec près de 120 % du Pib en dette publique officielle et davantage si l’on ajoute les arriérés et les engagements des entités publiques. Ensuite, éclaire-t-il, la révélation de cette dette dissimulée de plusieurs milliards de dollars qui a brisé la confiance. « Quand on cache la dette, on finit toujours par payer plus cher –en intérêts et en crédibilité », assure l’universitaire.
L’autre raison, selon lui, est la suspension du programme avec le Fmi qui limite l’accès à des financements bon marché et pousse le pays à recourir à des emprunts à court terme sur le marché régional, puis à des emprunts plus chers à moyen terme à l’international. Pour M. Ndiaye, les agences de notation décrivent un risque, mais elles ne le créent pas. À la suite de cette notation, Abdoulaye Ndiaye pense que la priorité, c’est un plan crédible pour stabiliser la dette et une discussion responsable avec les partenaires, y compris le Fonds monétaire international et les créanciers privés.
Un fort potentiel à exploiter
« Si nous montrons que nous sommes capables de dire la vérité au peuple sénégalais et de prendre des décisions difficiles, mais justes, la note suivra. Si on ne reprend pas le contrôle, la crise de notation d’aujourd’hui deviendra la crise sociale de demain », dit-il.
Aujourd’hui, analyse l’économiste, le Sénégal a de vrais atouts à travers une démographie dynamique, une stabilité relative dans une région troublée, l’entrée en production du pétrole et du gaz, qui peut porter la croissance proche de 8 %, et un potentiel énorme dans l’agriculture, les services, le numérique. Sur le papier, constate le Professeur Ndiaye, peu de pays africains ont une combinaison aussi prometteuse. Toutefois, de l’autre côté, il indique que les finances publiques sont sous tension maximale, exacerbées par une dette qui dépasse largement les niveaux classiques de prudence, un programme du Fmi suspendu, des besoins de financement très élevés dans les prochaines années et une confiance érodée des investisseurs après la découverte de la dette cachée.
Hydrocarbures, bonne gestion des atouts
Avec ce scénario, il pense que le risque à court terme, ce n’est pas que l’économie « s’arrête », mais qu’une crise de liquidité de l’État se transmette au système bancaire, aux entreprises, puis à l’emploi et aux prix. Fort de cela, il estime qu’il faut absolument sécuriser le financement de l’État et éviter un choc brutal sur les banques et les ménages. « À 3–5 ans, si un accord solide est retrouvé avec le Fmi et les créanciers et si l’on restaure la transparence budgétaire, nous pouvons sortir de la zone de danger et commencer à baisser le coût de la dette. Standard and Poor’s dit clairement que la porte reste ouverte à une amélioration si le pays refinance ses échéances et consolide ses finances publiques. À 10 ans, le Sénégal peut redevenir une histoire de succès africain », exprime l’expert. À l’en croire, le problème n’est pas un manque de potentiel, mais le vrai test ne sera pas le nombre de grands chantiers inaugurés, mais sa capacité à remettre les comptes publics sur une trajectoire soutenable sans casser l’espoir des jeunes. Pour inverser la tendance, Abdoulaye Ndiaye identifie quatre grands leviers.
Le premier, indique-t-il, c’est la vérité et la transparence, car, à ses yeux, on ne reconstruit pas la confiance avec des zones d’ombre. « Il faut continuer l’inventaire complet de la dette, rendre publics tous les rapports sur cette dette et mettre en œuvre réellement les recommandations de la Cour des comptes. Sans vérité, il n’y a ni marché, ni Fmi, ni citoyens qui fassent confiance », avance le spécialiste. Le deuxième levier est une stratégie de dette cohérente parce que, dit-il, on ne peut plus financer des dépenses courantes avec de la dette à court terme. Dans ce cas, il faudra étaler, renégocier ou reprofiler intelligemment certaines échéances tout en protégeant la stabilité du système bancaire de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa). « Chaque émission régionale sur le court terme et future Eurobond sur le moyen terme doit s’inscrire dans un plan à 5–10 ans, pas au gré des urgences du mois », explique M. Ndiaye. Le troisième levier identifié est la justice fiscale.
À l’en croire, aujourd’hui, l’effort pèse trop sur la Tva et sur les salariés formels. Dans les 10 prochaines années, dit-il, nous devons mettre en place un véritable système de déclaration et d’imposition du revenu global des ménages, au lieu d’impôts disloqués qui s’inscrivent peu dans une vision d’ensemble. Il faut élargir, dans l’ensemble, l’assiette là où les marges sont fortes. Il s’agit selon lui, du foncier de luxe, des rentes dans les télécoms, les mines, certaines banques, etc. « Un franc mal dépensé aujourd’hui, c’est un impôt de plus pour nos enfants demain ; un franc bien taxé là où se trouvent les rentes, c’est un peu d’oxygène pour les ménages et les Pme », argumente l’universitaire. Quant au quatrième levier, il repose sur une gouvernance exemplaire des revenus du gaz et du pétrole, avec des règles claires, un fonds de stabilisation fourni et une transparence totale. Ces ressources doivent, à son avis, servir à réduire la dette et à investir dans le capital humain et dans l’emploi des jeunes, mais pas à financer des dépenses électoralistes. « Si nous ratons le rendez-vous du gaz et du pétrole, nous aurons une dette de plus et une occasion de moins. Mais, si nous combinons ces leviers, le Sénégal peut sortir de la crise non pas affaibli, mais renforcé sur le long terme, avec un nouveau contrat de confiance entre l’État et les Sénégalais et une économie tournée vers l’avenir », conclut le Professeur d’Économie à Nyu.
Par Demba DIENG

