De l’indépendance du pays en 1960 à la nouvelle alternance politique de 2024, l’exécutif sénégalais aura été par moments incarné par de fortes personnalités, entre un chef de l’Etat ultra puissant tirant sa légitimité du suffrage universel et un premier ministre dont les prérogatives sont tirées de la Constitution. La structure bicéphale du pouvoir exécutif sénégalais a souvent donné lieu à des tensions, des confrontations, voire des ruptures brutales. Le tandem président de la République – Premier ministre, loin d’être un compagnonnage harmonieux, a généralement été un rapport de forces, de cohabitation forcée ou d’équilibre instable. De Senghor-Dia à Diomaye-Sonko, en passant par les duos Diouf-Thiam, Wade- Idy- Niasse, ou encore Macky-Soumaré, chaque binôme a porté en lui les germes d’une tension latente.
Diomaye-Sonko : une fraternité fissurée ?
Moins de deux ans après leur accession aux affaires, le vernis de la complicité entre Diomaye et Sonko a commencé à craquer. Il y a donc une guerre ouverte et/ou une lutte de positionnement et d’influence entre les leaders pour déterminer l’orientation politique du nouveau régime et l’application concrète du «Projet». Le Premier ministre a tenu, il y a quelques jours, une allocution virulente dans laquelle il s’en est pris à peine voilée au chef de l’État sur les orientations de la coalition Diomaye Président.
Le Président Faye, qui a intronisé Mme Mimi Touré à la place de Mme Aïda Mbodji, a provoqué une vive réaction chez Sonko. Dans la foulée, Pastef a publié un communiqué montrant son désaccord avec le choix fait par Diomaye.Bien avant, Ousmane Sonko avait dénoncé une campagne d’affaiblissement menée contre lui, tolérée voire orchestrée, selon lui, depuis le sommet de l’État. S’adressant directement à Diomaye Faye, Sonko avaitdéclaré : « Je lui ai dit que si j’étais moi-même président de la République, ces gens ne parleraient pas ainsi de moi », avant de l’interpeller publiquement : « Qu’il règle ce problème ou qu’il me laisse le régler. » La méfiance semble s’être installée au sommet, ravivant les souvenirs de duels politiques historiques. Comme si l’histoire bégayait
17 Décembre 1962 : la rupture entre Senghor et Dia
Léopold Sédar Senghor organise avec son ami Mamadou Dia la marche vers l’indépendance au sein du Bloc démocratique sénégalais fondé en octobre 1948, qui aboutit plus tard à la création d’un grand parti l’Union progressiste sénégalaise (UPS) fondée en 1958 après le ralliement du parti socialiste de Lamine Gueye. Senghor et Dia sont les deux principaux dirigeants du parti et mènent ensemble la campagne pour l’accession à la souveraineté internationale.
A la proclamation de l’indépendance du Sénégal en 1960, Leopold Sedar Senghor devient le président du pays tandis que Mamadou Dia est président du Conseil, l’équivalent d’un premier ministre. En vertu de la nouvelle Constitution qui institue un exécutif à deux têtes, le Président de la République est le chef de l’Etat. Il «assure la continuité de la République et le fonctionnement régulier de ses institutions » et le Président du Conseil « détermine et conduit la politique de la Nation et dirige l’action du Gouvernement ».
Dans ce système bicéphale, le président Senghor est davantage préoccupé par la politique extérieure tandis que le président du Conseil Mamadou Dia s’occupe de la politique intérieure. Les deux hommes connaissent de profonds désaccords, notamment sur les orientations à donner au pays et la politique menée par Dia. On assiste à une dégradation brutale des relations entre Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor.
Le différend entre les deux têtes de l’Etat sénégalais atteint des proportions graves lorsque le lundi 17 décembre 1962, Mamadou Dia fait évacuer l’Assemblée nationale et déploie un cordon de gendarmerie autour du bâtiment afin d’empêcher le dépôt par les parlementaires d’une motion de censure contre son gouvernement.
La motion de censure finit par être adoptée par les parlementaires au domicile du président de l’assemblée nationale d’alors Maître Lamine Guèye. Accusé d’avoir préparé un coup d’État, Mamadou Dia est arrêté le 18 décembre avec quatre de ses ministres.
Mamadou Dia sera finalement condamné en 1963 à la déportation à perpétuité puis transféré à Kédougou (sud-est) avant d’être libéré douze ans plus tard, en 1974. Un projet de loi constitutionnel, prévoyant l’élimination du poste de premier ministre et l’instauration d’un régime présidentiel est ensuite adopté par référendum le 3 mars 1963. En décembre de la même année, Leopold Sedar Senghor, seul candidat en lice est élu à la présidence. L’élection du président au suffrage universel suite à la réforme de 1962 a eu des répercussions déterminantes dans les rapports entre les deux têtes de l’exécutif. À partir de ce moment, la prééminence du chef de l’État est définitivement établie.
Abdou Diouf – Habib Thiam, une amitié à l’épreuve du pouvoir
Entre le président Abdou Diouf et l’ancien Premier ministre Habib Thiam, c’est plus de cinquante années de compagnonnage et d’amitié. La relation entre les deux hommes a débuté à la fin des années 50 en France et a traversé toutes les phases de la vie politique sénégalaise. Ami intime, proche et fidèle collaborateur de son ami de président, Habib Thiam a occupé la fonction de Premier ministre à deux reprises entre le 1er janvier 1981 et le 3 avril 1983 quand Abdou Diouf prit la succession de Léopold Sédar Senghor à la présidence, puis du 8 avril 1991 au 3 juillet 1998.
Il aura joué un rôle important dans l’ascension de l’ex chef de l’Etat depuis son poste de directeur de cabinet de Senghor jusqu’à la magistrature suprême. Le Premier ministre Habib Thiam fut pendant longtemps l’homme de confiance de l’ancien Président de la République. Toutefois, son compagnonnage avec Diouf n’aura pas été qu’un long fleuve tranquille. La relation entre les deux amis a été par moments mise à rude épreuve notamment à cause de divergences politiques.
Habib Thiam, qui a toujours revendiqué sa liberté et son indépendance, s’est opposé aux dérives présidentialistes du régime et en a fait les frais. En 1983, le président Abdou Diouf décide de supprimer le poste de Premier ministre créé par Senghor en 1970. Ainsi dans son allocution radiotélévisée du 3 avril 1983, Diouf annonce la nouvelle au peuple sénégalais. Le premier ministre Habib Thiam, qui n’était pas averti du projet présidentiel fut le premier surpris par cette décision qu’il a vécue comme une trahison de la part de son ami de président. Les relations entre les deux hommes prirent un coup de froid et le président Diouf n’avait d’autre choix que de trouver un point de chute à son ancien premier ministre.
Ce dernier devient alors président de l’Assemblée nationale à la faveur des élections législatives remportées par le Parti Socialiste en 1983. Le 7 avril 1991 il redevient Premier ministre pour aider le président Diouf alors englué dans une situation économique et politique délétère depuis 1988, à reprendre en main la situation. Il conservera son poste jusqu’au 3 juillet 1998, lorsque Mamadou Lamine Loum lui succèdera.
Dans l’ouvrage Habib Thiam, l’homme d’Etat co-écrit par les journalistes sénégalais Mamoudou Ibra Kane et Mamadou Ndiaye, l’ancien chef d’Etat Abdou Diouf apporte des témoignages sur ses relations avec son premier ministre et ami : « Nous avons cheminé ensemble dans la vie, à l’Ecole, dans les administrations, jusqu’aux sommets de l’Etat. De Paris, après études et stages de formation, nous avions ensemble pris le chemin du retour, répondant à l’appel de la mère patrie. Il était déjà au gouvernement, au lendemain des regrettables événements de 1962.
Il était aussi à mes côtés quand le Président Léopold Sédar Senghor m’a nommé Premier ministre. Il fut à deux reprises mon Premier ministre, non parce qu’il était mon ami mais parce que son expérience et son sens politique aigu, sa formation et son parcours, sa passion pour le pays et la confiance que je plaçais en lui, le désignaient tout naturellement pour m’accompagner et m’épauler dans la lourde tâche qui était la mienne à la tête de l’Etat du Sénégal ».
Abdoulaye Wade – Idrissa Seck : de duo à dualité au sommet de l’Etat
Les relations entre Abdoulaye Wade, président du Sénégal de 2000 à 2012 et Idrissa Seck son Premier ministre de 2002 à 2004, ont été marquées par une lutte de pouvoir et une rivalité politique. Avant d’être nommé Premier ministre par le président Wade, Idrissa Seck a été son homme de confiance, occupant le poste de directeur de campagne du candidat Abdoulaye Wade pour la présidentielle de 1988, puis directeur de cabinet du président nouvellement élu de 2000 à 2002.
Cependant, leur relation n’a pas résisté à l’exercice du pouvoir et s’est détériorée au fil du temps. Les principales questions politiques à l’origine des tensions entre Abdoulaye Wade et Idrissa Seck sont les soupçons de corruption, de détournement de fonds publics, les luttes de pouvoir et la rivalité politique. Premier ministre et longtemps N° 2 du Parti démocratique sénégalais (PDS), il entre en disgrâce au sein de sa propre formation politique avant d’être limogé de son poste de Premier ministre en 2004.
L’ex chef d’Etat sénégalais accuse son ex-bras droit d’avoir détourné 44 milliards de francs CFA dans le cadre du dossier dit des chantiers de Thiès, des fonds prévus pour les travaux de modernisation de Thiès, la deuxième ville sénégalaise, dont Idrissa Seck était le maire à l’époque. « Il faut qu’il explique aux Sénégalais comment l’argent a été utilisé. Il n’y aura alors aucun problème », avait justifié à l’époque le président Wade. Idrissa Seck avait rétorqué que « jusqu’à l’extinction du soleil », aucun sou détourné ne pourrait lui être imputé.
Arrêté et mis en prison en juillet 2005, Idrissa Seck bénéficiera d’un non-lieu et sera libéré le 7 février 2006. Malgré leurs divergences, Seck qui avouera plus tard avoir beaucoup d’affection pour Wade, a beaucoup en commun avec l’ex président, ayant été ministre à deux reprises dans les gouvernements d’union nationale sous le règne du président Abdou Diouf et ayant été les principaux artisans de la première alternance politique au Sénégal en 2000
Rewmi

