Entre délégation judiciaire, expertise comptable et règlements de comptes politiques, L’Observateur dévoile les dessous d’un dossier à multiples zones d’ombre.
L’ancien coordonnateur du Programme des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC), Pape Malick Ndour, a passé la nuit de jeudi à vendredi dans les locaux du commissariat du Port. Une garde à vue qui marque un tournant décisif dans l’une des affaires politico-financières les plus suivies du moment. Selon des informations exclusives publiées par L’Observateur, cette arrestation ne découle ni du rapport de la Cour des comptes, ni des précédentes enquêtes déjà classées sans suite, mais bien d’un rapport d’expertise comptable élargi, ordonné par le juge du premier cabinet du Pool judiciaire financier.
Une expertise élargie qui change tout
L’affaire trouve son origine dans un rapport d’expertise ordonné en janvier 2025 par le président du collège des juges d’instruction du Pool judiciaire financier. Ce rapport visait initialement Mamina Daffé, ex-coordonnateur du PRODAC, et Ibrahima Cissé, patron de la société Tida, tous deux déjà incarcérés pour un détournement présumé de 682 millions de FCFA.
Mais le 18 mars, une ordonnance de prorogation est venue élargir le champ d’investigation du cabinet d’audit ADR, dirigé par l’expert-comptable Abdoulaye Dramé. C’est à la suite de cette extension que le nom de Pape Malick Ndour a surgi dans les conclusions des experts, mettant en lumière des irrégularités financières évaluées entre 2,2 et 2,7 milliards FCFA, notamment des paiements non documentés et des retenues de garantie d’environ 40 millions FCFA.
Une arrestation pas comme les autres
Contrairement à ses précédentes interpellations — à l’aéroport de Dakar, alors qu’il s’apprêtait à embarquer pour Paris, puis à deux reprises à la Section de Recherches de Colobane —, celle de jeudi dernier se distingue par sa nature judiciaire.
En effet, une délégation judiciaire a été délivrée par le juge d’instruction au profit de la Division des investigations criminelles (DIC), afin de procéder à son arrestation à domicile. Une mesure qui s’inscrit dans le cadre d’une instruction formelle du Pool judiciaire financier portant sur sa gestion du PRODAC entre juin 2019 et décembre 2021.
Les arguments de la défense
Assisté par ses avocats, Me Antoine Mbengue (ancien ministre) et Me Adama Fall, Pape Malick Ndour rejette catégoriquement les accusations portées contre lui. Concernant la retenue de garantie du Domaine agricole de Séfa, il assure qu’il n’était pas encore coordonnateur à l’époque des faits, donc incompétent pour ordonner un quelconque paiement.
Quant aux 2 milliards FCFA évoqués pour le matériel du Domaine de Sangalkam, il affirme s’être limité à reprendre des correspondances de son prédécesseur pour demander à Locafrique — dirigée par Khadim Bâ, également cité dans le dossier — des précisions sur les paiements effectués.
Selon ses déclarations, Locafrique aurait confirmé par écrit que les règlements avaient bien été réalisés. Pour prouver sa bonne foi, Ndour a même invité les enquêteurs à visionner une vidéo disponible sur YouTube, intitulée « Sangalkam : les travaux du Dac en mode fast track », censée attester de la présence du matériel sur site.
« Une arrestation cavalière »
Toujours selon L’Observateur, l’ancien coordonnateur du PRODAC aurait protesté vigoureusement contre la manière dont il a été interpellé, dénonçant un traitement injuste et une « arrestation cavalière ».
« Je me suis toujours tenu à la disposition de la justice », aurait-il confié, rappelant son attachement aux valeurs républicaines et à l’État de droit.
Il conteste également la pertinence du rapport d’expertise comptable qui, selon lui, ne le concerne pas directement et ne lui a jamais été communiqué, l’empêchant ainsi d’apporter la moindre contradiction.
Malgré ses explications, le doyen des juges d’instruction a ordonné son placement en garde à vue, dans l’attente de son déferrement devant le Pool judiciaire financier, prévu pour ce vendredi.
Affaire Prodac : un « supplétif » explosif relance le dossier et fait tomber Pape Malick Ndour
Selon Libération, un nouveau rebondissement majeur vient secouer le dossier tentaculaire du Programme des domaines agricoles communautaires (Prodac). Alors que le parquet financier était attendu sur un réquisitoire définitif marquant la fin de l’instruction, c’est finalement un supplétif – un acte de poursuite complémentaire – qui a été transmis au président du Collège des juges d’instruction. Un geste rare, lourd de conséquences, qui relance une affaire déjà explosive.
D’après les informations du quotidien, une troisième personne, Pape Malick Ndour, ancien coordonnateur du Prodac, a été interpellée hier par la Division des investigations criminelles (Dic) sur délégation du juge d’instruction. Ce dernier l’a placé sous le régime de la garde à vue pour association de malfaiteurs, escroquerie sur les deniers publics et blanchiment de capitaux.
Un dossier né d’une enquête de l’IGF
Pour rappel, le scandale du Prodac trouve son origine dans un rapport accablant de l’Inspection générale des finances (IGF), suivi d’une information judiciaire ouverte au Pool financier. Le 11 novembre 2024, Mamina Daffé, ancien coordonnateur du programme, et Ibrahima Cissé, gérant de la société Tida, avaient été placés sous mandat de dépôt pour des faits d’escroquerie sur les deniers publics, de faux et usage de faux en écritures privées de banque, ainsi que de blanchiment de capitaux.
Le 6 janvier 2025, une expertise financière avait été confiée au cabinet Adr. Mais à la surprise générale, après la clôture de l’instruction, le parquet n’a pas rendu le réquisitoire définitif attendu. Sur la base du rapport d’expertise, il a plutôt choisi de déposer un supplétif — autrement dit, de demander l’élargissement des poursuites et de nouvelles investigations.
Un réseau d’accusations en cascade
Ce supplétif vise directement Pape Malick Ndour, mais aussi Khadim Ba, patron de Locafrique, déjà incarcéré dans une autre affaire douanière. Le parquet a demandé non seulement leur inculpation et leur placement sous mandat de dépôt, mais aussi une interdiction de sortie du territoire national pour l’actuel responsable régional des cadres de l’Apr.
Les accusations reposent notamment sur un virement suspect de 2,7 milliards de francs CFA effectué à la société Green 2000, sur la base de factures pro forma — sans preuve tangible de la livraison du matériel prévu pour le projet agricole.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Le parquet soupçonne aussi un second virement colossal de 16,8 milliards de francs CFA vers la même société israélienne, dont les dirigeants ont pris la fuite. Faute de justification économique solide, ce transfert alimente les soupçons de blanchiment et de rétrocommissions.
Des noms lourds cités
Toujours selon Libération, le parquet a expressément demandé au juge d’enquêter sur d’éventuelles rétrocommissions entre plusieurs protagonistes :
- Khadim Ba et Mame Mbaye Niang, ancien ministre de la Jeunesse ;
- Mamina Daffé et Ibrahima Cissé ;
- Ibrahima Cissé et Mame Mbaye Niang.
Par ailleurs, une confrontation directe entre Mamina Daffé et Ibrahima Cissé a été requise, les magistrats ayant relevé de graves contradictions dans leurs déclarations respectives.
Dakaractu
