Avec plus de 9.000 femmes examinées et près de 1.800 anomalies détectées, la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca) tire un bilan encourageant de la campagne « Octobre Rose 2025 ». Toutefois, sa présidente, Fatma Guenoune alerte sur le manque de moyens pour assurer le suivi et la prise en charge des cas dépistés.
Le mois d’octobre, traditionnellement consacré à la lutte contre le cancer du sein, s’est refermé sur une note d’espoir au Sénégal. Pour Fatma Guenoune, présidente de la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca), la campagne « Octobre rose » 2025 marque une étape importante dans la prévention et la détection précoce des cancers féminins. Dans un entretien accordé, hier, au quotidien « Le Soleil », Fatma Guenoune a qualifié le bilan de « positif », insistant sur l’importance du dépistage. «Quand on dépiste, on détecte des anomalies, et cela veut dire qu’on a donné à des femmes la chance d’être soignées à temps. C’est cela le sens de notre combat», a-t-elle déclaré.
Du 1er au 29 octobre 2025, la Lisca a déployé ses équipes sur l’ensemble du territoire national. Cinq régions médicales ont été couvertes : Dakar, Thiès, Kaolack, Touba et Diourbel, pour un total de onze districts sanitaires et 43 sites de dépistage. Au siège de la Lisca, les consultations se tenaient du lundi au vendredi, tandis que les équipes mobiles se déplaçaient sur le terrain chaque samedi, souvent jusque tard dans la nuit. Cette mobilisation exceptionnelle a permis d’examiner 9.255 femmes âgées de 12 à 87 ans, venues parfois de très loin pour bénéficier d’un dépistage gratuit. Parmi elles, 4.666 femmes ont été dépistées spécifiquement pour le cancer du col de l’utérus, avec 923 anomalies détectées et 155 lésions précancéreuses identifiées.
Dans les autres régions, 3.661 femmes ont été examinées et 940 anomalies décelées, dont 145 lésions précancéreuses. Au total, 1.778 anomalies ont été enregistrées cette année. L’un des faits marquants du bilan 2025 est la prédominance des anomalies détectées au col de l’utérus. « Nous avons observé beaucoup plus de lésions précancéreuses du col que du sein, cette année. Cela traduit une exposition persistante des femmes à des facteurs de risque, mais aussi une plus grande adhésion au dépistage », a expliqué Fatma Guenoune. La campagne a permis la réalisation de 1.284 colposcopies et 209 biopsies, dont 168 pour le col et 41 pour le sein.
Les prélèvements effectués sur place ont été immédiatement envoyés dans les laboratoires partenaires grâce à un financement direct de la Lisca. «Chaque biopsie, prise en charge par la Lisca, coûte 35.000 FCfa. C’est notre manière d’assurer un accompagnement médical dès le dépistage », a expliqué Mme Guenoune. Au-delà des chiffres, c’est la dimension humaine qui préoccupe le plus la présidente de la Lisca. «Quand on dit à une femme que nous allons la dépister gratuitement, nous prenons aussi l’engagement de la suivre. C’est une question d’éthique», insiste-t-elle, ajoutant que la campagne d’Octobre rose ne se limite pas à un mois de sensibilisation, mais c’est un processus continu d’accompagnement des femmes vulnérables.
Près de 2.000 femmes suivies Ainsi, près de 2.000 femmes présentant une anomalie ou une lésion précancéreuse seront suivies tout au long de l’année 2026. La Lisca prévoit de financer leurs examens complémentaires, leurs bilans d’extension et, pour les cas confirmés, leur traitement médical ou chirurgical. « Nous ne laisserons aucune femme dépistée seule face à la maladie. Même sans ressources suffisantes, nous irons chercher les moyens nécessaires », rassure Fatma Guenoune.
Si la campagne s’est globalement bien déroulée, les conditions de travail ont parfois été éprouvantes pour les équipes médicales. À Kaolack, par exemple, plus de 800 femmes ont été dépistées en une seule journée. « Les médecins ont consulté jusqu’à trois heures du matin, puis repris la route pour Dakar à quatre heures du matin. Ce sont des conditions difficiles, mais la motivation de nos équipes reste intacte », se félicite la présidente de la Lisca.
Fatma Guenoune alerte sur le manque de moyens : véhicules insuffisants, climatisation absente dans certains sites, longues distances entre les districts. « Nous faisons souvent appel à des véhicules loués pour transférer le personnel médical d’un point à un autre. Cela pèse sur notre budget déjà serré », regrette-t-elle. Malgré les contraintes, l’élan de solidarité suscité par « Octobre rose » reste le moteur principal du succès de la campagne. De nombreux bénévoles, associations locales et professionnels de santé ont contribué à la réussite de cette édition 2025.
Les femmes dépistées, souvent issues de milieux défavorisés, trouvent en la Lisca un appui bien au-delà du diagnostic. « Celles qui viennent à nos consultations n’ont souvent pas les moyens d’aller à l’hôpital en dehors de la période d’Octobre rose. C’est pourquoi nous devons tenir nos promesses envers elles », confie Fatma Guenoune. Certaines d’entre elles ont déjà reçu un don de mammographie gratuit, pris en charge intégralement par la Lisca. D’autres bénéficieront de suivis post-biopsie ou de traitements chirurgicaux.
Pour la présidente de la Lisca, cette approche globale est indispensable pour briser le cercle vicieux du retard de diagnostic. La Lisca mesure le chemin parcouru depuis ses premières campagnes de sensibilisation. «Quand nous avons commencé en 2009, nous dépistions à peine 1.000 femmes par an. Aujourd’hui, nous en dépistons plus de 9.000. Cela montre que la sensibilisation porte ses fruits et que les Sénégalaises ont compris l’importance du dépistage précoce », se félicite Mme Guenoune.
Pour les mois à venir, la Lisca ambitionne de poursuivre ses activités de dépistage dans les zones rurales et périurbaines, souvent les plus délaissées. «Octobre, c’est un mois symbolique, mais notre combat se poursuit tout au long de l’année», rappelle la présidente.
En attendant, la Lisca continue de mobiliser partenaires, bailleurs et volontaires pour maintenir la chaîne de solidarité. Car, pour Fatma Guenoune, la lutte contre le cancer est une affaire de dignité humaine. « Chaque femme sauvée est une victoire pour le Sénégal », conclut-elle.
Babacar Guèye DIOP

 

