Dans cette interview, le ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Élevage, Mabouba Diagne, tire le bilan de sa tournée agricole. À l’en croire, cette année, les rendements seront au rendez-vous.
Vous venez de boucler 5 jours de visite de quelques champs du sud-est et une partie du centre. Une démarche qui s’inscrit dans le cadre du suivi de la campagne agricole 2024-2025. Quelle est votre appréciation à l’issue de cette tournée ?
Nous venons de terminer une tournée de suivi de la campagne agricole dans les régions de Kédougou, Tamba et Kaffrine. En parcourant près de 2000 km pendant 5 jours dans les coins et recoins des différents départements de ces trois régions à fort potentiel agricole, nous avons été à la rencontre des petits producteurs, des coopératives, des GIE de femmes et des agri-jambars.
Cette mission a été l’occasion d’observer sur le terrain les dynamiques d’évolution de plusieurs filières telles que la riziculture pluviale, le maïs, le coton, la banane, l’arachide, le mil, etc. Elle nous a aussi permis d’apprécier les conditions de production de cette année, de s’assurer de la réception par les bénéficiaires des intrants subventionnés, de co-évaluer les tendances des récoltes, de relever les contraintes et les défis, et de dégager ensemble des pistes d’amélioration en perspective de l’atteinte de l’objectif de souveraineté alimentaire tel que décliné dans la vision Sénégal 2050.
S’il y a une espérance que l’on peut formuler à l’issue de cette tournée, c’est que l’on va vers un rendement record sur plusieurs spéculations. Pouvez-vous nous les présenter ?
Oui, en effet. Cette année, j’ai le plaisir de vous annoncer que les récoltes seront au rendez-vous. D’après les résultats prévisionnels des enquêtes agricoles, nous dépasseront la barre des 900 000 Tonnes pour l’arachide et celle des 630 000 tonnes pour le maïs. Pour la banane, il est attendu des productions records de 112 500 Tonnes contre 73 400 Tonnes l’année passée, soit une hausse de 53. De même, la production de coton devrait croître de plus 60% passant de 15 000 T en 2024 à 25 000 T en 2025 avec les meilleurs rendements dans la sous-région.
Pour rappel, la tendance haussière des productions agricoles s’est amorcée pendant la campagne horticole : l’oignon avec 450 000 T, la pomme de terre avec 250 000 T permettant pour la première de couvrir totalement les besoins annuels du pays. Globalement, les mêmes tendances favorables sont notées sur la plupart des autres spéculations.
Quelle est la recette de ces prévisions radieuses ?
Une combinaison de recettes parmi lesquelles figure en première place la forte volonté de son excellence Monsieur le Président de la République et Monsieur le Premier ministre de placer l’agriculture au cœur des priorités du nouveau gouvernement. Cette volonté s’est traduite sur la mobilisation de budgets records de 120 et 130 milliards de francs CFA en 2024 et 2015 pour accompagner le monde rural.
Fort de ce soutien, mon département avec l’appui de tous les départements ministériels sectoriels impliqués, a apporté toutes les ruptures nécessaires pour mobiliser et distribuer en toute transparence les intrants nécessaires dans les délais. Je signale à cet égard que des records ont été également notés dans les mises en place d’engrais avec 105 000 T de NPK et de 120 000 T d’urée importée sous forme d’achat groupé (bulk procurment program) permettant ainsi de réaliser une économie de près de 2 milliards.
Il s’y ajoute l’effort tout particulier des paysans qui ont fait preuve d’une mobilisation exceptionnelle comme en atteste les emblavures de cette année et la pluie qui a été au rendez-vous avec une bonne répartition temporelle et spatiale. C’est le lieu de rendre grâce à Dieu qui nous a gratifiés de cet hivernage pluvieux avec des récoltes très prometteuses.
La tournée a été l’occasion d’aller au contact de ses hommes et femmes, ces soldats de la souveraineté alimentaire. Comment décrieriez-vous leur engagement ?
J’ai été particulièrement séduit par l’engagement du monde rural dans sa diversité, notamment les jeunes et les femmes à travers les coopératives et les GIEs. Le retour de la Diaspora à l’agriculture a attiré toute mon attention avec les exemples de Balla Cissoko de Tamba, Insa Gaye à Darou Salam dans le Koumpentoum et Pape Matar Sarr à Kathiote dans la région de Kaffrine qui sont assez inspirants pour la jeunesse. Ces 3 Agrijambars ont cru au retour à l’agriculture en investissant dans leurs terroirs et en créant des emplois constituant ainsi des modèles pour la jeunesse.
Un autre exemple à montrer et qui force le respect est celui du marabout Serigne Bara Sy, un maître coranique installé à Syll (Kouthiaba) dans le département de Koumpentoum qui exploite plus de 200 ha (arachide, mil, maïs, riz) pour nourrir près de 200 talibés entièrement pris en charge.
Enfin, le début d’opérationnalisation de la coopérative agricole communautaire de Salemata a été une grande satisfaction en ce qu’elle a permis, grâce à une synergie d actions entre les services de mon département, le PAM appuyé par la France et les ministères en charge de la famille et de l’éducation, de produire 200 ha de riz destinés à alimenter les cantines scolaires de Kedougou. C’est dire qu’il est possible que Kegoudou puisse nourrir Kedougou grâce aux coopératives agricoles que nous comptons mettre en place à Samecouta et dans le DAC de Itato.
Un autre motif de satisfaction est la reconstitution du capital semencier qui est en cours de mise en œuvre dans toutes les régions visitées avec l’accompagnement de l’ISRA et des services déconcentrés de l’agriculture.
Les infrastructures agricoles sont-ils prêtes à accueillir une telle moisson ?
Les producteurs s’attendent plus à bien commercialiser cette belle moisson. C’est tout le sens qu’il faut donner aux instructions données par SEM le Président de la République pour assurer une bonne commercialisation de la campagne agricole. D’ores et déjà, mon département compte démarrer les concertations avec les acteurs dès cette semaine en perspective du prochain conseil interministériel sur la commercialisation agricole.
Comment pourraient se répercuter ces rendements records sur le marché sénégalais et sa population ? (Paysans, cultivateurs et consommateurs)
Une bonne production est très positive en ce qu’elle permet de garantir une bonne auto-consommation et de meilleurs revenus aux paysans souvent vulnérables. Une bonne campagne agricole est synonyme de sécurité alimentaire et de gaieté dans le monde rural. Les bonnes récoltes attendues sur l’arachide permettront d’alimenter nos huileries et de s’ouvrir à l’exportation tout en préservant nos besoins en semences certifiées. Pour le maïs, à la faveur de la contractualisation avec les provendiers, nous comptons mettre d’importantes quantités de maïs à la disposition des provendiers pour la production d’aliment de bétail.
Pour le coton, la commercialisation est déjà assurée aux cotonculteurs par l’entremise de la SODEFITEX. La banane sénégalaise est seule à être présente actuellement sur le marché grâce à la mesure inédite de suspension des importations de banane. Les céréales comme le mil, le maïs, le sorgho et le fonio seront également disponibles pour couvrir nos besoins sans oublier la bonne disponibilité du fourrage pour le bétail. C’est dire que cette bonne campagne agricole est totalement bénéfique pour le monde rural et pour le pays. Par le passé, certains paysans se plaignaient de ne pas avoir bénéficier d’engrais et de semences mais pour cette saison, la donne a légèrement changé : il disent n’en avoir pas reçu suffisamment.
La mécanisation contribue, sans aucun doute, à ces résultats. Au cours de cette campagne vous avez eu l’occasion de mettre en œuvre une stratégie d’utilisation tournante des véhicules agricoles dans le pays. Pouvez-vous nous la détailler ?
La mécanisation est l’un des défis majeurs de notre agriculture. C’est pourquoi mon département, tirant les leçons apprises des importants investissements réalisés dans l’acquisition de matériel agricole, est en train de mettre en œuvre le nouveau concept d’Allo tracteur. C’est grâce à ce nouveau modèle de prestation de service agricole que les 200 ha de riz produit dans le CAC de Salemata sont en train d’être récoltés. Les périmètres rizicoles de Tamba et du Bassin de l’Anambé sont également en cours de récolte grâce aussi à ces moissonneuses batteuses en provenance de la vallée du fleuve Sénégal.
En écoutant les agriculteurs, une parfaite convergence de vues se dégage sur l’urgence et la nécessité de mettre en place les centres d’utilisation de matériels agricoles (CUMA) dans les CAC afin de mieux prendre en charge les besoins de mécanisation qui sont aussi importants que les semences et les engrais dans l’agriculture moderne.
Vous avez bénéficié d’un budget de 130 milliards de francs CFA de cette campagne. Un montant colossal voir record mais qui ne semble pas suffisant pour l’atteinte des ambitions que vous avez pour cette filière. Quel est votre souhait pour la suite ?
Les besoins en termes d’investissements sont énormes pour atteindre la souveraineté alimentaire. Dès lors, l’effort de l’État en nette progression ne sera pas suffisante. Le secteur privé est appelé à jouer un grand rôle à travers des partenariats public privé sans oublier les petits producteurs qui, à travers les CAC, seront mieux outillés pour la formalisation, la formation, le financement, la maîtrise de l’eau, l’accès aux services de mécanisation, l’encadrement afin de faire d’eux les véritables acteurs de la souveraineté alimentaire du Sénégal. Tel est le vœu du Chef du l’Etat et de Monsieur le Premier ministre que nous aspirons à concrétiser.
Au cours de cette tournée vous avez, à chaque étape, invité les paysans à se diversifier. Pourquoi ?
Pour plusieurs raisons, la diversification des cultures est indispensable pour une agriculture durable. D’abord, la monoculture est source d’appauvrissement des sols et de faiblesses des rendements. Donc, la rotation des cultures améliore la productivité et enrichit nos sols. La diversification dont je parle aussi concerne l’horticulture qui doit prendre le relai des grandes cultures d’hivernage pendant la contre-saison pour permettre aux producteurs de cultiver toute l’année.
Mais cela suppose la disponibilité de l’eau. C’est pourquoi, à travers les CAC, nous travaillons à améliorer la maîtrise de l’eau dans toutes les communes rurales afin d’occuper les producteurs toute l’année. Il est heureux de constater que les producteurs ne demandent que de l’eau et l’accompagnement nécessaire pour relever ce défi.
Entretien co-réalisé par Assane Fall (Le Soleil) et Moustapha Toumbou (Seneweb)

 

