La situation politique en France est sujette à plusieurs rebondissements avec la démission, 27 jours après sa nomination, du Premier ministre Sébastien Lecornu. Président de l’Institut de prospective et de sécurité européenne, un think tank basé en France, le politologue français Emmanuel Dupuy revient, dans cet entretien, sur les options de sortie de crise dont dispose le chef de l’État français, Emmanuel Macron.
Il y a beaucoup de rebondissements dans la situation politique en France avec la récurrence d’un débat sur une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale. Est-ce qu’une dissolution est la solution pour une sortie de crise ?
C’est l’une des solutions ! Ce n’est pas la seule. Il y en aurait une autre qui s’appelle l’article 68 : la destitution du président. Le problème, c’est que c’est très complexe à mettre en place et qu’il n’y avait pas de consensus sur cette question. D’autant plus que cela a été refusé avant-hier, mercredi, par le bureau de l’Assemblée nationale, qui est le seul à en avoir la capacité à partir du moment où un dixième, c’est-à-dire 60 députés, le saisissent. L’article 68 est donc mis de côté.
L’autre option, ce serait que le président démissionne lui-même, partant du principe que c’est lui-même qui a déclenché la crise en lançant la dissolution en juin 2024. Puis la troisième solution, c’est la possibilité, pour le président, de reproduire une dissolution et de relancer ce processus, puisqu’il en a constitutionnellement le droit.
Maintenant, est-ce que la dissolution va régler le problème ? Alors vraisemblablement, elle ne fera qu’aggraver le hiatus qui existe entre le président et sa majorité, du reste qu’il a perdue en 2022. Lors des élections législatives, il avait déjà perdu sa majorité. C’est la raison pour laquelle il a dissous, deux ans plus tard, l’Assemblée. De ce point de vue donc, le bloc central n’existe plus, puisque maintenant deux de ses anciens Premiers ministres, et pas des moindres, Gabriel Attal et Édouard Philippe, appellent à sa démission, à son départ, en disant que c’est lui le problème.
Est-ce que cette dissolution va aider le président ? Vraisemblablement non. Est-ce que cette dissolution va sortir le pays de l’impasse dans laquelle il est ? Une sorte de triangulation de l’impasse : d’un côté, une extrême gauche qui pèse peu ou prou entre 100 et 120 députés, en y associant les Verts, les Insoumis, le Parti socialiste et le Parti communiste ; de l’autre, les extrêmes droites, avec le parti d’Éric Ciotti qui pèse à peu près autant, entre 130 et 140 députés. Il y a le bloc central avec un peu moins, entre 110 et 120 députés.
Nous voyons qu’il y a une triangulation qui rend quasi impossible le fait de gouverner à deux contre un, entre le bloc du centre et de la droite ou le bloc du centre et de la gauche. Nous sommes dans cette impasse institutionnelle. C’est aussi une impasse en termes d’hommes, car le choix des Premiers ministres n’était pas forcément le plus à même de créer du consensus. Peut-être faut-il rappeler que Michel Barnier a tenu 99 jours, le Premier ministre François Bayrou 270 jours, et Sébastien Lecornu n’a été nommé que 27 jours. Pire, son gouvernement, celui qu’il avait nommé, a tenu 14 heures et 26 minutes.
Nous voyons bien que nous sommes dans une situation inextricable que rien ne viendrait améliorer, si ce n’est une nouvelle élection présidentielle pour définir quel est, selon le principe démocratique bien connu, le fait majoritaire.
Comment analysez-vous cette situation de triangulation des clivages politiques en France ?
D’une manière assez simple, cela s’est artificiellement mis en place à partir du moment où il y a eu un Front républicain pour bloquer l’arrivée massive de députés du Rassemblement national. C’est cela aussi qui pose problème. On a fait en sorte d’éviter que le Rassemblement national ne soit représenté au prorata de ce qu’il pèse.
Un sondage Elabe sorti avant-hier mercredi précise que le Rassemblement national pèse 37 %, le parti d’Éric Zemmour 5 % avec Dupont-Aignan. Seules, ces trois forces politiques pèsent déjà 41 % du dispositif politique. De ce point de vue, n’eût été ce Front républicain, sans doute aurions-nous, hélas, une majorité du Rassemblement national, et vraisemblablement le pouvoir aurait été donné à Jordan Bardella, du Rassemblement national.
D’ailleurs, il se murmure que le président de la République voulait faire cela pour l’affaiblir, pour ensuite mieux se présenter comme étant une alternative. Or, il y a eu le Front républicain. Ce Front a marginalement imposé des candidatures contre nature, où des élus du centre et de la droite ont voté contre les candidats de l’extrême droite.
Aujourd’hui, nous observons une évolution majeure. Faudrait-il attendre ce week-end, puisqu’il y a une élection partielle à Montauban où l’union des droites, les partis de droite républicaine, serait presque encline à dire que désormais, il n’y a plus de barrières, que la droite républicaine et la droite nationale pourraient s’entendre pour une majorité absolue.
Puisqu’aujourd’hui, le rapport de force est le suivant : la droite républicaine et nationale pèsent entre 40 et 50 %, la gauche à peu près 25 à 30 %. Le reste, c’est le centre, qui pèse une vingtaine de pour cent, ce qui ne suffit pas pour gouverner.
Peut-on dire que le Rassemblement national est aux portes du pouvoir ?
Le Rassemblement national est déjà le premier parti de France en termes de volume de militants. C’est le parti le plus riche de France. C’est le parti qui, aujourd’hui, a le plus grand nombre d’élus non seulement à l’Assemblée nationale, mais également dans un certain nombre de collectivités locales. Sans doute sera-t-il rehaussé ou dopé par un certain nombre de victoires à l’occasion des prochaines élections municipales, si tant est qu’elles aient bien lieu en mars, parce qu’un report de ces élections municipales est agité, s’il y a une dissolution qui est annoncée par le président de la République d’ici à quelques jours ou le Premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu.
S’il y avait une dissolution, un autre sondage sorti il y a quelques jours précise que 150 circonscriptions seraient gagnables en plus de celles dont dispose le Rassemblement national. Cela veut dire que non seulement il faudrait agglomérer les 120 dont il dispose déjà, mais il faudrait en rajouter 150 de plus. Cela fait quasiment la majorité absolue.
Nous pouvons effectivement affirmer qu’il est aux portes du pouvoir : il a quasiment, à lui tout seul, la majorité, et il suffirait juste que la droite républicaine s’associe à lui.
Entretien réalisé par Oumar NDIAYE