La décision de la Cour suprême, ce 18 septembre 2025, marque un tournant irrévocable dans la trajectoire de Barthélémy Dias. En effet, il perd définitivement la mairie de Dakar, après des mois d’incertitudes et de recours épuisés. Ce dénouement judiciaire plonge ses racines dans l’affaire Ndiaga Diouf, survenue en 2011 et dont l’ombre n’a cessé de hanter son parcours. Entre son ascension fulgurante au Parti socialiste, son exclusion retentissante, puis ses alliances successives au sein des coalitions d’opposition, l’itinéraire de l’ancien édile illustre les convulsions de la vie politique sénégalaise depuis plus d’une décennie. C’est aussi l’histoire d’un militant devenu symbole, puis d’un élu rattrapé par une condamnation devenue définitive
Barthélémy Dias, une trajectoire politique sous le sceau du contentieux
La haute juridiction a mis un terme, ce jeudi 18 septembre 2025, aux espoirs de réintégration de Barthélémy Dias à la tête de la Ville de Dakar. La Cour suprême a rejeté son recours contre l’arrêté préfectoral qui l’avait démis de ses fonctions en décembre 2024, à la suite de sa condamnation définitive dans l’affaire Ndiaga Diouf. Cette décision clôt un feuilleton judiciaire et politique de plus d’une décennie, dont l’origine remonte aux violences survenues à la mairie de Mermoz-Sacré-Cœur en décembre 2011 et qui ont profondément marqué la vie publique sénégalaise.
Le 22 décembre 2011, dans un contexte pré-électoral tendu, des heurts éclatent devant la mairie de Mermoz-Sacré-Cœur. Un jeune homme, Ndiaga Diouf, est mortellement touché par balle. Barthélémy Dias, alors maire de la commune, plaide la légitime défense. Poursuivi pour « coups mortels », il sera condamné en 2017 à deux ans de prison dont six mois ferme, peine confirmée en appel le 21 septembre 2022. La Cour suprême rejettera ensuite son pourvoi le 22 décembre 2023, rendant la condamnation définitive et assortie de 25 millions FCFA de dommages et intérêts au profit de la famille de la victime.
La consolidation de cette jurisprudence a eu des effets politiques immédiats. En décembre 2024, l’Assemblée nationale prononce la déchéance du mandat de député de Barthélémy Dias, au motif de sa condamnation devenue irrévocable. Quelques jours plus tard, le préfet de Dakar le révoque de ses fonctions de maire de la capitale.
L’intéressé engage alors une double bataille contentieuse devant la Cour d’appel d’une part, et devant la Chambre administrative de la Cour suprême d’autre part. Le rejet de son recours, rendu public ce 18 septembre 2025, éteint son ultime « cartouche » judiciaire.
Entre-temps, la première adjointe, Ngoné Mbengue, avait assuré l’intérim, puis le conseil municipal a élu, le 25 août 2025, Abass Fall (PASTEF) comme nouveau maire de Dakar, entérinant un basculement politique majeur dans la capitale.
Si la séquence actuelle s’explique par le droit, elle s’inscrit aussi dans une trajectoire militante marquée par des ruptures. Barthélémy Dias choisit, au milieu des années 2000, la voie socialiste. Il devient l’un des jeunes cadres (visibles) du Parti socialiste (PS) et conquiert la mairie de Mermoz-Sacré-Cœur en 2009 dans la coalition Benno Siggil Senegaal. En 2012, dans le sillage de l’alternance portée par Macky Sall, il est élu député sur la liste de Benno Bokk Yakaar (BBY), symbole d’une gauche institutionnelle arrimée à la nouvelle majorité. Mais les lignes se déplacent rapidement. Le feuilleton judiciaire de Khalifa Sall (2017-2019) fracture le PS et précipite la marginalisation de plusieurs cadres hostiles au choix de participer au pouvoir.
2017-2018 acte la rupture. Le Secrétariat exécutif national du PS exclut en effet 65 qui passent à 72 (aux premiers jours de 2018), dont Khalifa Sall, Aissata Tall Sall, Bamba Fall, Moussa Taye, Bira Kane Ndiaye, Babacar Thioye Ba… et Barthélémy Dias.
Celui-ci dénonce publiquement une manœuvre politique et s’engage, résolument, aux côtés de Khalifa Sall dans l’opposition. Cette mise à l’écart scelle la fin d’un vieux compagnonnage socialiste et ouvre une nouvelle phase. Celle des coalitions d’opposition, très concurrentielles mais capables d’accords tactiques.
À partir de 2021, la recomposition s’accélère. Ousmane Sonko (PASTEF) et Khalifa Sall fédèrent une partie de l’opposition au sein de Yewwi Askan Wi (YAW). Porté par ce label, Barthélémy Dias remporte la mairie de Dakar lors des locales du 23 janvier 2022. Cette victoire emblématique fait de lui l’un des visages de l’alternative municipale. Aux législatives de juillet 2022, YAW devient la principale force d’opposition à l’Assemblée nationale. Cependant, la relation entre les pôles de YAW, notamment Taxawu Sénégal (Khalifa Sall) et le courant incarné par PASTEF, demeurera faite d’alliances et de dissensions lesquelles réapparaîtront au grand jour après la révocation de Barthélémy Dias de la mairie.
Le volet judiciaire rattrape ensuite l’édile. La confirmation, fin 2023, de la condamnation dans l’affaire Ndiaga Diouf déclenche, un an plus tard, la mécanique administrative : déchéance du mandat de député, puis révocation de la mairie par arrêté préfectoral. Le contentieux s’invite dans l’arène politique et cristallise les clivages. Les partisans de Barthélémy Dias dénoncent une instrumentalisation, ses adversaires, au contraire, invoquent la primauté de l’autorité de la chose jugée et le respect des critères d’éligibilité. L’arrêt rendu ce 18 septembre 2025 consacre ce second point de vue qui valide la chaîne de décisions écartant définitivement l’ancien maire, de la gestion de la capitale.
Sur le plan partisan, Barthélémy Dias a tenté de transformer cette épreuve en opportunité politique. Le 30 mai 2025, il lance « Sénégal Bi Ñu Bokk » (« le Sénégal que nous partageons »), mouvement positionné comme une offre de refondation, prenant ses distances avec Khalifa Sall, et avec l’architecture de YAW. La création de cette bannière s’inscrit dans un paysage recomposé par l’accession au pouvoir de PASTEF et par le réalignement des forces locales. Reste que la perte de la mairie de Dakar, confirmée sur le plan contentieux, obère sa capacité d’ancrage institutionnel et le prive d’un levier essentiel de visibilité et d’action.
La succession, désormais, est clarifiée. Après l’intérim assuré par Ngoné Mbengue, le conseil municipal a élu Abass Fall, cadre du PASTEF et alors ministre du Travail, scellant la bascule de l’Hôtel de Ville dans le camp présidentiel. Cette désignation, intervenue le 25 août 2025, referme la parenthèse ouverte en 2022 par la victoire de YAW à Dakar et consacre l’emprise de la majorité sur la capitale, avec des conséquences attendues sur les politiques publiques urbaines et l’équilibre des forces au sein de la métropole.
Au total, l’itinéraire de Barthélémy Dias aura été structuré par trois séquences liées. Un fait-divers judiciaire devenu affaire d’État (2011-2023), une recomposition partisane heurtée, du PS à l’opposition coalisée (2017-2022) et, in fine, une bataille de positions autour de la mairie de Dakar (2024-2025). Si la décision de ce 18 septembre 2025 clôt juridiquement le dossier de sa révocation, elle ouvre un autre chapitre qui est celui d’une survie politique sans mandat local majeur, à la tête d’un mouvement naissant, dans un champ désormais dominé par PASTEF.
La suite dépendra de sa capacité à convertir son capital militant en relais nationaux, à reconstruire des alliances et à dépasser une affaire pénale dont le poids, aujourd’hui encore, continue de déterminer sa place dans la vie publique sénégalaise.
Henriette Niang Kandé