Dans les rues de Dakar, les cordonniers prolongent la vie des chaussures usées des passants. Fatigués par le travail et freinés par des revenus dérisoires, ces artisans de l’ombre se battent pour nourrir leur famille et préserver un métier indispensable mais souvent méprisé.
En face de l’Université Cheikh Anta Diop, Samba, une soixantaine d’années, rabat la tête d’une chaussure qu’il s’efforce de réparer. Assis sur une chaise basse, il travaille sur une petite table encombrée de tubes de colle, de clous et de morceaux de cuir. Les chaussures en attente reposent sur un tissu marron posé sur ses genoux.
Cela fait plus de vingt ans qu’il vit de ce métier. Sans lever les yeux de son ouvrage, il lâche : « Les revenus ne suffisent pas. Les clients négocient tout le temps. Moi, je prends même des pièces de 50 FCfa parce que je n’ai pas le choix. Quand je quitte la maison, je dois revenir avec quelque chose pour nourrir ma famille ».
Sous la chaleur accablante, il continue de marteler la semelle d’un soulier avec patience. Selon lui, les réparations de talons sont les plus rentables. « Ça peut aller jusqu’à 200 FCfa », précise-t-il, avant de murmurer presque pour lui-même : « Parfois, je répare sans être payé. Je me mets à la place des gens : personne n’aimerait marcher pieds nus ».
À quelques pas de là, Aminata, une cliente, attend que Samba finisse sa réparation. Elle esquisse un sourire gêné : « Je n’y avais jamais réfléchi, mais c’est vrai qu’ils ne gagnent pas grand-chose. Moi aussi, j’ai l’habitude de négocier fort », reconnaît-elle. Plus loin, sur la route de Ouakam, un autre cordonnier, plus jeune, a eu la chance d’installer une petite boutique.
Le sol de son atelier est jonché d’outils et de pots de colle. Derrière son comptoir de bois, il semble mieux loti que son confrère de la rue. Pourtant, le constat reste le même : les temps sont durs. « Je ne suis pas riche, loin de là », confie-t-il en ajustant ses lunettes. « Mais je refuse parfois de baisser mes prix. Certains travaux ont une valeur, et je préfère perdre un client que brader mon métier ».
Au milieu des klaxons et des marchandages sans fin, ces artisans prolongent, à coups d’aiguilles et de marteaux, la vie des chaussures de Dakar. Invisibles pour beaucoup, les cordonniers tiennent bon, semelle après semelle, pour maintenir bien chaussée toute une ville…
Yaye Bilo NDIAYE