Un président de la République est un homme cerné, isolé. Au milieu d’une constellation d’intérêts personnels et de groupes, il est exposé à plusieurs cercles d’influence[1] qui s’opposent, pour la plupart du temps, au bien commun(intérêt général). Chacun tirant les ficelles pour incliner la décision présidentielle vers telle ou telle direction. D’où les nuits blanches à devoir délibérer au milieu de discours (ou conseils) contradictoires et subjectifs, parce que porteurs d’intérêts purement égoïstes.
Ajouter à tout ce «désordre mental», le «deep state»(l’Etat profond ou souterrain), un groupe informel, constitué de personnes ayant des rôles clés au sein de l’État et soutenu par certains milieux, qui jouirait de pouvoirs lui permettant de contrer discrètement les décisions ou les projets du pouvoir exécutif légitime[2]. Le sens donné à ce concept change selon les pays. Au Sénégal, les théoriciens de «l’Etat occulte» semblent faire allusion à une forme d’inertie au sein de l’appareil gouvernemental, due aux personnes qui sont rétives aux changements et qui seraient en mesure de freiner les nouvelles initiatives ou les réformes[3].
Le Première Dame, le maillon faible…
La famille est le premier cercle d’influence. Ses membres proches ou lointains ne sont pas forcément visibles dans les couloirs du pouvoir. Mais sa position lui donne un accès constant et informel au Président qui peut prêter oreille attentive aux «conseils», surtout pendant des moments de doute ou de crise où la famille devient une zone de repli sécurisée. Généralement, dans ce cercle d’influence (famille) c’est la magie de l’émotion qui opère. La raison n’a pas forcément le dernier mot lorsque le père de famille se substitue au président de la République. Ce qui ouvre, parfois, la voie au népotisme.
Le président de la République peut, dans le cas du Sénégal, devenir fragile lorsque la Première Dame se mue en Mère Teresa avec des fonds provenant des privés qui ont forcément des intérêts à préserver. Comment le Chef de l’Etat peut-il jouer la carte de la droiture si des fonds privés permettent à la Première Dame de faire du social ? Tant qu’elle bénéficie uniquement du soutien financier de son mari, il n’y aura pas péril en la demeure. Mais le vrai danger que court le Projet est le lien qu’il peut y avoir entre la Première Dame et les cercles privés prompts à financer les actions de cette dernière. Le Président entrera, malgré lui, dans la danse lorsque le moment de rendre l’ascenseur arrive. Et c’est là que réside toute la fragilité du Projet.
Entre courtiers et lobbys
Les courtiers politiques constituent le deuxième cercle. Un Président est souvent aidé, dans son ascension étatique, par des parrains politiques, des financiers et stratèges électoraux. Mais tous ces gestes sont loin d’être altruistes ou bienveillants. Ces courtiers au cœur «intéressé» attendent, avec impatience, le retour d’ascenseur, en termes de contrats, d’orientations politiques ou de nominations. Dans leurs habits de manipulateurs habiles, ces courtiers se feront «payer» jusqu’au dernier centime, en orientant le pouvoir dans le sens de leurs intérêts.
Le troisième cercle est celui des lobbys où l’influence est organisée. Il est constitué, entre autres, d’organisations de la société civile, d’industriels, de marabouts, et de multinationales cherchant à orienter les politiques publiques à leur avantage. Ils vont user de plusieurs subterfuges, allant des financements de campagne à la production d’expertises, en passant par la pression médiatique. Le Président se trouve, parfois, écartelé entre l’intérêt général et les intérêts particuliers et où l’arbitrage donne le tournis.
La lutte des places
Le dernier cercle est celui des collaborateurs constitués, entre autres, de ministres, chefs et directeurs de cabinet, secrétaires généraux, de conseillers et responsables de communication. Ils peuvent influencer la décision présidentielle par des notes, des arbitrages ou des briefings. Le pouvoir de convaincre ou de persuader de certains, peut pousser le Président à changer d’orientation. En plus, la guerre de positionnement entre collaborateurs est de nature à brouiller les décisions et par ricochet, affecter le climat de sérénité et de cohérence dans les délibérations présidentielles. Moralité : on n’est jamais à l’abri de la musique du diable avec sa mélodie discordante et cacophonique.
Par Bacary Mané, Journaliste.
[1] J’en dénombre quatre : la famille, les lobbys, les courtiers politiques et les collaborateurs