L’arrivée de Abass Fall à la tête de la mairie de Dakar soulève moult interrogations, dans un contexte où la capitale a besoin de s’imposer parmi les villes les plus attractives du monde.
Daouda Thiandoum, aménagiste, par ailleurs, secrétaire général du club de réflexion sur l’urbain, et Amadou Séne Niang, spécialiste de la décentralisation, sont revenus sur les chantiers qui attendent le nouveau maire. Ceux-ci ont pour noms la relation avec l’État, la pacification du Conseil municipal, ou encore la mise en place d’outils de planification pour une meilleure occupation de l’espace dans la capitale.
L’élection à la mairie de Dakar qui s’est déroulée, lundi 25 août 2025, s’est soldée par une victoire de Abass Fall du parti Pastef, par ailleurs ancien ministre du Travail, de l’Emploi et des Relations avec les institutions. Cette victoire a de multiples enjeux, avec de nombreuses perspectives qui attendent le nouveau maire. L’expert en décentralisation, Daouda Thiandoum, est revenu sur l’attractivité de Dakar qui, d’après une étude, est à la 24e place des villes les plus attractives d’Afrique. Pour lui, la capitale devait même être dans le top 5, car, « Dakar a tout pour être attractif ». Cependant, a-t-il justifié, les mésententes et autres quiproquos entre l’État central et le maire de la Ville sont un réel problème, qui empêche le rayonnement de la capitale.
« Depuis 2009, lorsque Khalifa Ababacar Sall était maire, on a commencé à constater cette scission entre l’État et le premier magistrat de la Ville de Dakar. Sur les 15 dernières années, nous avons des maires qui ne sont pas du même bord politique que le Chef de l’État, et cela a notamment porté préjudice aux investissements et aux réalisations, dont Dakar devrait bénéficier », explique M. Thiandoum. Pour arriver à mettre fin à cette bataille politique, l’urbaniste demande de développer une intelligence collective, et une collaboration franche entre l’État central et le maire de la Ville, pour éviter ces positions discordantes. Nouvellement élu, Abass Fall va devoir, selon M. Thiandoum, prendre le train en marche, puisqu’il a moins de deux ans de mandat pour convaincre les Dakarois.
Du coup, les chantiers qui l’attendent sont énormes, pour réussir des projets d’envergure. Pour M. Thiandoum, « cela passera d’abord par un climat apaisé, en enrayant définitivement la guéguerre politique qui battait son plein dans la mairie, au profit des Dakarois ». En outre, les défis en termes de planification et autres sont énormes. Booster la communication territoriale « Dakar n’a pas d’outil de planification économique et sociale, et le Plan directeur d’urbanisme de la Ville de Dakar va être caduc dans 4 mois, en vertu du nouveau Code de l’urbanisme », a assuré M. Thiandoum. Aussi, il y a un grand problème de mobilité à Dakar, lié aux interminables embouteillages, et ceci est le résultat d’un travail non maîtrisé, qui n’a pas réussi à faire un diagnostic pointu, entre la croissance urbaine et la croissance économique.
Ces deux doivent aller de pair, mais malheureusement, il y a une rupture significative, a dit M. Thiandoum. Ce dernier assure que les défis climatiques, liés à l’érosion côtière et à la pollution, sont aussi importants. D’après lui, tous ces enjeux, y compris les attentes dans le volet assainissement, doivent permettre de trouver des projets adaptés pour que la Ville de Dakar soit agréable. Mais surtout, a-t-il ajouté, le verdissement de la capitale est une nécessité, vu que la bétonisation à outrance de cette ville est une menace sur l’environnement. De plus, poursuit-il, « il y a un autre problème à Dakar lié à la gouvernance, et c’est le moment de réfléchir, et de voir où s’arrête, et où commence Dakar.
L’agglomération est diffuse, étant sous forme de taches d’huile et ça part dans tous les sens », a souligné le spécialiste. Et c’est pourquoi, pense-t-il, « il faut réfléchir sur comment gérer les nouveaux arrivants à Dakar, et comment normaliser les voies hydrauliques pour empêcher les inondations ». Dans cette nouvelle tendance mondiale qui se dessine, l’attractivité de Dakar est la carte sur laquelle il faut miser pour renverser la donne, a dit M. Thiandoum. Cette politique, poursuit-il, permettrait d’attirer des investisseurs, des touristes, de nouveaux résidents, des talents, mais surtout les retenir.
Pour ce faire, il faudra miser sur l’attractivité économique et résidentielle. Selon l’urbaniste, il y a deux-milliards de touristes dans le monde et Dakar, vu sa position stratégique, n’arrive pas à en avoir 2 millions et, a-t-il dit, le gap à combler est énorme. « Aujourd’hui, il faut développer le marketing territorial, c’est-à-dire l’art de vendre la ville et de mobiliser toutes les synergies, par ricochet, booster la communication territoriale. Nous espérons qu’une synergie va naître pour justement définir une stratégie de marketing territorial, avec ce nouveau maire », a-t-il souligné.
Reformer le Code général des collectivités territoriales
Dans la même veine, Amadou Sène Niang, expert en décentralisation, est revenu sur les contentieux entre autorités déconcentrées et l’État du Sénégal. Pour lui, cela nécessite une refonte, ou encore mieux, une réforme profonde du Code des collectivités territoriales. « Avec l’avènement des pôles territoires, nous avons une nouvelle configuration des collectivités territoriales, et le ministre concerné est en train de travailler là-dessus. Mais nous devons aller plus loin, en cernant les prérogatives de tous les acteurs ».
Deux spécialistes imaginent le Dakar de demain
Dans une contribution, le Dr Cheikh Ahmed Tidiane Faye, spécialiste en géomorphologie appliquée à l’aménagement du territoire et Amadou Alioune Sarr, ingénieur en systèmes embarqués pour les véhicules autonomes, sont revenus sur leur conception de la capitale. Dakar doit, selon eux, inventer un modèle hybride et souverain, combinant l’efficacité digitale de Singapour (identité numérique, jumeau urbain, infrastructures intégrées), la participation citoyenne de Barcelone (superblocks, budgets participatifs, urbanisme inclusif), la sobriété pragmatique de Kigali (mobilité électrique, gouvernance simple, mais efficace).
Ce modèle, selon eux, ferait de Dakar « le premier laboratoire panafricain de villes intelligentes, capable d’exporter des solutions locales vers le continent avec la gouvernance numérique inclusive, l’urbanisme résilient face au climat, etc. ». L’objectif sera, de leur avis, de bâtir une métropole africaine souveraine, écologique et inclusive, symbole d’un avenir où l’Afrique construit ses propres références.
Par Bada MBATHIE