vendredi, mars 29, 2024
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Sénégal :l’Etat de droit, un dégât collatéral du Trumpisme…

par pierre Dieme
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Dites, Pierre Sané, que fais votre soi-disante plateforme de protection des lanceurs d’alerte quand, sous vos yeux, l’Etat des droits et libertés s’étiole dans ce pays, avez-vous perdu ce qui vous restait d’âme de votre passage à Amnesty International à Londres en ces années où nous partagions des soirées entières à débattre des voies et moyens de chasser les tyrans de notre continent, ou est-ce votre adhésion au Parti socialiste, membre des formations politiques réunies en nouba autour de l’actuel assassin de la démocratie, Macky Sall, qui vous a ramolli à ce point ? Où est Alioune Tine et sa voix de stentor, ne l’utilise-t-elle que pour proposer des réunions de Chefs d’Etat en se taisant sur les braquages contre les droits humains ?

Qui entend Seydi Gassama d’Amnesty International s’ériger contre le recul, la régression, l’appauvrissement des populations, malmenées, par un régime qui ne recule devant aucun excès pour garroter les libertés ? Ne parlons pas de la Raddho, du Forum Civil et de ces instances jaunes, collaboratrices honteuses entre des perdiems ramassés in-petto ou à l’inutile conseil économique, social et environnemental (CESE) : compter sur elles, c’est maintenir la survie des alliés du diable. Dites, théoriciens et bavards défenseurs de l’Etat de droit pourquoi vous manquez tant de courage et de cohérence? Pourquoi n’osez-vous plus élever la voix face à son éradication au Sénégal?

N’étiez-vous, n’êtes-vous, que des tigres de papier, aplatis devant celui qui fait ce que bon lui semble des valeurs démocratiques, et comment peut-on expliquer que même les acteurs de la justice se taisent quand leurs toges professionnelles sont usurpées pour servir des activités politiciennes, comme hier avec un Djibril War filmé avec une tenue de magistrat ou avocat aux couleurs de son parti politique, en marron-beige? La classe politique, les chefs religieux, les syndicalistes, les dames de compagnie de la presse, les forces devenues flasques de la société se réfugient dans un lourd silence alors que l’Etat de droit est dans son linceul, qu’il s’est affaissé depuis longtemps, et se prépare, inerte, à être jeté en terre, sous les pieds de son meurtrier. Le climat est doux pour les assassins des démocraties à travers le monde. Ils ont trouvé dans le pays qui était leur pire ennemi l’inattendu, irrésistible, soutien. C’est d’un retournement phénoménal de situation qu’il s’agit.

Il met particulièrement en scène un Donald Trump, le chef de l’Exécutif américain, celui qui, depuis son arrivée à la tête de ce pays, semble avoir comme seul projet celui de démanteler à la hache l’ordre libéral ayant stabilisé les relations internationales pendant plus d’un demi-siècle, en promettant de l’achever s’il est réélu dans moins de quarante jours. Sous son cynique parrainage, les conséquences de son mépris pour les règles de droit dans la gouvernance des Etats ont fini de porter l’estocade finale à l’Etat de droit au Sénégal. Celui-ci n’est plus qu’un vague souvenir. Alentour, sur sa dépouille, les symboles de son assassinat ne se comptent plus. Cette femme qui tient la caméra d’un site internet gisant sur un lit d’hôpital après avoir été bastonnée par des policiers dans l’exercice de son métier, hier, n’en est que le dernier exemple.

Il y a une quinzaine de jours, ce fut un activiste qui subissait la torture inhumaine que des gendarmes lui ont infligée dans une ambiance d’impunité impensable dans quelque pays où les droits humains ont encore une signification. Qui se soucie du sort d’un Assane Diouf, réveillé à l’aube et pris, capturé, de son domicile, pour être maintenu en prison depuis des mois par une justice désinvolte, aux ordres ? Personne. Pendant ce temps, le juge qui l’y a mis passe tranquillement ses vacances sans se soucier de ce qui peut advenir à un homme désigné comme l’insulteur public quand il ne fait, les excès évacués, qu’assumer sa part de citoyenneté.

L’Etat du Sénégal a négativement viré, comme s’il bénéficiait du climat propice pour les dérives autocratiques incontestablement mises au goût du jour par l’avènement d’un Trump et dont l’une des conséquences est le bourgeonnement de dictatures çà et là à travers la planète là où, quelques-années plus tôt, le triomphe du libéralisme, non seulement pendant la guerre froide mais sa fin en 1989, prédisaient l’éclosion des libertés individuelles, notamment politiques et économiques. Comme ailleurs, le sentiment qu’un parapluie américain donne le feu vert à la consolidation des pouvoirs immoraux, égoïstes, incarnés, entre autres, par ceux en place en Turquie, en Hongrie, aux Philippines, en Autriche, en Chine, en Russie, en Arabie Saoudite, ou au…

Sénégal, plus rien ne semble rappeler que l’état de droit était la promesse faite au monde après l’effondrement du modèle autoritaire, vertical, dirigiste que les pays communistes offraient à leurs adeptes. Qu’un Adnan Kashoggi, journaliste de profession, originaire de la principale monarchie pétrolière, se soit vu dépecer par les services spéciaux Saudis n’a guère suscité, voici trois ans, que quelques hurlements de protestations avant que le scandale ne soit enseveli par la signature d’un contrat de fournitures d’armes que Ryadh consentait à Washington pour racheter sa mauvaise conduite, inhumaine, face à une Administration américaine particulièrement facile à convaincre de céder sur ce qui constituait naguère une zone imprenable dans ses valeurs. Dans le monde, les violences policières ou militaires, celles aussi des gendarmes et des forces en tous genres qui terrorisent les peuples et individus, sont maintenant acceptées par la plus grande puissance économique mondiale.

Exit la légitimation de son impérium par le souci de toujours apparaître comme le porte-flambeau des normes centrées sur la sécurité humaine. Désormais, poursuivant sa quête des intérêts de l’Amérique d’abord, l’Administration Trump a donc favorisé un nouvel écosystème Hobbesien, toute de violences, où la logique du plus fort est la meilleure. Les plus pessimistes n’hésitent pas à prédire son épanouissement si jamais l’homme fort de la Maison Blanche rempilait à son poste au terme de l’élection qui l’oppose le 3 novembre à son rival du Parti Démocrate, en la personne de Joe Biden, l’ancien Vice-Président d’une précédente équipe dirigeante. Les dégâts à venir donnent le tournis : l’Organisation des nations unies (ONU) et ses agences, les accords sur le climat et le nucléaire (autour de l’Iran), le dialogue au Moyen-Orient pour une paix équilibrée, juste, et les valeurs démocratiques, l’équité raciale, voire la souveraineté des Etats, bref tout ce que l’humanité pensait avoir engrangé comme acquis pourraient s’envoler sous les pas, sous le genou, d’un irascible et caractériel, trop extravagant, leader de la communauté internationale comme l’est forcément celui qui gouverne aux destinées des USA, s’il continue d’être le si ouvertement théoricien d’une suprématie blanche sur la planète.

Le signal, pour ne pas dire cette nouvelle forme de laissez-faire, cette stratégie du repli derrière ses frontières, marque d’un désintérêt vis-à-vis du reste du monde, cet abandon de son prosélytisme d’antan quand elle a pu promouvoir les libertés démocratiques, sont autant d’indications que l’Amérique est à la veille d’un retour vers l’un des fondamentaux, avec l’internationalisme, de sa politique étrangère : l’isolationnisme. C’est un mouvement de balancier dévastateur, qui décapite les peuples, soudain livrés à des forces aveugles, dictatoriales, pendant qu’il laisse à ces dernières comme un nouveau droit de n’en faire qu’à leur gré, sans se soucier de quelque retour de bâton. Les dirigeants qui rêvent d’écraser leurs citoyens ont une capacité innée à saisir les complicités à leurs rêves de sévir par la violence. C’est ainsi qu’un Saddam Hussein n’a envahi le Koweït, le 2 Août 1990, qu’après une rencontre avec Glapsie April, l’ambassadrice américaine en Irak, qui lui avait donné l’impression que son pays fermerait les yeux s’il prenait possession du riche émirat voisin, par un coup de force. Les Mobutu, Marcos, Noriega, Stroessner et autres autocrates des soixante dernières années n’ont pu prospérer dans leur commerce politique que grâce à des leaderships bienveillants à leur égard à Washington. Depuis que Trump est aux affaires, c’est ce phénomène qui est à l’œuvre. Les dictateurs du monde entier qui tentaient de suivre les modèles de gestion étatique, réhabilités par les Chinois et les Russes, ont trouvé en lui un client, un partenaire, encore plus froid, sans états-d’âmes.

«Nous ne laisserons plus nos entreprises opérer dans le reste du monde en ayant les mains liées par des lois anti-corruption», fut le meilleur signal qu’il put lancer à son arrivée au pouvoir pour faire savoir aux autocraties du monde qu’il ne se mettrait pas en travers de leurs dérives. Le résultat de ce reniement américain dépasse l’entendement. Plus personne ne relève la moindre réserve, critique ou contestation venue de Washington pour remettre à leur place les poseurs d’actes anti-démocratiques. Les Talibans de l’Afghanistan, organisateurs du pire attentat contre les USA, celui du 11 Septembre 2001, sont remis en selle pour reprendre le pouvoir dans leur pays avec son aide ; Israël a obtenu l’impensable –le transfert de l’Ambassade américaine à Jérusalem ; le Soudan revient en grâce dans l’orbite US ; le Département d’Etat ne publie plus de rapport annuel sur les droits de l’homme ou ne le fait qu’en catimini ; pas une fois Trump ne s’est prononcé sur les tueries, arrestations et crimes qui balafrent la société américaine, divisée racialement à son instigation, et celles d’autres pays : l’exceptionnalisme américain n’est plus qu’une illusion, qui exalte les plus graves instincts des autocrates là où il se distinguait par son leadership moral dans le passé.

Si l’Amérique se retire de ce combat, est-ce une raison suffisante pour que des pays, comme le nôtre, restent les bras croisés en laissant s’envoler leur héritage et acquis démocratiques ? Cet état de droit qui se meurt sous nos yeux, est-ce une fatalité irréversible ? Je ne le crois pas. C’est pourquoi les forces, encore vives, doivent se réveiller, surtout qu’il est clair que le travail de récupération et de relance de notre état démocratique sera une œuvre interne –et ne devra pas compter sur l’extérieur largement intoxiqué par les méfaits du Trumpisme et de ses avatars sur la scène internationale, y compris une ONU qui n’a plus de souffle pour montrer la voie. Ce matin, j’invite les sénégalais qui rêvent d’un autre Sénégal à résister aux menées d’un Macky Sall qui a trahi l’espoir placé en lui et s’est révélé en pilleur, ennemi, de la nation. J’invite, parce qu’il participe à une institution qui fait semblant d’exister, mon jeune compatriote, politique engagé, Mamadou Lamine Diallo, dont le nom me vient au pif, de poser la question au sein de l’hémicycle afin que les violations des droits humains, dont je ne suis pas seul à subir les effets, cessent d’être banalisées dans ce pays en rapide extinction de sa respiration morale… Le temps presse. Et Trump, même si tous nous souhaitons sa défaite, peut être ré-élu par une Amérique devenue tolérante pour la régression des démocraties et de l’égalité raciale.

Adama GAYE, Le Caire, 29 Septembre 2020.

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