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Sénégal : le destin contrarié de Khalifa Sall

par pierre Dieme
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Longtemps, une large banderole accrochée à la devanture de l’hôtel de ville de Dakar a indiqué le nombre de jours de détention de Khalifa Sall. Le temps passant, les jours sont devenus des semaines, puis des mois. Quand le maire de la capitale sénégalaise a finalement été gracié par le chef de l’État, le 29 septembre dernier, l’immense compteur affichait 936 jours.

Condamné en appel à cinq ans de prison pour « faux et usage de faux » et « escroquerie portant sur des fonds publics », Khalifa Sall aura donc passé près de trente mois à la maison d’arrêt de Rebeuss. La veille de son incarcération, survenue le 7 mars 2017, il avait prévenu ses équipes : « Ça va être long, très long. Si vous pensez que la situation est terrible, préparez-vous : vous n’avez encore rien vu. »

Mais comment aurait-il pu imaginer que l’incarcération ne l’empêcherait pas d’être élu député en juillet 2017 ? Qu’elle ne le dissuaderait pas non plus, alors qu’on lui avait tant reproché de ne pas assumer ses ambitions du temps où il était libre, de se porter candidat à l’élection présidentielle de février 2019 via un communiqué rédigé derrière les barreaux ?

Depuis sa sortie de prison, l’ancien maire de Dakar rase les murs. Lors de sa seule allocution publique, prononcée trois semaines après sa libération, il s’est dit « sans haine ni rancune », mais son avenir continuera de se conjuguer au conditionnel tant qu’il n’aura pas recouvré l’ensemble de ses droits civiques. Libéré dans le cadre de négociations entre le président Macky Sall et son prédécesseur, Abdoulaye Wade, Khalifa Sall assure n’avoir jamais sollicité de grâce – cela serait revenu à reconnaître les faits pour lesquels il a été condamné.

Années chaotiques

Pour Khalifa Sall, qui a gravi un à un les échelons du Parti socialiste (PS) auquel il a appartenu pendant près de cinquante ans, les trois dernières années ont donc été chaotiques. Procédures en appel, puis en cassation, recours déposé devant la Cour de justice de la Cedeao… Ses avocats auront tout tenté, mais cela n’aura empêché ni sa condamnation, ni sa destitution de ses mandats de maire et de député, ni l’invalidation de sa candidature à la magistrature suprême par le Conseil constitutionnel.

Les premiers mois, l’opposition et une partie du PS lui apportent un large soutien. Puis les appuis ont commencé à se raréfier. « Je sais bien comment ça fonctionne, confiait-il alors à l’un de ses proches. Aujourd’hui nous sommes cinquante, mais bientôt nous serons trente, puis dix. »

« À partir du moment où il a été destitué de sa fonction de maire, en août 2018, les choses ont été plus difficiles, confirme un de ses collaborateurs. Cela a été pareil quand il a perdu son mandat de député. On recevait trente manifestations de solidarité par jour, mais personne ne souhaitait s’afficher publiquement à ses côtés. »

Secrétaire général de l’Association internationale des maires francophones (AIMF), président des Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLUA), il peut encore compter sur l’appui de ses homologues. Depuis Brazzaville, Kinshasa ou Marrakech, Hugues Ngouélondélé, André Kimbuta et Fatima Zahra Mansouri lui apportent également leur soutien. À Paris, c’est Anne Hidalgo, dont il est proche, qui lui manifeste sa sympathie (en 2017, le conseil de la Ville s’engage même à créer un Observatoire international des maires en danger pour protéger les élus locaux « menacés » dans leur pays).

Victime de ses ambitions

Les partisans de Khalifa Sall en sont convaincus : c’est son bilan à la mairie de Dakar, dont il tient les rênes depuis 2009, et ses ambitions politiques – quand bien même il ne les a pas clairement affichées – qui sont à l’origine de ses démêlés judiciaires. « Pour le clan présidentiel, Dakar, c’est énorme, affirme un cacique de l’opposition. Il fallait à tout prix freiner les ardeurs de Khalifa Sall. »

Par deux fois, Khalifa Sall a emporté la mairie de Dakar. A-t-il vu en ses deux victoires successives le signe que les augures lui étaient favorables ? Son premier coup de poker remonte à 2009. Figure du PS, dont il est alors le secrétaire à la vie politique, Khalifa Sall part à la conquête de la capitale en menant la liste de la coalition Benno Siggil Sénégal.

Face au Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade, la compétition s’annonce serrée, mais Khalifa Sall et ses alliés savent surfer sur l’opposition montante au président libéral, que les Sénégalais soupçonnent de vouloir imposer son fils, Karim. La stratégie fait mouche. L’opposant entre à l’Hôtel de ville.

Le nouveau maire a l’expérience de la chose publique. À deux reprises, il a été le ministre du président Abdou Diouf. Il rêve de changer le visage de la cité, promet d’en assainir les finances et de mettre en place une gestion plus rationnelle. Et se heurte bien vite, raconte son entourage, aux « croche-pieds » que lui font les membres de majorité présidentielle.

En 2012, Macky Sall succède à Abdoulaye Wade avec le soutien de la coalition à laquelle appartient le PS. « Avec Wade, les choses étaient difficiles, mais au moins, c’était plus franc, tacle un proche de l’ancien maire. Tandis qu’avec Macky Sall… On a très vite compris que la situation deviendrait catastrophique. Aujourd’hui d’ailleurs, tout a été fait pour effacer son héritage. »

Khalifa Sall se lance à nouveau dans la bataille en 2014, mais avec une liste dissidente. Plébiscité par les Dakarois, il porte l’estocade à sa rivale, Aminata Touré, que Macky Sall limoge de son poste de Premier ministre. Les relations entre la mairie et l’État se durcissent. En 2015, un rapport de l’Inspection générale d’État (IGE) s’intéresse à sa gestion de la capitale. La version finale de son rapport, remise en novembre 2016 au procureur de la République, sera à la base de l’enquête diligentée contre lui.

La rupture est définitivement consommée en 2016, lorsque Khalifa Sall décide de soutenir le « non » au référendum portant sur la révision de la Constitution contre l’avis de son propre parti (dont il sera finalement exclu l’année suivante).

Convoqué par les enquêteurs

En 2017, il est convoqué par les enquêteurs, mais l’entourage du chef de l’État assure n’y être pour rien. « Bien avant 2016, il était clair que Khalifa Sall avait choisi de se démarquer du pouvoir. Mais c’est une question qui concernait son parti, le PS. Pour nous, Khalifa Sall n’était pas une obsession, encore moins une menace », affirme un conseiller du président sous couvert d’anonymat. Et d’ajouter : « Le délit d’ambition n’existe pas au Sénégal. N’importe qui peut se présenter aux élections s’il le souhaite. À chaque fois qu’un politicien est pris la main dans le sac, il va crier au complot politique ! Khalifa Sall a été jugé sur la base des textes qui prévoient l’inéligibilité. C’est comme ça dans ce pays : quand vous détournez les ressources publiques, vous perdez vos droits politiques et civiques. »

Après son incarcération, plus d’une année s’écoule pourtant avant que son mandat d’élu local ne soit révoqué. Depuis sa cellule, il continue donc à gérer la mairie, transmettant ses consignes à son équipe et fourbissant ses armes politiques. À la veille des législatives de 2017, il décide de jouer son va-tout. De toute façon, il n’a déjà plus rien à perdre, mais il a beaucoup à gagner, à savoir le soutien d’une opposition qui rêve de mettre Macky Sall en difficulté à l’Assemblée.

Manque de lucidité

Khalifa Sall se prend à rêver d’une immunité parlementaire dont il pense encore qu’elle suffira à le faire sortir de prison. Il espère être la tête de liste de la coalition Manko Wattu Sénégal, qui réunit les adversaires du chef de l’État (Abdoulaye Wade, Idrissa Seck, Malick Gakou…), mais le PDS et certains de ses alliés renâclent. « Parce qu’il avait gagné Dakar, ses partisans s’imaginaient qu’il était la force montante, le prochain président, et ils jugeaient qu’il devait diriger la liste. Ils ont manqué de lucidité et ont été emportés par leurs envies et leurs passions. Ils ont fait l’erreur d’envisager les législatives en pensant déjà à la présidentielle », résume un député proche du PDS.

Les législatives consacrent la victoire sans partage de la majorité présidentielle, qui obtient 125 sièges sur 165. Élu depuis sa cellule malgré la débâcle, Khalifa Sall perd son immunité parlementaire quatre mois plus tard après une séance houleuse à la Chambre basse. « Ils ont piétiné les règles du droit et le règlement de l’Assemblée et ont mené toute cette procédure sans même entendre le concerné, raconte Déthié Fall, député de la coalition Manko Taxawu Sénégal. Dans cette affaire, le droit a eu peu de place : la politique a occupé l’intégralité de la scène. »

Libéré depuis près d’un an, Khalifa Sall reste discret jusqu’à aujourd’hui. Il se montre parfois aux côtés de membres de l’opposition, mais jamais avec ses anciens camarades du PS, dont il a été définitivement exclu fin 2017. Malgré tout, il dit n’avoir aucun regret. « C’est une question de vision, d’histoire politique, a-t-il confié à l’un de ses intimes. Je n’ai pas eu le choix et tant pis si cela fait un peu sacrificiel. »  Pour une fois, on ne peut pas lui reprocher de ne pas assumer son destin.

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