Accueil ChroniquesLes posts d'Adama Gaye Rebeuss : De mon mirador Plongée carcérale intra-muros

Rebeuss : De mon mirador Plongée carcérale intra-muros

par pierre Dieme

La tête bourdonnante, le corps meurtri, les idées en bataille dans tous les sens en cette aube à peine naissante du 1er Août 2019, la première qui me voit me réveiller dans une cellule de prison. En sursaut plus qu’en ordre parce que l’appel du muezzin auquel je m’habituerai avait provoqué un charivari total dans la Chambre 1 où j’inaugurais ma vie de détenu…politique traité en chien, en conformité avec le vœu, transparent, de mes ravisseurs de me réduire à moins que rien.
Comme dans mon enfance, ayant repris mes vieilles habitudes d’alors de m’endormir la nuit sur le sable de notre concession avant qu’on ne vienne m’y tirer pour que j’aille rejoindre mon lit, en me levant de la natte qui, ici, avait servi de réceptacle à ce corps livide, je m’étais simplement empressé de donner un coup de main sur mes habits froissés –et, instinctivement, m’étais mis au tempo spirituel qui avait envahi la pièce.
.La prison est un lieu de culte. Quelle ferveur. Dès potron-minet, la centaine de pensionnaires avait pris d’assaut la seule toilette, essentiellement pour y faire leurs ablutions, et, les plus chanceux, pour se déverser une rapide douche sous la pression et l’œil gênant d’une file d’autres candidats à cet espace autant de soulagement que de préparation à l’appel du ciel. L’ordre de passage, comme tous les autres actes, à l’intérieur des chambres de la prison, sous l’autorité du chef de chambre, est organisé, confié à un responsable.
Religion
Chacun tient à son statut. Et l’imam n’est pas en reste. Celui qui dirige la prière aussi bien que son adjoint tiennent à leurs prérogatives. On sent qu’ils connaissent l’islam. Je ne m’empêche de me poser la question de savoir pourquoi sont-ils ici s’ils avaient respectés les prescriptions de cette religion ? L’un et l’autre, je l’apprendrai, sont mêlés à un « deal » qui a foiré : de leur Casamance natale, ils se sont trouvés impliqués dans une manœuvre de multiplication frauduleuse de plus de 100 millions de CFA pour augmenter un pactole que leur avait soumis un…policier.
Dans la pièce, pendant que les musulmans sont sur le qui-vive, prêt à se livrer à leur rendez-vous avec leur Dieu, une dizaine d’autres détenus, profondément assoupis, sont ailleurs. Des chrétiens, ils ont leur moment religieux lors des messes du dimanche que l’administration pénitentiaire leur sert. Parmi eux, il y a Pascal, un Nigérian, teint clair, toujours à ses aises : ses coreligionnaires l’appellent Pasteur. Pourquoi est-il donc ici, comme si les religions s’unissaient dans une tolérance identique à la criminalité. On me dira qu’il est mêlé à un trafic de drogue.
La tête engourdie, je n’ai pas senti passer la première prière, parmi une longue litanie d’autres, symptomatiques d’un refuge collectif derrière le Seigneur, que je ferai en ces lieux qui rivaliseraient avec n’importe quelle espace normé de prières dans les mosquées du pays. Est-ce la peur de l’emprise carcérale, l’espoir d’en échapper ?
Chaque matin, pendant mes 51 jours de présence à Rebeuss, s’ajoutant aux deux autres passés dans des commissariats, et à toutes les autres heures de prières, en plus de celles superfétatoires, la chambre où je suis devenu un client confié à l’administration pénitentiaire se révélera d’abord en ardent foyer d’une pratique religieuse qui jure d’avec l’image qu’on se fait, dehors, des prisonniers.
Sitôt la prière inaugurale terminée, je replonge sur mon bout de nattes en croyant pouvoir me payer quelques-heures du sommeil manquant que je traîne. Je me suis préparé au pire en quittant l’avant-veille le bureau du démoniaque doyen des juges d’instruction, le tristement repoussant Samba Sall. De son visage qui se «triangularise » quand il décerne ses certificats de transfert à Rebeuss, sous ses yeux de lynx, bouche en chewing-gum avarié, il avait perfidement laissé tomber qu’il partait en vacances le lendemain pour 40 jours.
Le garde pénitentiaire qui m’avait fait monter à son bureau, au deuxième étage du tribunal, pour que j’y sois entendu la première fois par ses soins, avait poussé le zèle jusqu’à me mettre des menottes. Sous l’escorte de Ndecky, démarche chaloupée, que l’on imagine aisément se vantant dans les bas quartiers de ses exploits sur les détenus qu’il commande, je n’ai offert aucune résistance autre qu’un rire entendu pour lui faire comprendre qu’il agissait dans une chaîne de contre-valeurs pour participer au viol de mes libertés constitutionnelles.
Mes avocats, au nombre de 5, moins nombreux que par le passé, quand les luttes démocratiques suscitaient la mobilisation du barreau sénégalais, dans un réflexe salvateur, s’empressent de vouloir figer mon image d’homme menotté. Le garde pénitentiaire est conscient des ravages qui en découleraient. Il s’y oppose avec la dernière énergie sous l’œil goguenard du greffier du doyen des juges venu nous inviter à répondre à son invitation.
Dans le couloir qui mène à son bureau, se trouvent, désemparés, debout, moins d’une dizaine de sympathisants, dont des amis d’enfance, deux journalistes, des membres de ma famille, une amie, Hulo.
Mon calme olympien les éclate. Je suis heureux de les voir là. Je savais que la propagande, cet aspect pathologique de l’information avait déjà atteint au plus profond la société sénégalaise, y compris dans maints de ses cercles pourtant honnêtes, qui avaient fini par se laisser mordre par la peinture démoniaque qui avait été faite de ma personne.
Je suis même étonné de constater le rire niais et les thèmes à dégagement qu’aborde une des personnes que je croise dans l’antichambre du bureau du Doyen des juges d’instruction. Bassirou Sarr, pour ne pas le nommer, longtemps symbole d’une gauche avant-gardiste, du mouvement And Jef, qui a vendu son âme, n’ose même pas évoquer mon cas qui occupe le débat national. Venu voir ce juge qui doit être au nombre de ceux qu’il a formés dans la vulgate maoïste, il me sert des généralités sans tête ni queue. J’ai envie de lui cracher dessus mais n’en fait rien pour ne pas perdre ma salive sur une gauche devenue une merde nationale…

Justification de mon arrestation
Après mon audience avec le juge dont je savais qu’elle n’avait d’autre but que de lubrifier la justification de mon arrestation, en enlevant le passage sur les mœurs, notamment l’adultère de Macky Sall avec Mina Lakrafi, ou ses crimes économiques et électoraux, je me sens soulage.

Une certitude m’habite : la vérité finira par triompher. Les mensonges qui faisaient triompher la propagande du moment, fondés sur la volonté d’un Macky Sall de me savoir hors d’état de nuire, assiégé qu’il était par mes attaques sur ses crimes électoraux, les milliards qu’il a volés sur des projets que je sais dont un initié par mes soins pour mon pays, et un zeste de jalousie longtemps couvé dans des réduits professionnels et sociétaux que je n’imaginais pas, vivaient en ces instants leur heure de gloire.
Ces souvenirs refluaient dans ma tête pour n’être interrompus que par le strident bruit aussi répétitif que bruyant de la lourde glissière d’un fer rouillé de la porte de la chambre suivi par une succession d’appels surgis de la voix de stentor de Dabo, le Chef de chambre, vieux détenu s’il en est, qui a déjà purgé 18 ans de vie carcérale et en est à son second séjour.
La porte s’ouvre. Et comme un troupeau de moutons apeurés par la vue d’un loup, un rush désordonné s’engage pendant qu’en berger, Amath, adjoint de Dabo, demande aux retardataires de sortir pour sacrifier au décompte rituel des prisonniers.
M’étant couché à l’entrée de la chambre, je suis l’un des premiers à me retrouver dehors. Cela tombe bien : Debout dans ce couloir qui donne une vue complète de la principale cour de cette prison vieille de 100 ans, héritage de la colonisation, je vois surgir des différentes chambres, dans une odeur pestilentielle montante, des grappes d’hommes avançant comme des zombies, au point de me rappeler le film Thriller de Michael Jackson.
Je commence à compter le nombre de personnes qui sortent de la chambre 2, celle qui fait face, portière en diagonale, à la 1, et, malgré l’exiguïté de la pièce, j’ai failli tomber des nues : 215 personnes pour un espace qui ne devrait pas en contenir une dizaine.
Bientôt, en quelques-minutes, le couloir est, pour ainsi dire, noir de monde. Tous sont accroupis. Seuls sont debout les gardes pénitentiaires chargés, à raison d’un par chambre, de les compter avec l’aide d’un des détenus employés pour de telles tâches supplétives.
Je m’agenouille puisque c’est la règle. L’objet est d’écraser le prisonnier. De le réduire à rien. De l’humilier.
Un à un, les noms sont égrenés et le mien arrive. Je réponds avec un vigoureux présent autant de respect que de volonté de prouver que je me mets dans la peau voulue par mes ravisseurs : un prisonnier de droit commun, privé des droits politiques pourtant à l’origine de ma présence ici.
Autant le couloir s’était vite rempli, autant il s’est aussitôt vidé dès que les décomptes sont terminés. Et dans une harmonie fracassante, les bruits de serrure se referment sur les détenus de retour dans leurs chambres respectives.
Nouvelle demeure
Les rayons de soleil ont déjà commencé à y pénétrer. Mes yeux divaguent et découvrent la configuration de ma nouvelle demeure. En dehors du couloir d’entrée, encadré par deux dalles en béton armé, puis d’un lot de nattes placées au centre, dans ce qui aurait pu être un espace de promenade, deux autres dalles sont fixées au fond de la pièce avec de mini-lits dessus. Je dévisage les occupants des différents espaces.
C’est un monde bigarré qui a passé la nuit avec moi. Il y a un chef d’entreprise opérant au port arrêté pour abus de confiance, comme l’est son voisin, un gringalet, diplômé de sciences économiques et qui se présente en Administrateur de société. Non loin d’eux, venu avec moi de la cave de Rebeuss, un professeur de l’Ecole polytechnique de Dakar, soupçonné d’être de mèche avec un opposant traqué par le régime. Je découvrirai plus tard que la prison compte parmi ses pensionnaires de nombreuses élites intellectuelles, comme ce diplômé d’ingénierie financière, cet ingénieur en génie civil ou encore ce professeur à la retraite en sciences économiques. Ils sont là, en train de rôtir, lâchés par une société qui ne réalise par la perte de valeur, en coûts d’opportunités, que leur détention occasionne.
Il y a aussi les trafiquants de drogue. Beaucoup sont des nigérians, suivis de près, en nombre croissants par des sénégalais (impliqués dans de gros scandales) et des maliens. De violents détenus aussi. Dont un as du couteau qui en est à sa troisième arrestation pour avoir embouché dans une bagarre d’affaires ses compagnons. Ou encore ce fou, taille élancée, qui se flatte d’avoir tué un homme parce qu’une voix intérieure la lui avait dicté. Au fond de la pièce, un autre assassin ayant perdu la raison. Il soliloque à tout bout de champ. Est-il guéri ? Nul ne le sait. Pourquoi n’est-il pas amené à l’hôpital psychiatrique pour y être soigné ?

Puisqu’aucun membre de l’administration pénitentiaire n’a jamais mis les pieds dans la chambre pendant mon séjour, ne serait-ce que pour s’enquérir de la situation en prévalence, je me dis : c’est le cadet de leurs soucis.
Entre ce trafiquant d’ivoire, Amara Chérif, pour ne pas le nommer, qui sera extradé plus tard aux USA, ces faussaires, spécialistes dans le trafic de visas ou de pièces d’identité, ce détenu lié à la tuerie de Boffa Bayotte en Casamance contre des forestiers, ou encore ces agresseurs qui écumaient la corniche pour se cacher ensuite dans le cimetière voisin, sans oublier ce marabout d’une grande lignée ou cet homosexuel, qui l’est devenu à l’intérieur de la prison, qui se vante d’avoir pour père un ingénieur de son, on ne compte plus les cas de figure concentrés dans chacune des chambres de la prison.
Pendant que je tente de le lister, en y intégrant les pensionnaires qui font la UNE des journaux, notamment le maire déchu de Dakar, Khalifa Sall et ses compagnons, retenus, selon la justice, pour malversations financières, les vedettes qui ont été chantés par de grandes voix de la musique sénégalaise, le temps s’écoule plus vite que je ne le réalise.*
«Mbourrou, Mbourrou, Mbourrou », pain, pain, pain, s’époumone, en frimant, l’un des employés de la prison pour signaler que l’heure du petit déjeuner est arrivée. Il dépose un sac rempli de petits pains qui servent aussi de méthode de décompte des détenus dans chaque chambre. Un seau de lait chaud est à côté.
Il faut cependant que le garde pénitentiaire placé non loin vienne ouvrir pour que le chargé de la distribution des paquets petits déjeuners puisse s’atteler à sa mission. Dans la chambre 1, cette tâche incombe à Diedhiou, un de Boffa Bayotte. De son wolof débrouillé, quand j’eus gagné sa confiance, il m’expliquera n’avoir rien fait, récusant sa participation à toute tuerie. Gros et sympathique gaillard, d’une noirceur d’ébène, il est serviable. Chaque nuit, il offre ses services pour laver les habits de ses voisins contre une modique rémunération. C’est un bon père de famille. Les revenus qu’il tire de ses activités commerçantes à l’intérieur de la prison sont envoyés à ses deux épouses restées au village.
Chaque matin, j’ai pris l’habitude de lui demander de me remplir ma tasse d’un café fort qu’il sait devoir me servir sans sucre.
En ces instants où toute la communauté recharge ses batteries, un silence entendu règne. Comme s’il s’agissait d’observer un moment de respect vis-à-vis du repas…
Privation de libertés
Il est bientôt 9 heures du matin. Et à nouveau, un garde est venu sonner avec vigueur, forçant le groupe à un sursaut instinctif, avant que ne s’en suive un nouveau rush vers la porte qui s’est ouverte. Une fois par matin ou à 15 heures les après-midis, alternativement, c’est le temps de la pause où les prisonniers ont le loisir de sortir se dégourdir les jambes dans la cour et les autres endroits désignés de la prison.
Je réalise à cet instant combien la prison est privation de libertés, pas seulement physique. Comment du jour au lendemain, je n’ai plus le droit de tenir une clé, d’ouvrir ni de fermer une porte, étant contraint de dépendre du bon vouloir, pour ne pas dire des caprices des gardes qui semblent avoir reçu comme consigne de traîner et de frustrer autant que possibles les détenus que nous sommes.
En ce matin du 1er Août 2019, il n’est pas question que je boude le plaisir de pouvoir détendre mes jambes, d’humer l’air de la cour et de faire connaissance avec le Rebeuss-Intra-Muros.
Dès que je sors, une voix rauque, menaçante, debout derrière des barreaux, un malabar, poitrine velue, à peine recouverte par un léger sous-vêtement, m’interpelle : « donne-moi ta belle chemise lin que tu portes » ! Il est mal tombé. D’humeur peu communicative, je lui réponds lapidairement : « je ne suis pas venu ici pour distribuer des habits ».
Il a raté sa tentative d’intimidation. Plus jamais, tout mon séjour, il n’osera me regarder même lorsque nous nous croisions dans la cour de la prison.
Me voici dans la cour. Autant les chambres carcérales ne tiennent pas sur des longueurs de moins de quinze mètres autant la cour, étroite, large d’à peine 5 mètres s’étend sur 60 mètres. Devant la porte de la chambre 1, mon regard se tourne instinctivement vers le ciel. Des éperviers, libres, le taquinent. La vue de l’océan Atlantique a disparu. Un mirador est sur la terrasse surplombant la cour. Deux gardes, armes en évidence, y patrouillent. Au loin, seul un immeuble externe peut sembler avoir une vue imprenable sur la cour de la prison.
En dépassant la chambre 2 puis, accolée à la 1, la 9, je vois une série de sièges en fer. C’est ici que les prisonniers attendent leur tour de visite quand parents et amis viennent les voir dans un parloir aménagé à l’autre bout, dans un autre couloir situé vers l’entrée de la prison. Chaque visiteur n’a que 3 minutes pour hurler, décrypter, le message respectif qu’il a avec l’hôte qu’il vient voir. Derrière ces sièges, un dessin mural retient mon attention. Le visage m’est connu. Le sourire qui le barre est devenu planétaire.
«Lampe », un fier Baye Fall, artiste dans l’âme, s’approche, et se présente. «C’est mon œuvre », me dit-il. Il a raison d’être fier. L’image qu’il a admirablement réussie est celle du plus célèbre prisonnier de tous les temps : Nelson Mandela.
«Ma fille vient de réussir sa deuxième année d’université », me glisse l’auteur. C’est, avec ses dessins, sa raison de vivre. Je le comprends mais en cet instant précis, ce qui fait monter mon adrénaline, c’est le message qui accompagne son œuvre. Il s’agit d’une citation de Mandela. L’homme qui a passé 27 ans de sa vie en prison sait de quoi il parle en affirmant, en direction des détenus qui passe chaque jour devant son minois. «Ce n’est que votre chair qui est retenu, votre esprit est libre ».
Ce viatique sera mon dopage quotidien. L’ayant intégré, je continue mon tour du nouveau « propriétaire », et je m’engouffre dans une porte qui débouche sur ce qu’on appelle à Rebeuss le Service Social. La porte est alignée avec les chambres 1 et 9 mais donne sur une mini cour où, outre le service social, se trouvent la bibliothèque, un espace pour téléphoner et les coiffeurs…
En ce premier matin, je dois faire certaines formalités. Un homme en civil tient un discours de bienvenue. Je le prends pour un employé. Il s’appelle Matar. Il expliquera que tous les gens que l’on croise dans la prison sont des détenus même s’ils sont ses employés. Un activiste, Ibrahima W, sans doute habitué à alpaguer les détenus aisés pour les « traire » s’excite à ma vue. Il m’offre un siège. Plus tard, il me proposera des chaussures en plastique pour prendre ma douche et me promener avec. Il me raconte comment la plupart des grandes gueules de l’opposition sénégalaise qui ont été ici ont versé des larmes quand il s’agissait de les raser.
Je suis zen. Ferme. Je fais les formalités d’enregistrement et me fais dire que pour mes appels téléphoniques, je dois spécifiquement les faire dans une pièce spécifique tenue par deux sympathiques adjudants et deux garçons, dont l’un toujours habillé comme un lord, lunettes noires masquant son regard, comme assistants.
Je me hasarde à lui demander un café. Il en rit. En réalité, et je l’apprendrai, nul n’est ici pour aider qui que ce soit. C’est la débrouille. J’apprends vite.
Refonder notre pays
J’ai surtout compris qu’en me désignant un lieu pour téléphoner, mes geôliers veulent m’espionner. Cela tombe bien. J’ai des messages à leur faire passer. Chaque coup de téléphone est un moment pour exprimer ma détermination, refuser tout compromis, toute médiation, annoncer une grève de la faim, une lettre au G7, demander à mes enfants de préparer à New York une grève de la faim en marge de l’assemblée générale de l’ONU en compagnie de leur maman, qui fut longtemps, le bras droit du Secrétaire général de l’organisation ou encore d’aller faire une grève de la faim devant la maison blanche à Washington.
La prison tremble de mes pas. Chaque fois que je passe devant les gardes, visage fermé, je les sens secoués, et le livre de 500 pages sur la Chine par Alain Peyrefitte que je tiens en évidence est pour leur rappeler que le quotient intellectuel est le plus bas au sein de l’administration sénégalaise.
J’ai fini de voir la cour du service social et je me dirige maintenant au fond de la prison dans un espace aéré qu’on rejoint après avoir dépassé un hangar rempli de matous, des fauves qui rêvent de proie mais retenues par des consignes.
La cour aérée est surplombée par des chambres plus avenantes et se trouve proche des autres chambres de luxe qui sont bizarrement réservées aux criminels à col blanc, les auteurs de malversations financières, fabricants de faux billets de banque ou encore aux trafiquants de drogue.
Cette cour est celle des sports. Dès qu’on s’en approche, on entend les hurlements, les cris, les tirs et les balles de basket ou football qui rebondissent sur le parquet ou les murs. Le trop-plein d’énergie est déployé par des jeunes qui semblent avoir trouvé ici leur graal. Plus rien ne compte à leurs yeux. Comme s’ils pensaient pouvoir engager une carrière sportive une fois sortis de prison.
Nombre d’entre-eux ne craignent pas de se blesser en jouant. Ils savent qu’à l’entrée de la prison, un service d’infirmerie a de quoi soigner les bobos légers.
Dans la cour, pendant qu’ils sont pris par leurs rêves sportifs, les candidats du moindre effort, s’occupent du mieux qu’ils peuvent, qui pour se regrouper autour d’une théière, qui pour jouer à la belotte, qui pour s’acheter, à la boutique de la prison, située à côté, cigarettes ou boissons non alcoolisées, ou encore pour concocter des plans pas toujours catholiques…
Il faut avoir l’œil fin pour comprendre que derrière cette atmosphère bon enfant se cachent parfois, voire souvent, de grands bandits qui ne reculent devant rien pour préparer leur prochain coup. Ils ont démythifié la prison.
C’est le paradoxe de Rebeuss. Ce qui devait être un lieu de redressement carcéral n’est plus qu’une charade. La mine patibulaire des gardes et les longues peines servies à satiété n’y font rien.
Désormais, Rebeuss n’est plus que le symbole d’un Etat injuste, inéquitable. L’incarnation d’un Etat terroriste. Bienvenue en Sénédaeschie !
Chaque jour que je traverse ces espaces, mes pensées vont vers la nécessité de refonder notre pays. Comment ne pas y penser en voyant ces gardes pénitentiaires dont certains ont torturé la nuit, jusqu’à la mort des détenus, déchets d’une société malade qui ne se donne pas les moyens de rattraper ses errements ?
L’un d’eux affiche fièrement son titre romantique : Kor Daba, chéri de Daba. Dans le quotidien, il se fait appeler Hitler !
Ils sont nombreux ainsi à participer à ce bout de la chaîne de contre-valeurs d’un système judiciaire et sécuritaire ayant perdu la tête.
C’est en vertu de cette déperdition qu’un avocat faussaire, Malick Sall, dont le pedigree est fait de mensonges faciles à vérifier, ou qu’un président illégitime du Sénégal, Macky Sall, l’un et l’autre tentés par un ethnicisme génocidaire, sur fond de dévoiement de la norme démocratique, ont pu se permettre illégalement de prendre en otage le citoyen indemne de tout crime que j’étais pour lui infliger un traitement de chien pendant que le peuple, irresponsable, lâche, laissait faire.
Comment ne pas voir en Rebeuss, malgré la nécessité de services de détention carcérale pour punir les contrevenants à l’ordre social, un simple cadre d’expression de l’état de non-droit que le Sénégal est : de ses 37 prisons engorgées avec plus de 8000 détenus, dont 3000 à Rebeuss qui ne devrait en compter pas plus de 600, au reste de son corps social en déconfiture ?
En réfléchissant à la destruction morale et humaine dont elle est l’un des sièges, Rebeuss n’est plus qu’une vaste fabrique de régression sociale.
Même le sourire et le professionnalisme de certains services qui soulagent les malheurs de ses pensionnaires, comme celui de l’infirmerie, avec le très disponible Bamba Fall, infirmier salué de tous, ne suffisent pas à sauver l’image d’un des symboles de l’Etat de droit en décomposition accélérée –et Rebeuss en cela traduit la marche à reculons du Sénégal.
Adama Gaye, Exilé au Caire est auteur de : Otage d’un Etat (Editions l’Harmattan, Paris)
Ancien détenu arbitraire et illégal du Sénégal pour l’empêcher d’exercer ses droits constitutionnels contre un président criminel et sa camarilla d’escrocs ayant pris en otage le Sénégal….
Prochain épisode :
De mon mirador
Rebeuss : Une fabrique de

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