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vendredi, avril 19, 2024
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Quel avenir politique pour Aminata Touré ?

par pierre Dieme

Ibou Sané de l’Ucad, Bacary Domingo Mané, journaliste Moussa Diaw évoquent sur le cas de l’ancienne Première ministre après son divorce avec la majorité présidentielle

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Le divorce est définitivement acté entre Madame Aminata Touré et la coalition Benno Bokk Yaakar. L’ancien Premier ministre a officialisé la séparation dimanche dernier au cours d’une conférence de presse. Lors de ce face à face avec les journalistes, l’ancienne Présidente du Conseil Economique Social et Environnemental (Cese) a précisé qu’elle compte rester à l’Assemblée nationale en tant que député noninscrit « pour défendre exclusivement les intérêts du peuple ». Ceci, après s’être considérée trahie par le président de la République pour la désignation du poste de président de l’Assemblée nationale qui a finalement échu au candidat de son épouse Amadou Mame Diop. Ce au détriment de la tête de liste Benno Bokk Yaakar (BBY) lors des dernières législatives. Aminata Touré a déclaré sa volonté de prendre son destin en main tout en continuant de combattre la question du troisième mandat. Elle s’est ainsi lancée dans la bataille de la présidentielle de 2024. Mais, malgré sa trajectoire politique honorable, Mme Touré a-t-elle les moyens de sa politique ? Que gagnerait-elle en défiant le régime dont elle était un des piliers jusque-là ? A-t-elle tiré les leçons des expériences de femmes leaders qui se sont fondues politiquement dans la nature en voulant aller à l’assaut du fauteuil présidentiel ?

Le professeur en sciences juridiques et politiques à la Faculté de droit de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Ibou Sané, ne voit pas Aminata Touré faire une carrière politique après son départ de la mouvance présidentielle. A en croire le chercheur, créer un parti politique et le faire figurer en bonne place dans le champ politique demande de gros moyens. Il doute que l’ancienne Première ministre puisse arriver à cela. Elle aurait d’autant moins de chances d’y parvenir que, d’après l’enseignant-chercheur à l’Ucad, tous ceux qui ont créé des partis politiques au Sénégal se sont par la suite rangés dans des coalitions. « Déjà, il y a une pléthore de partis politiques au Sénégal. Il faut qu’elle ait les reins solides, une base politique pour parvenir à s’imposer. Aminata Touré n’a pas tiré les leçons des expériences d’autres femmes leaders comme Amsatou Sidibé, Aïssata Tall Sall ou encore Mariam Wane Ly qui ont été les pionnières en la matière. Mais elles ont fini où ? Mimi est partie sur un coup de tête. Elle est fâchée parce que tout simplement elle voulait coûte que coûte être présidente de l’Assemblée nationale. Elle voulait aussi, demain, être le numéro 2 de l’Apr pour se présenter à l’élection présidentielle », explique Pr Ibou Sané. Selon l’analyste, les mentalités et les schémas des Sénégalais n’intègrent pas encore le fait qu’une femme puisse être présidente de la République. C’est en raison de tous ces facteurs que ça va être très compliqué pour Mme Aminata Touré » pronostique le Pr Ibou Sané de la Fac de droit de l’Université Cheikh Anta Diop.

« Aminata Touré a manqué de la patience…Elle est allée très vite en besogne » Pr Ibou Sané de l’Ucad

D’après le juriste et politologue, la question du troisième mandat est un prétexte saisi par la désormais «bannie » de l’Apr pour justifier son départ de la majorité présidentielle. Selon lui, Aminata Touré sait que tout le monde cogne sur la question du troisième mandat. Mieux, elle sait très bien que l’opposition en fait son cheval de bataille de même que la société civile. «Aminata Touré a commis une erreur stratégique en politique. Parce qu’elle pense qu’à partir du moment où elle a été désignée tête de liste, naturellement, elle devait être présidente de l’Assemblée nationale. On a vu des cas de jurisprudence. On a vu Boune Abdallah Dione qui avait battu campagne pour le camp de la majorité et qui, à l’arrivée, a vu Moustapha Niass être désigné au Perchoir. Tant que vous n’avez pas l’aval de l’ensemble des députés, ne prenez pas le risque de déposer votre candidature contre le président de l’Assemblée nationale. Il faut que ceux qui vous portent soient d’accord avec vous » dit Ibou Sané.

Selon qui Aminata Touré n’est pas plus méritante que les autres députés qui ont gagné dans les départements. « Il y a d’autres qui ont le même parcours qu’elle. Il ne faut pas croire que le patron du parti vous impose par force. Il faut de la base en politique. Aminata Touré a été battue à Grand Yoff et à Kaolack. C’est comme un joueur de football qui veut coute que coute être désigné capitaine de son équipe. A partir du moment où Aminata Touré n’a pas été désignée par le chef de sa coalition politique, elle devait se taire et se battre à l’intérieur du parti pour que demain, si le président de la République n’est pas candidat, elle puisse avoir des chances d’être désignée. Dans la vie si on ne se bat pas, on n’a rien. Si elle va dans l’opposition, elle va être en contradiction avec elle-même. Elle ne va pas s’en sortir comme ça. Parce qu’elle avait tiré à boulets rouges sur l’opposition. Si elle part seule aussi, elle n’aura pas les moyens de sa politique. Il faut qu’elle tire l’expérience des autres femmes qui ont voulu aller seules » développe l’enseignant-chercheur à la Faculté de droit de l’Ucad, Pr Ibou Sané.

BACARY DOMINGO MANÉ, JOURNALISTE ET ANALYSTE POLITIQUE : « La question du troisième mandat a été une bonne stratégie pour Mimi de gagner la sympathie des Sénégalais »

Adulée par une bonne partie des militants après son départ de la majorité présidentielle, l’ancienne présidente du Conseil économique, social et environnemental est handicapée par le fait de ne pas disposer d’une bonne base politique. Sa bravade peut constituer un couteau à double tranchant, selon le journaliste et analyste Bacary Domingo Mané. Ce étant donné qu’il est important de clarifier sa position en politique. En affichant clairement et publiquement sa position contre la question du troisième mandat, Aminata Touré a opté pour une bonne stratégie pouvant lui permettre de gagner l’estime et l’affection des Sénégalais. quand on est dans l’opposition, il y a un discours à tenir. Or, aujourd’hui, les Sénégalais, dans leur majorité, sont unanimes à reconnaitre que, du point de vue de la Constitution, le président de la République ne peut pas faire un troisième mandat. Je pense que Mimi déroule une stratégie qui permet de mobiliser autour de ce combat-là. Elle sait que si elle agite cette question il y a beaucoup de sénégalais qui vont l’écouter. Parce qu’elle va dans le sens de la majorité. C’est ce que j’appelle, disons, ce positionnement-là » explique Bacary Domingo Mané. En clair, selon notre interlocuteur, tout a été calculé par Aminata Touré et la question du troisième mandat n’est pas fortuite. « Elle aurait dû prendre un autre thème, mais ça n’aurait pas été forcément un thème mobilisateur. En revanche, le troisième mandat mobilise et ça permet d’être au-devant de la scène politique. C’est clair et net que cette bravade lui profite. Parce qu’au Sénégal, on aime se solidariser avec les victimes. Et dans cette affaire-là, la plupart des Sénégalais pensent que Mimi Touré est victime. Du coup, elle gagne leur sympathie. Parce qu’ayant conduit la liste de Benno Bokk Yaakaar, elle n’a pas été récompensée à la hauteur de son engagement et de ses sacrifices.

Un impératif pour Mimi, conforter sa position politique

Selon le journaliste, Mimi Touré ne s’est pas lancée dans un terrain inconnu car ayant dirigé des campagnes électorales pour le président de la République. « Parce qu’on l’a vue depuis 2012, début de son compagnonnage avec Macky Sall, où elle était à l’ombre de son mentor politique. Cette fois-ci, elle a décidé de faire cavalier seul, de se frayer son propre chemin. Elle se libère de l’étreinte de Macky Sall. Aujourd’hui, elle est devenue une femme libre. Ça, c’est très important pour elle. Elle va essayer de conforter sa position au sein de l’opposition par ses prises de positions. Je ne serai pas étonné qu’elle noue des alliances au sein de l’Assemblée nationale sur des questions cruciales concernant le pays avec les gens de Yewwi ou de Wallu », s’avance prudemment Bakary Domingo Mané. D’après l’ancien journaliste à « Sud quotidien », Mme Aminata Touré doit tout mettre en œuvre pour obtenir la base politique qui lui manque tant après son départ du camp de la majorité. « quoiqu’on dise, il y a des partisans de Mimi Touré à Kaolack et aussi des partisans de Mimi à Grand Yoff où elle a essayé de creuser son sillon. Certainement qu’elle va peut-être commencer à faire des tournées, à installer des comités dans les quartiers, dans les départements, dans les régions. Un parti, c’est avant tout l’implantation », a détaillé Bacary Domingo Mané.

PR MOUSSA DIAW (UGB) : «Le pouvoir ne lui fera pas de cadeaux»

Loin de s’arc-bouter sur l’expérience politique de l’ancienne Envoyée spéciale du président Macky Sall, l’enseignant- chercheur en sciences politiques à l’Université Gaston Berger (UGB) de Saint-Louis, Pr Moussa Diaw, est d’avis que les choses ne seront pas faciles pour elle. Aminata Touré aura du travail à faire pour conforter sa position dans le champ politique national. « Elle est en conflit avec le chef de la majorité qui est le président Macky Sall. Apparemment, le pacte qu’ils avaient signé n’a pas été respecté. Et donc, elle en a tiré des leçons et décidé de quitter la coalition Benno Bokk Yaakar pour aller s’inscrire dans le groupe des non-inscrits. C’est d’abord une rupture avec la majorité. Un bras de fer qui va s’instaurer. Elle va se retrouver en position de faiblesse. Parce que, d’abord, elle n’a pas de base politique. Elle n’a pas beaucoup de soutiens. Elle se trouve dans une situation d’isolement par rapport à la majorité. Etant donné qu’elle a indiqué qu’elle n’est pas dans l’opposition, elle pourra siéger aux côtés des trois autres députés non-inscrits à l’Assemblée nationale. Politiquement c’est trop risqué » explique Pr Moussa Diaw.

Selon toujours l’enseignant-chercheur à l’UGB, rien n’est encore joué dans la nouvelle configuration politique. Grande artisane de la collecte des parrainages de Benno Bokk Yaakaar, Aminata Touré a un défi à relever après son départ de Benno. Ce ne sera pas une mince affaire, selon Moussa Diaw. « Dans le même temps, elle a annoncé ses prétentions pour la présidentielle de 2024. Ce qui va constituer également un autre défi à relever pour quelqu’un qui a beaucoup d’adversaires au niveau de son camp et qui ne lui feront pas de cadeaux. Elle se trouve dans cette situation. Elle n’est pas dans la majorité, donc elle ne peut être que dans l’opposition. Mais elle ne peut pas intégrer la coalition de l’opposition parce qu’on a vu comment elle s’était comportée à l’égard de certains leaders de l’opposition. Elle est dans une posture très difficile même si elle est considérée comme une femme leader compétente. Cela ne suffit pas. Comment va-t-elle gérer la situation présente ? C’est l’énigme. Comment va-t-elle se positionner ? Est-ce que ses camarades vont la laisser en paix ? »

Autant de questions que se pose le politologue. Il estime que, pour Mimi, l’enjeu est d’abord qu’elle survive politiquement. Ensuite, qu’elle pense à comment s’organiser pour mener le combat des prochaines échéances électorales. Dans tous les cas, c’est clair dans sa tête que « maintenant, elle ne peut plus faire marche arrière. Elle est obligée d’adopter une stratégie de survie politique. Elle a choisi la troisième voie. Elle est ni avec la majorité ni avec l’opposition. Elle part en fonction de ce qu’elle pense être meilleure pour les Sénégalais et qui correspond justement à ses principes. Mimi Touré a déjà eu des titres de Premier ministre, présidente de Cese et ministre de la Justice. Puis elle a eu à diriger des campagnes pour le président de la République. Au niveau de sa trajectoire, elle a exercé un certain nombre de responsabilités, ce qui devrait lui permettre de conforter sa position politiquement. Le problème est qu’on est dans un paysage politique où il y a opposition et majorité. Elle est dans une posture difficile. Difficile parce qu’elle n’a pas de base et de soutiens manifestes de la part de ses camarades de parti. Ce même si elle dit qu’elle prendra contact avec les Sénégalais pour pouvoir conforter sa position politique », a conclu le professeur en sciences politiques à l’Ugb, Moussa Diaw.

Silèye MBODJI 

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