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Quatorze morts , zéro coupable

par pierre Dieme
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« Quand l’impunité règne pernicieusement, l’insécurités’installe dangereusement. »

Aujourd’hui, notre pays, ce Sénégal que nous aimons tant, vit des moments sombres voire tragiques de son histoire. Il est à la croisée des chemins pour utiliser une expression consacrée. Les boussoles qui nous orientaient, semblent toutes déréglées et les références axiologiques qui constituaient nos ancrages de vie sont toutes brouillées avec des attitudes et des comportements en net et total déphasage par rapport à ce qui, naguère, nous permettait d’avoir une vie sociale harmonieuse. Pour l’heure, le débat public est cannibalisé et pollué par une série de scandales gravissimes qui nous amènent à nous poser des questions sur notre avenir et notre devenir. C’est d’autant plus inquiétant que les déviances et les écarts de conduite constatés sont le fait de ceux-là qui, aujourd’hui, président à nos destinées ou sont censés nous représenter. Mais plus grave, nous assistons, quasi impuissants, à un phénomène dangereux et très pernicieux qui, à terme pourrait fondamentalement remettre à cause la paix sociale ; il s’agit de l’impunité.

Nous sommes dans un pays ou mourir des suites d’une agression commise par de simples citoyens ou de traitements violents infligés par les forces de sécurité, relève d’une désolante banalité à mettre dans le registre des faits divers, le plus souvent classés sans suite. En clair, nous assistons à une forme d’impunité généralisée encouragée par les plus hautes autorités du pays Le Président de la République n’a-t-il pas déclaré qu’il a placé sous son coude plusieurs dossiers qui auraient dû se retrouver chez le procureur de la république ? Cela s’appelle obstruction à la justice ou recel de malfaiteurs. Ce même président n’a-t-il pas affirmé, sans gêne aucune, qu’il y a des citoyens intouchables qui doivent être soustraits de toute poursuite judiciaire, épargnés de toute punition quelle que puisse la gravité de la forfaiture. Peut-il y avoir meilleure forme d’encouragement à l’impunité que de tenir un tel discours de la part de l’autorité morale censée incarner les valeurs éthiques et morales de tout un peuple ?

Tout ceci est la résultante d’un magistère catastrophique, erratique, d’une incompétence, d’une incapacité, d’une incurie et d’une impéritie notoires. C’est aussi la marque d’une gouvernance sans vision caractérisée par des pratiques malsaines que j’ai eu à déplorer et à dénoncer dans une contribution en date du 13 juin 2020 intitulée « Le Sénégal malade de la perversion des principes républicains et de la déliquescence morale de ses dirigeants. » Ce texte m’avait valu d’être convoqué à la Division des investigations criminelles le dimanche 21 juin. A l’issue de mon audition, les charges suivantes ont été retenues à mon encontre :-1 offense au chef de l’Etat-2 diffusion de fausses nouvelles-3 actes et manœuvres de nature à porter atteinte à la crédibilité des institutions. Aujourd’hui, avec tout ce qui se déroule sous nos yeux, les faits me donnent totalement raison, notamment ce gros et scabreux scandale portant sur un trafic de passeports diplomatiques dont les auteurs sont de véritables adeptes du « njucc-njacc ».  Ces agissements sont d’autant plus inconcevables, inadmissibles, intolérables et indécents qu’ils impliquent des députés, des prétendus représentants du peuple dont ils sont chargés de défendre les intérêts.

Devrait-on être surpris du comportement exécrable de nos deux députés incriminés ? Que nenni. Ils ont de qui tenir ; n’ont-ils pas été désignés pour siéger à l’assemblée nationale par leur mentor, le président de la coalition présidentielle, celui la même qui a déclaré et reconnu devant ses compatriotes qu’il se livrait au « njucc-njacc », c’est è dire à la magouille. Quand le maitre verse dans la pratique exécrable, malsaine et dégueulasse de la magouille, les affidés ne peuvent qu’y exceller ; c’est ce qui explique cette frénésie des tenants du pouvoir à voler, à commettre des détournements de deniers publics et toutes sortes de malversations avec l’assurance de toujours s’en tirer à très bon compte. Les deux incriminés ne sont que des lampistes, d’autres élus sont impliqués et une enquête sérieuse, objective et exhaustive impliquera des personnalités au-dessus de tout soupçon. C’est un scandale qui comporte un très large spectre de complicités et qui éclaboussera le ministère des affaires étrangères ainsi que la présidence de la république. A quel niveau, on ne saurait le dire pour l’instant.

Le Président de la république est le principal responsable de cette honte qui s’abat sur notre assemblée nationale avec une baisse notoire de notre crédibilité sur le plan international. C’est lui le Président qui a désigné tous les députés de sa coalition siégeant présentement à l’hémicycle et qui constituent un véritable troupeau de moutons de panurge dont il est le berger, un ramassis de plaisantins, de coquins, de pantins et de larbins soumis à sa totale dévotion.

On peut sans transition particulière évoquer le problème de l’impunité ; un phénomène pernicieux et dangereux que l’on observe dans beaucoup de situations où il y a mort d’homme. Il n’est pas question des cas ou des citoyens trouvent la mort lors d’agressions ou de rixes ; en effet, dans ces cas on constate un taux d’élucidation très satisfaisant à mettre à l’actif de la Police et de la Gendarmerie. Ce qui pourrait dire en clair que ce n’est point une difficulté majeure pour la Police et la Gendarmerie d’appréhender les auteurs de crimes, notamment de meurtres. Alors pourquoi, les meurtres dans les quels sont impliquées les forces de sécurité ne sont jamais élucidés, pourquoi restentt-ils impunis ? Il y a une longue série de morts d’hommes enregistrés soit lors d’enquêtes judiciaires, notamment pendant la garde à vue soit lors d’interventions pour contenir des manifestations ; et il est rare qu’on puisse situer les responsabilités et identifier les coupables. Il n’est que se référer aux douloureux événements du mois de mars ou en quarante-huit heures quatorze jeunes Sénégalais ont trouvé la mort dans des circonstances non encore éclaircies, alors qu’il  y a eu des images nettes, claires et précises qui ne laissaient aucun doute sur les auteurs de certains de ces meurtres.

C’est le lieu d’évoquer, avec amertume, désolation et tristesse cette pénible image d’un policier descendu d’un véhicule pour se mettre en position de tir et viser un jeune manifestant qui s’est aussitôt affalé sur le sol tenant le drapeau national. Ce jeune homme n’avait commis aucun crime, aucun délit sinon que d’avoir brandit le drapeau national pour revendiquer ses droits constitutionnels. Pour ce cas d’espèce, l’auteur aurait pu être identifié facilement et appréhendé ; ses collègues auraient dû le dénoncer. On peut facilement comprendre que des individus appartenant à une même entité puissent se soutenir, s’entre aider ; c’est ce que l’on appelle l’esprit de corps. Cet esprit de corps induit nécessairement et légitimement l’esprit de solidarité.  Seulement, cette solidarité ne doit pas être aveugle au point de manquer d’objectivité et d’empêcher qu’éclate la vérité ; la vérité qui irrigue l’esprit de justice. Aujourd’hui, si la réconciliation nationale a pu être réalisée en Afrique du sud, c’est parce que justice a été faite ; et si la justice a été faite, c’est tout simplement parce que la vérité a été dite.  

Ce qu’il faut éviter, c’est de mettre tous ces morts sue le compte exclusif des agissements des forces de sécurité, ce serait trop tendancieux. Ceci dit, tous ces cas, notamment, ceux intervenus au mois de mars, auraient pu être élucidés facilement dans le cadre d’enquêtes judiciaires sérieuses, objectives et exhaustives. Avec un taux d’élucidation des meurtres de l’ordre de 90% notre Police nationale et notre Gendarmerie nationale ont montré à suffisance leurs compétences, leur expertise et leur efficacité pour retrouver les auteurs de meurtres. Pour calmer l’opinion nationale et rassurer celle internationale, les autorités gouvernementales avaient annoncé la création d’une commission d’enquête qui comprendrait des membres de la société civile et de l’opposition. C’était un simple effet d’annonce spécieux qui ne connaitra aucun début d’exécution.. Cela entre dans le stratagème éculé de l’Etat d’enterrer les affaires gênantes qui mettent à nu ses carences et ses responsabilités. Le Gouvernement n’a aucune intention ni la volonté de faire la lumière sur ces meurtres du mois de mars 2021 qui risquent de passer par pertes et profits au grand dam des Sénégalais qui nourrissaient beaucoup d’espoir de voir justice faite aux victimes.

Ainsi, quatorze jeunes Sénégalais auront été tués sans qu’un seul coupable ne puisse être désigné ! C’est scandaleux. On a la très désagréable impression qu’il y a une dynamique macbre qui accompagne le magistère du Président Macky Sall. Il a fallu enregistrer une quinzaine de morts pour qu’il accède au pouvoir, tout récemment, au plein milieu de son magistère, une quinzaine de jeunes compatriotes ont été tués ; peut-être que demain, quand il voudra faire un forcing pour une troisième candidature, d’autres Sénégalais tomberont sur le champ d’honneur de la contestation pour que notre constitution ne soit point violée. Le Président Macky Sall se rend-il compte de ce lourd passif macabre ? Comment arrive-t-il à dormir du sommeil du juste avec autant de morts, peut-être pas sur sa conscience, mais à tout le moins, en mémoire ?

Quant aux forces de l’ordre, elles devraient elles-mêmes refuser que leurs actions et autres interventions, le plus souvent très délicates, il faut le reconnaitre, soient toujours ponctuées par des morts d’hommes. Et, si par malheur cela arrivait, il leur appartient de faire en sorte que les responsabilités soient situées et que les auteurs soient soumis aux sanctions prévues par la loi.  Elles ne doivent pas tolérer encore accepter  en leur sein des francs-tireurs et des snipers ou tous autres éléments à même de ternir leur image. Elles doivent être en quête permanente de bonification de leurs actions, d’amélioration de leurs protocoles d’intervention et d’humanisation de leurs  rapports avec les populations qu’elles sont censées servir. Une telle dynamique de performance, une telle orientation stratégique les rapprocheraient davantage de celles-ci et augmenteraient l’indice de confiance dont elles devraient être investies Il y a nécessité à renouer et renforcer les liens entre les forces de sécurité et les populations.

A l’endroit des populations, je tiens à dire qu’elles n’ont aucun intérêt à entreprendre ou poser des actes qui pourraient contribuer à fragiliser les forces de sécurité, notamment, celles en charge, à titre principal, de la sécurité intérieure, de la protection des personnes et des biens, en l’occurrence la Police nationale et la Gendarmerie nationale. Je peux reconnaitre, admettre et même témoigner qu’il y a moult raisons pour beaucoup de citoyens d’en vouloir à ces deux corporations dont certains des éléments adoptent des comportements, ont des attitudes ou posent souvent des actes à la lisière de l’illégalité, pour ne pas dire illégaux. Pour autant, cela ne devrait pas servir de prétexte fallacieux et commode pour s’en prendre violemment aux forces de l’ordre, pour les dénigrer et jeter l’opprobre sue elles. La Police et la Gendarmerie font un excellent travail et assurent efficacement leurs rôles dans le cadre du contrôle social et de la garantie de la stabilité nationale. Les critiques, à certains égards, légitimes et justifiées contre les forces de l’ordre, ne doivent être poussées jusqu’à les caricaturer ou à persifler de manière désobligeante sur leurs devises qui constituent la sève nourricière de leur engagement patriotique ? Combien sont morts dans la lutte contre l’insécurité ou dans la défense du territoire national ? Il faut savoir raison gardée.

Je ne saurais terminer sans évoquer un cas qui déshonore notre pays et qui interpelle tous les Sénégalais.  Dans ma dernière contribution j’avais fustigé la désinvolture avec laquelle le Président Macky Sall gérait les affaires de l’Etat ; voilà qu’il vient de me donner raison. Comment a-t-il pu, comment a-t-il osé mettre dans la délégation officielle devant représenter notre pays à l’assemblée générale des Nations-Unies, un gus, un énergumène, un maquignon de la pire espèce, en l’occurrence son gros et gras griot, qui a avoué publiquement, avec une désinvolture déconcertante, avoir été corrompu ? Comment notre Président de la République peut-il frayer ostensiblement et sans gêne avec un individu d’une si basse moralité ? Voilà quelqu’un qui  vit de magouilles, de trafics d’influence et d’expédients et qui nargue allègrement ses compatriotes parce que sur de pouvoir s’abriter sous le parapluie du Président de la République qui lui garantit une impunité certaine.  C’est vraiment à se demander si le Président Macky Sall est conscient de l’éminence de ses fonctions, de la lourdeur de ses responsabilités et de la solennité de ses charges présidentielles.

Pour revenir aux événements du mois de mars, il y a lieu de dire que le peuple n’acceptera jamais que les choses restent en l’état. Quatorze morts et zéro coupable, c’est une négation flagrante , insultanteet inconcevable de la sacralité de la vie humaine telle que affirmée et consacrée par notre Constitution. Ces meurtres doivent être élucidés par tous les moyens et ils le seront qu’importe le temps que cela prendra. Trouver, appréhender et châtier les coupables à hauteur de leurs crimes s’impose comme une demande sociale, un devoir patriotique, une exigence républicaine, un souhait collectif, une requête populaire, une quête, et une soif de justice et enfin, pour reprendre les mots de Robert Badinter, «  un absolu moral ».

Par le « njucc-njacc » érigé en mode et stratagème de gouvernance et par le déni justice adopté comme philosophie d’action par certains magistrats, on peut bénéficier de l’impunité et échapper à la justice temporelle et temporaire des hommes, mais pas à celle suprême et sublime d’Allah Le Tout-Puissant,  Le Vrai Juge, Maitre de l’univers et de nos fragiles destins d’êtres  ignorants et impuissants.

         Que soit bannie l’impunité et que vive la justice.

Dakar le 12 Octobre 2021.                                       Boubacar   SADIO

                                                              Commissaire divisionnaire de police de classe exceptionnelle à la retraite.

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