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Macky peut-il réussir en 3 ans là ou il a échoué en 9 ans ?

par pierre Dieme

Dans son édition du 9 mars, le quotidien gouvernemental, Le Soleil, barrait à sa Une « Je vous ai compris », en référence au discours du président Macky Sall, la veille. Un discours qui s’adressait plus particulièrement à la jeunesse du pays. « J’ai vu nombre d’entre vous sortir dans la rue pour exprimer la colère de votre mal-vivre, parce que vous n’avez pas d’emplois, parce que vous aspirez à un avenir meilleur… », a-t-il notamment dit.

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Neuf ans et des centaines de morts pour … « comprendre » !

Ainsi, il aura fallu neuf ans de tâtonnements, d’échecs et des centaines de morts en mer, dans le désert du Sahara et d’autres fauchés en plein jour par les balles assassines de ses forces de l’ordre pour que Macky Sall dise enfin « comprendre » le malaise profond dont souffrent les jeunes du pays ! Neuf ans qu’il a consacrés plus à des manœuvres politiciennes pour emprisonner et écarter des adversaires et à « réduire l’opposition à sa plus simple expression » plutôt qu’à essayer de réduire le chômage des jeunes et améliorer leurs conditions de vie. Il aura surtout fallu des émeutes sanglantes dans la capitale et dans d’autres grandes villes, avec la mort de plusieurs jeunes à la fleur de l’âge pour qu’il avoue avoir décrypté leur message.

Mais ce n’est pas évident que ce soit le cas. En réalité, le vrai problème est que le gouvernement n’a jamais su par quel bout prendre la question de l’emploi des jeunes. Un  conseiller de l’ancien Premier ministre, Boun Abdallah Dione, l’avait avoué en disant que « la question de l’emploi des jeunes est une bombe à retardement ». Cette remarque traduisait l’impuissance du gouvernement à proposer une politique cohérente sur ce problème crucial. Et la « bombe à retardement » a fini par éclater, avec une force qui a ébranlé Macky Sall et son régime !

Encore des promesses non tenues ?

Les promesses en cours risquent de rejoindre celles déjà faites au cours de neuf ans de pouvoir, dont la plupart n’ont jamais été tenues. En arrivant au pouvoir en 2012, Macky Sall avait fait plein de promesses pour changer « la gouvernance » du pays pour une meilleure gestion de ses ressources. A l’endroit des jeunes, il avait promis de créer 500.000 emplois durant son premier mandat. Au terme de celui-ci, lui-même avait reconnu son échec, avec 491.000 emplois créés en 7 ans, selon les chiffres officiels. Pour rectifier le tir, il avait décidé de placer son prochain mandat sous le thème de l’emploi des jeunes. Il avait décrété l’année 2019 comme « année sociale », en créant la DER, dotée de 30 milliards pour y contribuer.

Mais hélas, tous les programmes créés en direction de la jeunesse n’ont pas servi à grand-chose. Et la plupart des promesses qui étaient faites n’ont pas été honorées.  L’une des illustrations les plus dramatiques de cet échec, ce sont bien sûr les tentatives désespérées de plusieurs centaines de jeunes pour gagner les côtes espagnoles avec des pirogues de fortune à la recherche d’un eldorado inexistant. Tentatives qui se sont parfois terminées par de nombreuses pertes en vies humaines, dans l’indifférence du pouvoir. 

Après sa réélection en février 2019, Macky Sall avait promis de créer…un million d’emplois en 5 ans ! Promesse qui avait été accueillie par un scepticisme général. Car, on ne voit pas comment quelqu’un qui n’avait pas pu créer 500.000 emplois en 7 ans pourrait en créer le double en 5 ans ! Et l’explosion sociale qui a tiré Macky Sall de sa torpeur vient peut-être lui rappeler que cette promesse n’a apparemment pas encore connu un début d’exécution ! 

La quadrature du cercle

Le président Macky Sall dit avoir « compris » la profondeur du désarroi des jeunes, mais a-t-il les moyens et surtout la volonté de rectifier les erreurs, pour ne pas dire les errements, du passé pour enfin s’engager dans la bonne voie ? Il est permis d’en douter. En effet, il y a fort à parier que quand l’émotion et la peur se seront estompées, on va retomber dans la routine quotidienne. Les habitudes ont la vie dure. On ne les change pas du jour au lendemain

Mais il y a surtout que le contexte national et international ne permet pas à Macky Sall de réaliser ses promesses à l’égard des jeunes. Après les évènements récents, le Sénégal ne sera plus le même. Il y a un sentiment diffus que les choses ne peuvent plus être comme avant. Et surtout sur le plan politique. Macky Sall sait maintenant qu’il a en face de lui un peuple, en particulier sa jeunesse, qui n’a pas peur de ses gendarmes et policiers. En quatre jours, une dizaine d’entre eux ont perdu la vie, fauchés par les balles de ses forces de l’ordre. Cela a terni à jamais l’image son régime, quoiqu’il fasse ou dise. A cette situation politique nouvelle s’ajoute une situation économique catastrophique, caractérisée par un chômage de masse, l’explosion de la pauvreté et la précarité sociale croissante dans tout le pays.

Les conséquences économiques et sociales du Covid-19 se traduisent en dizaines de milliers d’emplois perdus, en centaines de milliers de personnes – au moins deux millions – dans la pauvreté. De 6,5% de taux de croissance en moyenne depuis plusieurs années, selon les chiffres officiels, on est tombé à 1% ou moins. A cela s’ajoute un contexte économique mondial tout aussi mauvais, sinon pire. Ce tableau est davantage assombri par la perception du Sénégal par les bailleurs, qui a été profondément changée par les émeutes. L’ancien Premier ministre, Dione, disait dans une émission récente que les marchés financiers ont commencé à « sanctionner le Sénégal » en portant de 5 à 7% le taux d’intérêt sur sa dette commerciale !

Dans un tel contexte national et international défavorable, comment peut-on croire que Macky Sall et son régime vont réussir en 3 ans là où ils ont échoué pendant 9 ans, alors qu’ils bénéficiaient d’un environnement national et international extrêmement favorable ? Certes, il a promis 350 milliards de francs CFA pour le financement de projets destinés aux jeunes. Il a donné des directives à ses ministres pour la mise en œuvre de son programme. Les responsables du parti présidentiel essaient de sonner la mobilisation pour accompagner le président dans sa nouvelle croisade contre le chômage des jeunes. Mais le volontarisme politique et les incantations ne suffisent pas à faire face à un tel problème en si peu de temps. Ce ne sont pas des conseils présidentiels ou interministériels ni la mobilisation des conseils municipaux et départementaux qui vont produire des solutions miracles. Ce n’est pas dans la précipitation, surtout le dos au mur, que l’on pourra trouver des réponses au problème lancinant du chômage des jeunes. En vérité, sa marge de manœuvre est très étroite, pour ne pas dire inexistante.

Alors, par où la sortie « honorable »?

Par-delà le problème de l’emploi des jeunes, Macky Sall est confronté à une fin de règne compliquée, qu’il n’avait sans doute pas imaginée avant l’explosion sociale récente. Son régime est au pied du mur, avec une image écornée sur le plan international et un peuple qui n’a plus peur de ses forces de l’ordre. Alors, comment finir « honorablement » les trois ans qui lui restent ?

Sur le plan politique :

Mettre fin au complot contre l’honorable député Ousmane Sonko, dont la sortie médiatisée de la dame Adji Sarr n’a fait que confirmer la véracité. L’opinion, dans son écrasante majorité, est définitivement convaincue que cette histoire relève d’une machination répugnante de personnes liées au régime contre l’honorable député. Si le président Macky Sall dit ne pas être derrière ce complot, il le sait maintenant et peut y mettre fin au nom de « l’apaisement » qu’il appelle de ses vœux  

Une manière de mettre fin au complot contre Ousmane Sonko est d’essayer de restaurer l’Etat de droit qui n’existe plus depuis belle lurette. Et les déclarations irresponsables de son ministre de la Justice ne font que le confirmer. La restauration de l’Etat de droit passe par redonner à la Justice son indépendance afin qu’elle redore son image ternie auprès de l’opinion

Cette restauration passe également par le respect des libertés publiques si chèrement acquises, liberté d’expression, de manifestation, de réunion, etc. Des libertés qui ont été mises à mal depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir

L’apaisement passe aussi par la libération sans délai et sans conditions de tous les otages politiques, à commencer par Guy Marius Sagna et ses camarades de FRAPP, ainsi que les leaders et militants de Pastef. Amnistier Khalifa Sall et Karim Wade afin qu’ils retrouvent leurs pleins droits civiques.

Se débarrasser de la racaille de flagorneurs autour de lui qui ne cherchent qu’à sauver leurs privilèges en lui cachant la vérité sur la situation réelle du pays.

Surtout se débarrasser de cette armée de mercenaires de toute nature, qui eux aussi essaient de sauver leurs postes et privilèges, tout en cherchant à entraîner le président dans un engrenage dont il sera seul comptable des conséquences qui en résulteront.

Sur le plan économique :

Réduire de manière drastique le train de vie de l’État, sur plusieurs fronts ;

Rationnaliser les dépenses au niveau de la présidence de la République, en se délestant des Conseillers et autres aides inutiles ;

Limiter les déplacements du président et des ministres à l’étranger, qui coûtent cher et ne rapportent rien ou très peu au pays. Surtout, éviter les voyages de complaisance pour répondre à des invitations sans intérêt, sinon pour rehausser l’image personnelle du président ;

Réduire la taille du gouvernement de moitié ainsi que les privilèges attachés à la fonction ministérielle ;

Mais surtout, dissoudre sans délai le CESE, le HCTT, le Haut conseil du dialogue social et tous les conseils similaires qui ne servent à rien, sinon à caser des amis et soutiens politiques. D’autant plus que Macky Sall a vu que ces soutiens ne lui sont d’aucun secours quand les choses tournent mal. Il a dû se rendre compte que le « thiof » qu’il avait pêché à grand renfort de publicité, il y a quelques mois, n’a pas été à la hauteur de ses attentes. L’offre de « médiation » de ce dernier pendant la crise a été reçue dans l’indifférence générale, pour ne pas dire traitée par le mépris ! Que dire alors des « yaboye » dont les têtes commencent à pourrir.

Le régime de Macky Sall est à la croisée des chemins pour les 3 ans qui lui restent. Mais il n’est pas sûr que le président et ses alliés aient réellement « compris » le message envoyé par la jeunesse du pays. Déjà, on entend des appels à la revanche et on lit des communiqués musclés qui passent à côté du vrai problème posé par les jeunes. Il ne semble pas que le président et son régime soient prêts à amorcer les ruptures qui sont indispensables et salvatrices. Apparemment, ce régime n’a ni l’audace ni l’imagination permettant de prendre de la hauteur et des décisions courageuses qui soient dans l’intérêt supérieur du pays. Une fois encore, après la tempête, les intérêts de clan risquent de prendre le dessus sur ceux de la Nation.

Demba Moussa Dembélé est économiste.

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