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mardi, avril 16, 2024
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Les sénégalais souffrent en silence.

par pierre Dieme

L’état providence n’existe pas au Sénégal, la solidarité familiale est le seul moyen de survie. Les sénégalais souffrent en silence.

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Ce n’est pas un scoop de dire que la crise économique est accentuée par la guerre en Ukraine. L’inflation galopante mondiale met en grande difficulté tous les pays mais plus particulièrement ceux dits pauvres. Au Sénégal, les salaires ne sont pas indexés sur l’inflation et la cherté de la vie est sans commune mesure : Le prix des loyers a flambé, les denrées de première nécessité sont devenues un luxe, par conséquent les familles souffrent quotidiennement de cette situation. L’état providence n’existe pas au Sénégal, la solidarité familiale est le seul moyen de survie. Les sénégalais souffrent en silence.

JE SUIS UN FONCTIONNAIRE SENEGALAIS : je gagne 200 000 FCFA (300€). Je vis avec ma femme et mes trois enfants. J’habite dans le quartier Médina, sachant que je vis dans ce quartier populaire depuis longtemps, mon propriétaire m’a fait une faveur et je ne paie que 80 000 FCFA (120€) par mois. La centralité de ce quartier me crée des soucis majeurs auxquels je ne peux me défaire. Je suis sollicité par des amis en souffrance économique, des parents qui quittent le village pour venir se soigner à Dakar. Ils débarquent parfois sans prévenir pour que je les héberge sans durée limitée ; je n’ai pas le choix, je me culpabiliserai de les laisser dehors. Il faut bien partager la misère. Pourtant, je n’ai pas les moyens de les prendre en charge. Dès que ma femme m’appelle, surtout vers 16 h (1h avant l’heure de départ de mon travail), je panique, je sais qu’elle va me dire qu’il manque du lait, du sucre, du café, et il ne faut pas que j’oublie d’apporter de la farine pour le Domoda (plat sénégalais) du lendemain. Elle ne sait pas combien je gagne, je ne lui ai pas dit et de toute façon ça ne sert à rien. Parfois, je ne réponds pas et dès mon retour à la maison, j’affirme haut et fort que je n’ai pas vu son appel et j’accuse l’opérateur téléphonique Orange d’avoir un réseau merdique et j’insiste fort : ces gens-là gagnent des milliards et sont incapables d’offrir des réseaux de qualité. Je demande à ma femme d’aller prendre crédit chez le boutiquier du coin. Elle n’est pas dupe, elle sait que je mens. Je fais des insomnies. Le comble, c’est que tout le monde pense que je suis riche parce que mon bureau est beau, climatisé … je ne peux être qu’un patron, un chef quoi…C’est dur de vivre dans un pays pauvre car cela nous fait perdre notre dignité.

JE SUIS DEPUTE : J’ai des revenus confortables pendant cinq ans ; je prie que Macky Sall ne dissolve pas l’Assemblée. Sachez que je ne suis pas à plaindre, mais je le paie très cher. Ma maison est remplie de monde; je nourris vingt-cinq personnes par jour; je ne suis pas le député de la République, je suis leur élu pour ne pas dire leur jouet. Je dois payer parce qu’ils ont voté pour moi ; enfin, je sais même pas ; certains ne sont pas inscrits sur les listes électorales en tout cas, je prends en charge leurs frais médicaux, le mariage et le baptême de leurs enfants, leurs titres de transport pour rentrer chez eux. Un ami qui a été battu aux dernières élections ne les voit plus ; il est devenu pauvre et ils se moquent de lui. Sa maison s’est vidée de laudateurs, de griots et de personnes en situation très précaire. Notre député est réclamé dans sa circonscription ; il lui est reproché de rester plus de deux ans sans rendre visite à ses électeurs, enfin… ses sujets, sachant qu’il ne doit jamais venir les mains vides.

JE SUIS CADRE dans le secteur privé : je ne quitte jamais ma cravate ; je suis identifié comme un «Boss». J’ai une famille que les sénégalais appellent «kilométrique», très, très nombreuse. Je n’ai pas le choix, je dois subvenir à leurs besoins; c’est moi l’Etat. Je ne peux pas voir mes sœurs, mes frères, mes amis souffrir sans lever le petit doigt. Maniant bien les chiffres, je sais que je dépense plus que je ne gagne. Je suis dans une impasse ; je sais que j’aurai du mal à m’en sortir. Des fois, je craque et je pars me refugier avec ma famille à Saly (lieu de villégiature) et ne rentre que le dimanche soir vers 23h. Je sais que c’est un faux calcul parce que je dépense encore plus, mais j’ai besoin d’évacuer ; je reprendrai le rythme dès lundi.

JE NE TRAVAILLE PAS et je survis en vendant à la sauvette. Je souhaite que les embouteillages se poursuivent et avoir le nez sur les pots d’échappement pour survivre. Je rêve dans mon monde meilleur. Je vivote sans perspective d’avenir et pourtant, je ris souvent aux éclats. La vie au Sénégal est dure, chère et la solidarité subie devient la règle… Jusqu’à quand ? L’apparition de quelques velléités individualistes commence à gripper le système. Le sauve-qui-peut pointe le bout son nez et une cocotte-minute commence à bouillir. Cela se traduit par l’insécurité et la violence. Le Sénégal n’est pas sorti de l’auberge.

Alassane THIAM  

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