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Le refus de la compromissionPar Adama Gaye*

par pierre Dieme
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« Dieu gardez moi de parents et amis, mes ennemis, je m’en occupe »-proverbe reactualise.

Ou la technique pour faire face a des oppresseurs etatiques

Une lecon restera de mon arrestation et de ma detention illegales, du 29 juillet au 20 septembre 2019, par l’Etat-voyou du Senegal: ne jamais ceder a la compromission, et ne faire aucune concession, meme dans un contexte de privation de libertes.
Des que je fus pris en otage, mes ravisseurs institutionnels, conscients de la patate chaude qu’ils tenaient, enrolerent une caste, diverse, de mediateurs-dealeurs pour me faire entendre raison.
Ils revaient d’une paix des braves pour me faire cesser mes denonciations de leurs crimes. Selon le mot de Madame Milouche, l’objet etait de brandir un baton, en wolof « Kheubeul », tout en agitant une carotte, la corruption, dans la vieille tradition popularisee par le president Americain Harry Truman, pour m’amener a rentrer dans les rangs.
La prison m’a alors enseigne qu’il fallait etre sur ses gardes, droit dans ses bottes, vigilant. En commencant par un refus de toute compromission.
J’avais, d’emblee, detecte les signes de ce discours capitulard quand, des le lendemain, de ma capture, deux de mes premiers interlocuteurs, l’un mon parent, l’autre un ami, se mirent, sans raison, a me culpabiliser.
« Tu as quand meme prete le flanc a cause de tes attaques au vitriol contre le regime et son chef », oserent-ils me dire.

On eut dit qu’ils etaient soudain devenus aveugles face a la flagrance exorbitante des viols de mes droits constitutionnels sans aucun fondement moral, legal ou justfie par quelque faute qui pouvait m’etre imputee.
« Il faut accepter de negocier », soufflerent, a voix basse, comme dans une priere, ces premiers ambassadeurs dont je me demandais s’ils agissaient de leur propre chef ou en mission, au service de Macky Sall. Mon regard foudroyant suffit pour leur faire deviner ce que je pensais de leur demarche, decidement malvenue.
« Pas question! », telle fut, cinglante et jamais dementie, la reponse que je leur opposa, sans trembler ni sourciller. Au point de les desarconner.
Une autre parente vint un matin, tot, me voir et, du parloir, commenca a me debiter des senegalaiseries. Du genre: « rethiou wess na! », « ca va se terminer, ils sont en train d’en parler a un niveau eleve », ne realisant pas combien elle m’insultait. Comme si, a mon age, et en vertu de mes convictions, je pouvais etre un gadget dont le sort serait decide par d’autres. Comme si j’etais du genre a deleguer mon destin…
« Ne reviens plus ici et sors de mes affaires », lui dis-je, pour fermer ce qui me semblait n’etre qu’une demarche de mercenaire, monnayee aupres du pouvoir.
Celui-ci, en realite, perdait pied et confiance. Il flippait. De l’interieur de la prison, lui remontaient, en effet, les nouvelles sur mon intransigeance, ma fermete.
« Je viens demander ton autorisation pour solliciter la clemence en ta faveur », fit un autre, zigoto, vague connaissance et probable espion, poisson-pilote, lui aussi venu me sonder.
Le piege, comme celui dans lequel est tombe le rappeur Kilifeu, etait de me soutirer un « Oui », vite enregistre par l’administration penitentiaire, pour, ensuite, le retourner contre ma personne, nier le courage dont je faisais montre et me presenter en…repenti, couard, a genoux.
« Santou malako, je te l’interdis », fusa de ma poitrine vers ses yeux atteres, ses plans tombant a l’eau, ses reves de me pieger, ecrases.
Malgre les echecs des parents, amis, etrangers qui defilaient a la ronde pour voir quel etait mon etat d’esprit, verifier si je flanchais ou non, les theoriciens de la paix des braves, sans doute motives par ce qu’ils en escomptaient financierement, continuerent leurs campagnes de…pacification. En vain.
Tout y passa. C’est ainsi qu’un groupe de soutiens qui avait entreprit de porter ma cause recut un message de Marieme Faye-Sall, epouse de Macky, offrant ses bons offices. « Si elle y trempe, je me retire du groupe », declara, a bon escient, une dame dont le pere fut l’ami du mien. « Ne prenez aucun engagement sans l’aval d’Adama », insista le chef de file du mouvement « les amis d’Adama Gaye ». « Vous le connaissez, il ferait aussitot un cinglant dementi public », ajouta-t-il, comme s’il lisait dans mon esprit.
Quelques-jours plus tard, en compagnie d’un parent, guide religieux, une soeur, jubilant interieurement, dont on pouvait penser qu’elle avait fait la promesse de me faire ceder, se mit a me regarder, depuis la vitre du parloir, l’air de me dire: « tu n’as pas d’autre option que d’obeir ».
C’etait triste de voir qu’elle ne mesurait pas l’etendue de sa bourde. Mon sourire coince etait pourtant bavard.
Je bouillonnais de rage. D’une rage interieure semblable a une lave de volcan proche de l’eruption. Je me posais, en particulier, la question de savoir comment elle avait pu, a ce point, sous-estimer mon independance intellectuelle et l’impossibilite de melanger mes convictions rationnelles avec celles, irrationnelles, autour des valeurs spirituelles.
Quelle meprise, me dis-je, sans rien y laisser voir par respect pour le guide religieux dont j’avais des raisons de celebrer la compassion qu’il etait venu me temoigner.
Vers la 40eme jour de ma detention, alors que Malick Sall, le comploteur, mesurait sa bourde, son retour en boomerang, et surtout son inefficacite, lui causant des nuits agitees, se demultipliait soudain pour declarer a qui voulait l’entendre « qu’Adama est, plus que son ami, son frere », dans une logique defaitiste, arriverent 3 personnalites, conduites par le fils aine du Khalife des mourides, a la fois mon parent et mon inspirateur, guide, spirituel.
Son message fut impeccable, de soutien et de rappel des recommandations divines.
En partant, alors que j’affirmais, a haute-voix, devant le directeur de la prison de Rebeuss, meduse, tremblant, que mes geoliers ne perdaient rien pour attendre, l’un des accompagnateurs du fils du Khalife, ex-conseiller du Premier ministre, agissant sans doute pour Macky, me glissa: « ne dis rien a tes avocats, laisse nous regler! ».
Mon silence bruyant n’etait que momentanne. Cinq minutes apres, dans la piece de la prison, y tenant de lieu de rencontres entre detenus et leurs conseils, je ne fis pas qu’un compte-rendu, comme ca se devait a mes principaux avocats, Khoureysi, Tine, Ndiaye et Cory, mais leur demandais de publier, des le lendemain, la lettre ouverte que j’avais preparee a l’intention de l’Assemblee generale de l’Onu qui allait s’ouvrir en septembre 2019 et a un Sommet de la Cedeao. Mes enfants, aux USA, s’etaient, au meme moment, prepares a faire une greve de la faim devant la Maison Blanche et le siege de l’Onu…
Multiforme, incisif, donnant du fil a retordre au pouvoir de Macky Sall, decontenance, le refus de la compromission et de toute concession que j’adopte, en ligne de defense, finit par payer, avec panache.
Il se solda par une victoire eclatante par KO-debout sur mes ravisseurs. Puisque, queue basse, en leur nom, le 20 septembre, un peu avant 17 heures, le chef de cour, qui gouverne les prisonniers, vint, brusquement, me dire, vaincu: « vous etes libre! ».
Il ne me restait plus qu’a aller signer la feuille de decharge pour quitter les lieux. Sans me soucier de ce que la horde de mes ravisseurs m’avaient fait autographer. L’essentiel etait de reprendre ma liberte pour davantage planter ma dague scripturale et verbale dans leurs coeurs, desormais saignant d’une hemorragie qui les fait realiser combien fut grande l’erreur de venir me cueillir, illegalement, un 29 juillet. Plus dure, fut leur deroute. L’internationalisation du combat, qui explose leurs crimes, n’etait surtout pas dans leurs calculs.
Tous ceux, femmes et hommes, qui avaient promis, dans un marchandage degueulasse, de me retourner ont, pour leur part, appris la lecon de leur vie: on n’instrumentalise pas sans consequences ni revers honteux un homme qui se bat pour ce qu’il croit.
Alors qu’ils pensaient encore me livrer, en homme mur pour une paix des braves sur les ruines de mes convictions, quelle ne fut leur surprise, humiliation, en apprenant, apres coup, mon depart en exil. Qui les laissa nus, avec les ravisseurs, au soleil, sous les regards moqueurs pendant qu’une salve infinie, de deconstruction, commencait a les frapper. D’une terre d’exil…

Adama Gaye, auteur de Otage d’un Etat (Editions l’Harmattan), est un opposant en exil du regime de Macky Sall.

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