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mardi, avril 16, 2024
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La pourriture par les institutions : Lettre au Premier Président de la Cour Suprême

par pierre Dieme

Cher Cheikh,

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Vous êtes davantage habitué à vous faire appeler Président et vos fonctions actuelles à la tête de la plus prestigieuse institution judiciaire du Sénégal, sa Cour suprême, vous en donne la légitimité. Cependant, votre nom de famille, Coulibaly, dont les racines se trouvent au Mali, doit vous forcer, Cheikh Tidiane, à la jouer modeste.

Comment pouvez-vous ignorer ces déferlements populaires, ces révoltes, qui ont contraint le très hautain Président de ce pays voisin à sortir de ses gonds pour avaliser l’une des grandes revendications de la foule: la dissolution de la cour constitutionnelle locale.

Qu’il y ait au Sénégal un conseil constitutionnel qui en est l’équivalent ne signifie nullement que le poids de ce dernier vous enlève quoi que ce soit de votre puissance dans l’architecture judiciaire de notre pays que vous dominez maintenant par vos charges.

Nous ne sommes pas dupes: à l’instar de celle du Mali qui a failli à sa mission de neutralité dans la livraison du verdict des dernières élections législatives, notre justice constitutionnelle est loin d’être exempte de tout reproche. Elle suscite même une certaine méfiance tant elle ne cesse de décevoir. 

Si le Senegal avait autant de courage que le Mali, il aurait trouvé depuis longtemps assez d’actes pour se débarrasser des membres, tous d’éminents juristes, de son conseil constitutionnel, puisqu’ils ont non seulement perdu toute crédibilité, leur légitimité mais mis du carburant dans le feu de la colère populaire qui gronde, comme chez nos voisins, sous nos cieux.

Cher Cheikh,
Si je vous interpelle par votre nom, c’est moins par irrespect que pour l’estime que je vous porte depuis que j’ai fait votre connaissance dans l’antichambre du cabinet d’un Abdoulaye Wade, alors mon ami, dont vous étiez le directeur de cabinet qu’il s’était choisi en sa qualité de Ministre d’Etat dans le premier gouvernement de majorité présidentielle élargie. 

Il vous avait coopté en 1991 à ce poste en hommage à votre droiture dans la distribution d’un procès politique qui l’avait fait arrêter par le pouvoir socialiste, tout puissant, qui, depuis 1960, gouvernait notre pays en le considérant comme sa propriété. Avoir eu le cran de libérer les détenus politiques, incluant Wade, qu’il s’attendait à vous voir les condamner n’était pas passé inaperçu aux yeux de l’opinion nationale ni d’abord de ceux de votre célèbre client, incontesté chef de file d’une pugnace opposition.

“Vous forcez le respect”, m’a rapporté un de mes avocats, faisant fuiter les bruits qu’il a entendus dans les couloirs des tribunaux sénégalais.

C’est vous dire que votre nomination à la tête de la cour suprême ne pouvait qu’être accueillie avec espoir et soulagement. À votre place, nombre de nos compatriotes craignaient que s’y retrouve un autre moins fiable, comme le pourtant capé juge Demba Kandji, devenu hélas le symbole d’une magistrature couchée pour avoir été la voix de la validation des fraudes industrielles et cyniques ayant permis, en mars 2019, à Macky SALL de voler le dernier scrutin présidentiel.

Aucune garantie 
Oh, je suis assez aguerri pour ne pas sombrer dans l’hagiographie irréfléchie. Tout méritant que vous puissiez être, je n’ai aucune garantie, bien au contraire, que vous ayez pu rester droit dans vos bottes, guidé par les principes du droit, au cours de ces vingt-dernières années où votre propre ascension dans la magistrature s’est faite au moment où notre justice subissait le plus flagrant et continu saccage de son histoire. Avez-vous fermé les yeux sur des viols contre le droit? Avez-vous siégé dans des instances qui ont validé des fraudes électorales ou des forfaits constitutionnels ? 

Avez-vous donné un coup de pouce aux pouvoirs respectifs d’un Abdoulaye Wade et d’un Macky SALL pareillement moulés dans une culture de la ruse et des coups tordus lubrifiés par des institutions, comme la judiciaire, parmi les plus respectables sur le papier?
Je refuse d’être un enfant de chœur pour vous donner un blanc-seing immaculé. N’avez-vous pas fait partie de ces juges, malheureusement trop nombreux, qui se distinguent sous nos cieux par leur promptitude à récuser toutes les requêtes contre le pouvoir politique, exécutif, tout en validant ses moindres désirs? 

Si je me tourne vers vous, c’est parce que vous êtes le moindre mal. Je ne le ferai pas de votre frère Latif qui était comme vous dans le même lycée devenu Waldiodio Ndiaye et que j’ai devancé à l’école de journalisme.

Je le fais moins parce que vous êtes 100 pour 100 au dessus de tout soupçon, nul ne l’étant ! 

C’est que vous êtes un moindre mal dans un corps judiciaire pourri dont l’image est répugnante alors que ses membres traînent des réputations sulfureuses, entre corruption et larbinisme, immoralité et partialité, qui ont fini de lui faire perdre toute confiance de la part de la citoyenneté.

Une question à ce stade s’impose: ferez-vous quelque chose pour redorer son blason terni ?

Decisions douteuses
Cela urge. Plusieurs raisons exigent le relifting de la justice sénégalaise. Elles se trouvent dans ses décisions douteuses, injustes, qui la caractérisent sur tous les sujets où son arbitrage est requis. Qui croit encore en son équité? Certainement pas moi, et je ne suis pas le seul. D’ailleurs, j’observe que vous et les votres êtes restés étrangement, piteusement, silencieux, quand, voici un an, en dépit de mon innocence avérée, la magistrature sénégalaise s’est prêtée à la capture d’otage dont je fis l’objet du 29 juillet au 20 septembre 2019.

Je me suis vainement demandé, en cette honteuse circonstance pour votre corps, où étaient donc ces juges d’antan, comme Coumba Ba, celui qui avait pris sur lui de libérer les manifestants à une marche anti-apartheid menée par Wade en 1986 et que le pouvoir socialiste avait interdite ?
À leur place, je vis, en doyen des juges d’instruction, un juge Samba SALL, plus valet du pouvoir exécutif que magistrat assumant ses prérogatives, s’interposer pour que je ne jouisse pas de ma liberté. Il avait fallu que je le harcèle impitoyablement devant mes avocats me suppliant de ne pas répéter mes accusations d’illégitimité portées devant lui contre le régime de Macky SALL et ses crimes économiques, ses vols, qui faisaient trembler ce juge au visage glacial, cynique d’un exécuteur des basses œuvres et qui dut se débiner tout en sachant que malgré son humiliation historique, ce jour-là, il allait résister au devoir de me donner mes droits rien que pour plaire à ses maîtres, des assassins du droit.
Voyez-vous, en écrivant en exilé depuis le Caire, je ne peux ne pas être tenté de verser une larme sur le cadavre d’un corps judiciaire qui ne vaut même plus par l’apparat de ses robes. N’avez-vous pas honte d’être à la tête d’une telle institution ? 

Qu’allez-vous faire pour qu’elle retrouve un semblant de son lustre d’un autre temps quand le terme justice renvoyait à un prestige qui ne se mesurait pas alors à l’étendue des hectares de terres de la corruption octroyées à ses membres les plus connus sans oublier les autres menues faveurs venant d’un exécutif ravi de l’avoir ainsi endormie sur les textes et la doctrine qui devraient guider son action?

Coups de poings 
Quelle honte cette justice. Ne nous laissons pas impressionner par les sorties coups de poing du président des magistrats, le sans doute brillant juge Telico, qui, tel un Don Quichotte, s’attaque au contrôle du conseil supérieur de la magistrature par le pouvoir exécutif ou brocarde les interdictions faites à des organes de presse privés de couvrir les séances des tribunaux. Quel recul! Dans les années 1970, je me souviens de notre professeur de Radio au Cesti, Bernard Schoeffer, nous envoyant faire un reportage sur des faits divers enrôlés par les tribunaux dakarois. Sans entraves ! 
Ce qui à changé, c’est la soumission d’une justice plus encline à courber l’échine pour ramasser les signes d’un clinquant matérialiste devenu son ADN. Même la grève, toute légitime de ses personnels auxiliaires, réunis au sein du Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust), n’est que le prolongement des pratiques vénales sécrétées par une industrie ayant perdu sa noblesse pour s’encastrer dans la quête d’un gain chloroformisant.
Où l’on observe la déchéance de la justice sénégalaise incapable d’adopter une posture de principe, sa voix écrasée et son rôle dénié par tous, de l’exécutif aux populations. Qui n’a pas été dérouté par son lâche silence face aux mensonges de son ministre de tutelle, Malick SALL, qui s’est posé en avocat qu’il n’est pas à Londres? Qui ne s’étonne pas de l’oubli autour de son action dans le blanchiment criminel des fonds terroristes de la société Batiplus ? Qui ne constate l’inacceptable collusion qu’il entretient avec le bâtonnier de l’ordre des avocats, Maître Leyti Ndiaye, absent au rendez-vous du droit mais bruyant pour se vanter de son amitié avec Macky SALL maître suprême des viols des régles de droit?
Sur les grandes et graves questions constitutionnelles comme sur le traitement des primo-brigands, sur les fraudes qui ont transformé notre pays en État narcotrafiquant et en paradis des fabrications de faux billets de banque ou encore en terre de reculs démocratiques, on chercherait en vain pour trouver une quelconque contribution significative de la justice dans la marche de notre nation.
Or qui ose douter qu’elle est un levier de tout progres national. Ce n’est pas hasard si, comme le rappelle Hernando De Soto, l’Amérique du Nord, colonisée avec un logiciel normatif autour de la règle de droit a pris une avance sur celle du Sud étouffée par la religion et les grands propriétaires terriens.
Ce n’est pas non plus innocent que la Côte d’Ivoire soit tombée dans une guerre civile du fait d’un juge constitutionnel, Yao Ndri, qui avait torpillé les résultats d’une élection présidentielle afin de favoriser le candidat du pouvoir alors en place.
Qui ne voit pas les manifestations dans les rues de Kinshasa à Lubumbashi contre la désignation d’une figure clivante à la tête de l’instance électorale de la République démocratique du Congo (RDC)?
Barack Obama, l’ancien président américain, n’avait pas eu tort de rappeler lors de sa première visite officielle dans un pays africain, effectué au Ghana en Juillet 2009, qu’il fallait mieux avoir des institutions fortes que des hommes forts dans la tradition de l’absolutisme africain.
Son diagnostic se vérifie plus que jamais. Avec des institutions pourries, des leaders corrompus, incapables, comme Macky SALL, s’ils ne sont manœuvriers, à l’image d’un Alassane Ouattara ou Paul Biya, les hommes-liges, du genre Demba Kandji, et faussaires-ethnicistes, qu’incarne un minable Malick SALL, ont fini de placer nos pays sur une explosive poudrière.
Si nous en sommes à ce moment lourd de menaces, c’est qu’outre les différentes failles, la justice est aux abonnés absents. Ni dans l’insécurité, ni dans les grands crimes, ni dans le droit constitutionnel ni dans le rapt sur nos terres, y compris celles gorgées de ressources naturelles, comme à Ndingler, ni sur les détentions politiques injustifiées jusqu’à toucher des malades comme Abdou Karim Gueye, la justice au Sénégal, prolongeant une pratique africaine est championne dans la capitulation. Et dans le ridicule aussi: voyez comment elle s’est prêtée à la loufoque enquête qui a blanchi le plus grand crime économique du pays, à savoir le détournement de milliers de milliards de nos francs par Aliou SALL dans l’affaire petrotim où la justice s’est publiquement tirée une balle au cœur comme rançon de son aplatissement devant les demandes inacceptables d’un exécutif criminel. Quelle honte…

Autant dire qu’il ne sera pas facile de la remettre debout. Au surplus, une hirondelle ne faisant pas le printemps on ne peut s’attendre qu’un nouveau président de la cour suprême puisse provoquer un quelconque miracle.
Mais, Cheikh Tidiane Coulibaly, dites-moi que la fine éclaircie que vous apportez ne sera pas autre chose qu’une illusion fugace?
De grâce, enlevez ce lourd genou qui empêche la justice sénégalaise, nous avec, de respirer.
Cheikh Tidiane Coulibaly, ne nous décevez pas, vous aurez comme compas le sort du juge Kandji, transformé en âme errante après avoir été utilisé pour valider le plus grand viol démocratique de notre histoire.
Avez-vous conscience du risque énorme qui vous guette sous votre piédestal ? N’oubliez surtout pas en vous baissant de tendre la main à cette justice par terre. Elle n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a semblé être naguère et se trouve loin de la zone de sa propre dignité, désormais bafouée.

Affectueusement, respectueusement, votre.

Adama Gaye Le Caire 14 juillet 2020

Ps: En tant que Président de la cour suprême, ne me dites pas que vous n’avez aucun poids pour demander que mes droits de citoyen, déjà gravement violés par une détention arbitraire, soient restitués et que l’épée de Damoclès, la liberté provisoire, maintenue sur ma tête pour m’empêcher d’exercer mes libertés intellectuelles et celles de poursuivre l’état du Sénégal pour abus de droit soit levée. 

Prouvez-nous que vous valez mieux que l’apparat de votre toge. Et ne tenez pas compte des errements adultérins du conseil constitutionnel. 

Pouah, il ne vaut plus un sou dans ce pays. Ne vous faites pas mépriser aussi, la roche tarpeienne étant si proche, vous le savez, du capitole.

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