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Jamais deux sans TOI

par pierre Dieme
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Il faudrait un grand bouleversement car le terrain politique est miné, et n’y évoluent que des politiciens professionnels aux profils similaires, aux ambitions semblables, aux aspirations de pouvoir et pour certains d’argent

L’incontinence comportementale et langagière de certains hommes et femmes qui nous gouvernent sont de notoriété publique. Le rayonnement du Sénégal a toujours, dans le passé, été fonction de sa capacité à porter une parole forte, indépendante et digne de foi. Ce sont les idées et leurs mots qui nous valurent à certains moments de l’histoire, le respect. Parce que la parole est un atout précieux, tout ce qui la galvaude, tout ce qui la « trivialise » affaiblit et discrédite.

En matière de grossièretés, d’insanités, il y a assurément des spécialistes incontestés, dignes d’occuper une chaire d’injurologie, si dans les universités ou les grands instituts de formation, cela existait. Comparés à ceux d’aujourd’hui, les spécialistes d’hier (dont les invectives portaient généralement sur la nature du régime), apparaissent comme des enfants de chœur. Non seulement les textes de loi qui contraignent le peuple à rendre son langage et son comportement plus policés ne leur sont pas appliqués, mais il faut y ajouter, la facilité avec laquelle ils échappent aux conséquences de leurs impudents étalages de vulgarité qui ne les empêchent nullement de « réussir » en politique, qui à y regarder de plus près, n’est que l’apologie de l’autochtonie, du village et des figures tutélaires de la tradition religieuse ou culturelle contre l’innovation, le changement et les cultures urbaines, de la rébellion et de la contestation.

Dans le caniveau sonore qui circule dans les réseaux sociaux, l’auteur profère des injures à deux camarades de parti, fait des « victimes » féminines, menace de dénoncer des malversations, se hisse au sommet de la médiocrité prêtée « aux menteurs » à qui il s’adresse et qui sont eux-mêmes de grands insulteurs, tous prenant leurs égos pour une cause nationale. Il ne s’agit pas d’une haine hygiénique, que trois hommes s’offrent, tel un salutaire et régénérant bain de boue. Nous n’avons pas affaire à des intermittents de la détestation-thérapie. Leur exécration, même s’il est arrivé qu’elle prenne des formes plus « douces et diplomatiques », semble permanente. Inoxydable autant qu’impérieuse. Elle, au moins, ne connaît pas de faiblesses. Des phrases au vitriol, des aigreurs mâchées et remâchées, mettent à jour l’atmosphère qui prévaut entre camarades d’un même parti. Cette absence de tenue et de retenue d’hommes n’ayant ni allure ni allant, fait de ce pays, un objet de risée. Et cela devient récurrent.

Que l’on se gausse, ou que l’on s’exaspère, l’atteinte portée à l’image du pays par l’irresponsabilité langagière ou le comportement de certains de nos dirigeants est grave. Si les règles, les principes, les valeurs ne sont plus représentés par eux, ce ne sont pas non plus des conflits « classiques » qui éclatent devant nos yeux et à nos oreilles, mais une décomposition sociale dont on ne connait pas l’issue. Une classe politique en décombres, grotesque et autiste.

La démocratie, nous dit-on est le moins mauvais des systèmes, parce qu’elle est toujours à parfaire. Personne ne trouverait à redire et ne verrait que des avantages, si les politiques qui nous gouvernent, brisent les codes pour parler vrai. Gavés de langue de bois, overdosés de double langage, lassés de ces parlers politiciens faits de promesses fallacieuses, qui tuent jusqu’à l’envie de tendre l’oreille, les Sénégalais ont soif de mots francs. Sur fond de politiques publiques impuissantes voire aggravantes, les rodomontades qui conduisent à occulter les réalités au profit d’un récit politique qui prend des libertés avec la vérité, ajoutent aux tourments du pays.

Les Sénégalais semblaient avoir triomphé du Parti Socialiste et du président Diouf, puis du Parti démocratique sénégalais et d’Abdoulaye Wade, dans la mobilisation quasi parfaite de coalitions de différents intérêts, qui promettaient d’abord le « Sopi » puis « la rupture ». Cette dernière paraissait porteuse de l’immense espoir de la démocratisation de l’espace public, de la moralisation des modes d’actions politiques, de la réforme de l’appareil politique, des modalités de gestion, d’administration et d’allocation des ressources économiques et symboliques.

En bref, il était permis de penser que le régime de l’Alliance pour la République allait rééllement procéder à un nettoyage dont la fonction principale était la rupture des pratiques, interventions, opérations politiques, économiques et sociales et le principal résultat serait la restitution de la décision politique à la population, en procédant à une meilleure institutionnalisation et des mises à l’épreuve des capacités citoyennes. Les attentes ont été déçues. L’espoir s’est envolé et les rêves de changements se sont effondrés comme des châteaux de cartes.

A la place, des « ôte-toi que je m’y mette», les dossiers mis sous le coude, le recyclage des transhumants, les effets des luttes partisanes au sein de l’APR sur l’appareil d’Etat, les manipulations des appartenances et allégeances religieuses, un pays promis à la découpe, les opérations de guérillas administratives, politico-judiciaires contre des adversaires vrais ou supposés, la corruption et l’effilochement des procédures bureaucratiques et militaires qui ont pendant presque un demi siècle assurer la «success story» sénégalaise.

L’Alliance pour la République offre le spectacle d’une arène sénégalaise, accentuant les luttes de positionnement, la fragmentation en de multiples groupes de pression qui, recourant au chantage et à la violence, provoquent des interventions de son chef dans le champ des luttes politiques aussi bien internes qu’externes à son parti. Une situation qui a banalisé sa position – dans le parti et dans l’Etat – et fragilisé son pouvoir d’arbitrage et de recours ultime et, en dernière instance les institutions qu’il est censé servir : l’Exécutif, le législatif et le judiciaire. Instables, mises en question quotidiennement et affaiblies par les interventions multiples et intempestives, elles sont secouées par des scandales et délégitimées par l’incompétence et le patronage. Il faudrait un grand bouleversement car le terrain politique est miné, et n’y évoluent que des politiciens professionnels aux profils similaires, aux ambitions semblables, aux aspirations de pouvoir et pour certains d’argent. Ce sont les mêmes têtes qu’on voit depuis des lustres, aux arguments éculés, aux programmes faméliques. Pas de saine et de sage gouvernance. Pas de progrès pour les citoyens. Ne parlons pas de justice et de réformes salutaires, ni d’assainissement de budget.

A cela, il faut ajouter les mises en mal de la culture politique qui a assuré au Sénégal, une identité démocratique particulière en Afrique (la « success story » de D. Cruise O’Brien, professeur d’études politiques à Londres, auteur de « La construction de l’Etat du Sénégal (Karthala) – décédé en 2012) ou la capacité à procéder à une « révolution passive » décrite par Robert Fatton dans son ouvrage intitulé : « la fabrication d’une démocratie libérale : Révolution passive du Sénégal, 1975-1985».

Apparemment résignés, les Sénégalais se sont habitués aux styles passés et présent Aujourd’hui, pour restituer le capital politique et civique, accumulé au cours de l’histoire politique de ce pays, il est urgent et nécessaire d’entreprendre un (lent) travail de refabrication d’une communauté nationale dans sa diversité, ses rêves et angoisses et promouvoir une citoyenneté responsable et en constant devenir. En bref, il s’agit de procéder à une réforme morale de l’institutionnalisation des modes d’actions politiques dont la principale et désastreuse conséquence est la transformation du champ politique en un champ de cacahouètes où s’accumulent pouvoir, incivilités et richesses suspectes.

CALAME

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